En 2025, les avatars ia présentent-ils toujours l’information à la télé ?

Le 5 février 2025, Nadira présente au public de tvOneAI, en Indonésie, le compte-rendu de la rencontre entre Donald Trump et Benyamin Netanyahou. © Crédits photo : capture d'écran tvOne

Depuis quelques années, certaines chaînes expérimentent l’utilisation d’avatars IA pour présenter les informations à la télé. Début 2025, où en est-on ? Tour d’horizon, de l’Indonésie à

l’Inde en passant par Hawaï. Quentin Le Van Publié le 10 février 2025 « _En pleine rencontre avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, Donald Trump a attiré l’attention en

proposant de déplacer les Palestiniens hors de Gaza_. » Le 5 février 2025, comme de nombreux autres journalistes dans le monde, Nadira entame son bulletin sur la dernière saillie

géopolitique du président américain. Mais cette présentatrice de tvOne, première chaîne d’information en Indonésie, possède une particularité. Derrière son maquillage, son hijab et son

élégant tailleur rouge, cette femme au ton mécanique et un brin rapide n’est pas humaine. C’est une intelligence artificielle. Débarquée sur les plateaux TV en avril 2023, elle n’est

d’ailleurs pas seule. Au total, la chaîne déploie quatre IA différentes présentant l’actualité en complément des journalistes stars de la chaîne, et chacune représentant les principaux

groupes démographiques du pays. Nadira, basée sur les traits de la journaliste star Fahada Indi, reflète la très importante communauté musulmane, Sasya la frange sino-indonésienne, Anya la

jeunesse javanaise et Glenn les populations de l’Est de l’archipel. Un quatuor insolite au service d’une stratégie définie. _« Nous voulions générer du buzz et sensibiliser la population aux

opportunités permises par l’IA, _confie à _La Revue des médias_ Dini Meilina, productrice-assistante à tvOne et l’une des quatre personnes en charge du projet. _Mais elle n’est que la

première étape d’un plan plus large : introduire des avancées technologiques dans le paysage médiatique indonésien, en s’alignant sur les progrès des intelligences artificielles. »_ Pour

preuve, la compagnie a même lancé en 2023 tvOneAI, une chaîne d’information en ligne mettant en avant ses quatre « AI Anchors », ainsi qu’un site permettant à chaque internaute de générer un

bulletin d’information personnalisé présenté par IA. Un objectif : inonder de ses contenus les réseaux sociaux pour tenter de toucher un nouveau public. _« Dès le début, nous avons

identifié le potentiel d’être des game-changers pour les médias du pays »_, s’enthousiasme Dini Meilina. Le succès reste pourtant timide. Deux ans après sa création, ces avatars

n’interviennent plus qu’occasionnellement à la télévision, tandis que la chaîne Youtube de tvOneAI plafonne à 15 000 abonnés, loin des 15 millions de la chaîne principale tvOneNews. Et avec

ses 2,5 millions de vues cumulées pour 2 200 publications, elle peine à dépasser les 1 000 vues par vidéo. UN MARCHÉ PRINCIPALEMENT ASIATIQUE Reste que le fantasme des présentateurs IA n’est

pas une excentricité indonésienne. Au contraire, un marché tente d’émerger à l’international, entre promesses d’un nouveau futur des médias, volonté d’optimiser certaines étapes dans la

chaîne de production de l’information et tentatives de profiter de la _hype _autour de l’intelligence artificielle. L’engouement remonte à novembre 2018. L’agence de presse étatique chinoise

Xinhua présente alors Qiu Hao, un avatar IA censé couvrir l’actualité « _24 heures par jour, 365 jours par an »_. Depuis, les projets se multiplient dans le monde entier. Maia et Marco

commentent le sport sur la chaîne philippine GMA Network, J-na chronique l’actualité de l’île de Jeju pour la chaîne sud-coréenne Weekly Jeju, Aparajita présente la matinale de 7 heures sur

la chaîne bangladaise Channel 24, et Hermes lit des bulletins d’informations pour la chaîne grecque ERT… Pour la plupart, ces expérimentations sont d’ailleurs menées sur les marchés

asiatiques. En Corée du Sud avec les médias MBN, SBS, YTN et Arirang International Broadcasting par exemple, ou encore en Chine avec les chaînes Guangzhou TV et Beijing TV Network. Comment

l’expliquer ? _« L’Asie de l’Est dispose d’une infrastructure numérique solide et d’avancées technologiques majeures, ce qui en fait une plaque tournante pour les innovations basées sur

l’IA_, estime Ji-eun Park, fondatrice et PDG de Pulse9, une société sud-coréenne spécialisée dans la confection de présentateurs virtuels. _L’Asie du Sud-Est et du Sud, elle, a un taux

d’acceptation élevé de l’IA, notamment en raison de la transformation numérique rapide et l’intérêt croissant pour le sujet. »_ Une dynamique bien représentée par l’exemple indien. En mars

2023, la chaîne Aaj Tak dévoile Sanna en présence du Premier ministre indien. _« Elle est notre première présentatrice IA, et je souhaite vraiment que vous puissiez la rencontrer. Sanna,

vient dire bonjour ! »_, hèle la vice-présidente du groupe devant un Narendra Modi interloqué. Dans la foulée, Aaj Tak déploie sept autres AI Anchor et lance à son tour une chaîne 100 % IA

sur les réseaux sociaux. Au programme de ces bulletins quotidiens : des comptes-rendus de l’actualité technologique, du sport, de la météo et même de l’astrologie. Ce géant de l’information

n’est pas le seul média indien à investir dans l’intelligence artificielle. D’autres s’offrent les services de Personate AI, start-up de New Delhi fondée en 2021 et champion local dans la

confection de présentateurs virtuels. Parmi ses clients : Sputnik India, la version indienne du média d’État russe Sputnik, ou encore DD Kisan. Propriété du ministère de l’Agriculture, cette

chaîne à destination de la communauté agricole s’est ainsi équipée en mai 2024 d’AI Krish et AI Bhoomi. _« DD Ksian tient les agriculteurs informés des changements météorologiques et des

marchés mondiaux et locaux, afin qu’ils puissent élaborer des plans appropriés à l’avance et prendre les bonnes décisions à temps_. _La particularité de ces présentateurs IA, c’est qu’ils

peuvent s’exprimer dans plus de 50 langues et dialectes »_, défend un officiel du ministère dans un communiqué de presse. ENTRE _UNCANNY VALLEY _ET ÉTHIQUE Mais si ses promoteurs la vendent

comme futur de l’information, cette technologie rencontre au présent de sérieuses difficultés. La qualité technique du produit, déjà. _« L’amélioration de la synthèse vocale naturelle, la

précision de la synchronisation labiale, les expressions, les transitions d’une langue à une autre… Aujourd’hui, cela reste des obstacles techniques majeurs »_, reconnaît Ji-eun Park.

Conformément à la célèbre théorie de l’_uncanny valley_, les aspérités d’un corps et d’un visage censés reproduire l’humain font figure de carton rouge immédiat auprès des spectateurs. Et

au-delà de la dimension esthétique, les problématiques éthiques et sociales engagées par le déploiement d’avatars IA sont un sujet pour une bonne part du public. Dans les commentaires des

différents bulletins présentés par IA, nombreux sont ceux à déplorer le remplacement de journalistes et à partager leur malaise. Des controverses synthétisées par le cas du _Garden Island_.

Le 10 septembre 2024, ce journal hawaïen consacré à l’actualité de la petite île de Kauai surprend l’archipel. Le média annonce le déploiement de James et Rose, deux IA développées par la

start-up israélienne Caledo pour présenter une émission d’actualité locale. Un choix insolite porté par Aaron Kotarek, alors président du groupe Oahu Publications, propriétaire de _The

Garden Island. « Il a créé ce qu’il appelait une AI Task Force pour préparer le projet_, se souvient avec ironie Kevin Knodell, membre temporaire de ladite équipe et journaliste pour un

autre titre du groupe, le _Honolulu Star-Advertiser. Lorsque j’ai vu les premières démos, j’ai compris que ça ne marcherait pas et j’ai essayé de lui expliquer. Il m’a répondu que si les

gens n’aimaient pas, ils seraient de toute façon forcés d’apprendre à apprécier car c’était ça le futur des médias. » _Face à ces présentateurs virtuels incapables de prononcer correctement

certains noms hawaïens, les retours seront unanimes. _« Absolument effrayant », « Par pitié, arrêtez »_, « _STOP »… _Pendant deux mois, le public étrille le projet et Aaron Kotarek sera le

seul à laisser des commentaires positifs sous ces vidéos. En novembre, il quitte le groupe pour rejoindre une autre société à Washington, et l’expérimentation James et Rose est immédiatement

interrompue. Contacté, Caledo l’assure : _« Ce projet fut un énorme succès, permettant d’obtenir un engagement accru de la part du public et créant de nouvelles opportunités de revenus. »_