Quand les médias chinois s'exportent en afrique

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Un lecteur du China Daily à Nairobi en décembre 2012, l'année de lancement du journal au Kenya.  © Crédits photo : Tony Karumba/AFP. La Chine mène depuis les années 2010 une stratégie


d'expansion de ses médias sur le continent africain. Un moyen d'améliorer l'image du pays, notamment en temps de crise sanitaire, mais aussi d'affirmer sa présence et sa


puissance aux yeux de la communauté internationale.  Selma Mihoubi Publié le 18 janvier 2021 En avril 2020, des images montrant une attitude hostile de la part des autorités chinoises envers


des individus originaires du continent africain vivant en Chine ont largement circulé dans les médias à travers le monde, décrédibilisant l’image de Pékin. Elles ont été largement


commentées par des médias africains francophones comme anglophones, provoquant des réactions hostiles au sein de la société civile et des institutions de plusieurs pays du continent. Afin


d’éviter une crise diplomatique, les médias chinois implantés sur le continent africain ont donc été mobilisés, notamment dans les pays francophones. Des dizaines d’articles, entretiens ou


reportages faisant intervenir des étudiants ou entrepreneurs africains vivant en Chine sont alors publiés et particulièrement relayés au Sénégal, en Guinée et au Tchad. Ils décrivent la


gestion exemplaire de la crise sanitaire par les autorités chinoises, la bienveillance des autorités et le caractère mensonger de certaines accusations. Pourtant, il a été démontré que la


majorité des publications en ligne montrant des agressions de personnes noires en Chine étaient avérées. Capture d’écran d’une publication du compte Twitter de l’agence de presse Chine


Nouvelle. CAPTURE D’ÉCRAN D’UNE PUBLICATION DU COMPTE TWITTER DE L’AGENCE DE PRESSE CHINE NOUVELLE (XINHUA) POSTÉE LE 24 AVRIL 2020. Sreenshot article publié sur CGTN Afrique. ARTICLE


ACCOMPAGNÉ D’UNE VIDÉO PUBLIÉ LE 21 AVRIL 2020 SUR LE SITE DE CGTN AFRIQUE. La crise sanitaire liée au coronavirus qui touche la planète depuis près d’un an a aussi été une occasion pour la


Chine de mobiliser ses outils médiatiques et d’intensifier sa stratégie d’influence informationnelle sur tout le continent africain. En effet, la Chine a été accusée par des médias du monde


entier d’être responsable de cette pandémie. Pékin a dès lors réagi en utilisant les médias d’État pour diffuser des récits démontrant sa bienveillance, son amitié envers ses partenaires


africains et, enfin, pour dénoncer des campagnes mensongères de la part des puissances occidentales. Ces relais ont permis de propager des discours politiques chinois et de traiter


intensivement des initiatives d’aide au continent africain (mission médicales, dons) pour gérer la pandémie. Plus récemment, la Chine a renforcé sa stratégie de diplomatie sanitaire en


passant des accords bilatéraux avec l’Afrique pour la distribution de ses vaccins, largement médiatisés. Dès le mois de juin 2020, Xi Jinping avait annoncé que le laboratoire chinois Sinovac


Biotech était sur le point de trouver le vaccin pour contrer le coronavirus. Le dirigeant chinois avait alors organisé le 17 juin 2020 un sommet extraordinaire Chine-Afrique sur la


solidarité contre la Covid-19, largement couvert par les médias chinois. Les discours de Pékin au sujet du vaccin insistaient sur l’altruisme et la bienveillance des autorités chinoises, qui


ont annoncé avoir l’intention de donner un accès prioritaire au remède pour les partenaires africains de la Chine. MANIPULATION DES REPRÉSENTATIONS La présence chinoise sur le continent


africain ne se limite donc pas aux activités économiques : Pékin y a également déployé depuis une dizaine d’années ses groupes médiatiques (Radio Chine Internationale (RCI), CGTN Afrique,


Xinhua Afrique). Une manière de mieux établir son influence auprès des décideurs et opinions publiques locaux, mais aussi d’entretenir une image favorable autour de son implantation. Les


médias chinois en Afrique utilisent ainsi la manipulation des représentations pour répondre aux projets géopolitiques de Pékin. Les contenus diffusés en Afrique présentent la Chine comme un


pays en développement, aux valeurs tiers-mondistes, en contradiction avec l’image de grande puissance évoquée par les dirigeants chinois. RCI, CGTN ou Xinhua affirment par exemple que


l’histoire et les traditions de la Chine se rapprocheraient de celles des pays africains, et que cette proximité permettrait à Pékin de mieux comprendre les besoins de leurs populations. De


plus, ces relais médiatiques diffusent l’image d’une Chine qui aide les pays africains dans leur développement par la construction d’infrastructures, présentant les activités chinoises comme


des actions de solidarité. En réalité, ces équipements édifiés par des entreprises chinoises ne sont pas des dons ou des aides, mais sont payés par les États africains concernés, qui


s’endettent vis-à-vis de la Chine pour leur réalisation. Les médias chinois jouent également sur les représentations liées au colonialisme : en rappelant régulièrement le passé colonial des


partenaires traditionnels (France, Royaume-Uni) des pays africains, RCI, Xinhua et CGTN Afrique font valoir que la Chine n’a, elle, jamais eu d’ambitions colonialistes et aide plutôt ses


partenaires africains à se développer. DU SOFT AU HARD POWER ? Au-delà de la manipulation informationnelle, Pékin opère des prises de participation dans des groupes de médias locaux sur le


continent africain, pour intervenir si nécessaire sur les contenus. En Afrique du Sud, par exemple, une entreprise de médias publics chinoise (la China International Television Corporation),


associée au Fonds de développement sino-africain (CADF, contrôlé par les autorités de Pékin), a obtenu en 2013 20 % des parts du second plus grand groupe de presse indépendant du pays,


Independant Media. En septembre 2018, l’ONG Reporters sans Frontières (RSF) relatait la censure d’une chronique d’un journal, publié par ce groupe, qui dénonçait la persécution de la


minorité musulmane ouïgoure en Chine. Le journaliste concerné, Azad Essa, avait vu son article dépublié, et sa chronique hebdomadaire retirée du journal. RSF condamnait un acte de censure


émanant d’une _« volonté de ne pas déplaire aux investisseurs chinois du journal »,_ accusant Pékin de porter _« une atteinte grave à l’indépendance rédactionnelle »_ des médias dans


lesquels investissent les entreprises chinoises. _« Cet exemple reflète l’influence croissante exercée par Pékin hors de ses frontières et qui vise à imposer un nouvel ordre médiatique


mondial, duquel l'éthique journalistique et le droit des citoyens à l’information seraient exclus », _poursuivait RSF. Ces éléments démontrent ainsi que le pouvoir chinois combine soft


et hard power, usant de moyens plus ou moins coercitifs dans le but de rallier les élites et les opinions publiques africaines à sa cause. Screenshot de la tribune du journaliste Azad Essa.


CAPTURE D’ÉCRAN DU TITRE D’UNE TRIBUNE RÉDIGÉE PAR LE JOURNALISTE SUD-AFRICAIN AZAD ESSA, DONT L’ARTICLE A ÉTÉ DÉPUBLIÉ, PUBLIÉE SUR FOREIGN POLICY. UN INTÉRÊT QUI REMONTE AUX ANNÉES 1950 La


propagande médiatique du Parti communiste chinois (PCC) en Afrique a commencé dans les années 1950. Les médias internationaux chinois sont dirigés par le pouvoir et la construction des


stratégies d’influence médiatique de Pékin répond à des préoccupations géopolitiques qui se déclinent à plusieurs échelles : imposer le principe d’une Chine unique grâce au soutien de ses


partenaires africains, affirmer le statut de la République populaire de Chine comme puissance régionale et mondiale. Par ailleurs, la Chine souhaite ainsi concurrencer les puissances dites


traditionnelles (France, Royaume-Uni) en Afrique. Pendant plusieurs décennies, le pays n’a pas fait de véritables efforts de communication, mais à partir de 2008, suite à l’organisation des


Jeux olympiques de Pékin, les autorités chinoises prennent conscience de l’importance de soigner leur image dans le monde. La Chine privilégie dès lors le continent africain, pour plusieurs


raisons. D’abord, les pays africains en voie de développement ou parmi les moins développés sont des terrains peu régulés, permettant aux jeunes entreprises chinoises de s’implanter avec


moins de contraintes qu’en Europe, par exemple. De plus, pas moins de 54 États composent le continent : autant d’alliés permettant à la Chine d’accroître son influence sur la scène


internationale. En effet, le PCC au pouvoir souhaite élever la Chine au rang de puissance majeure, et réussir à imposer à ses voisins comme au monde entier ses revendications territoriales.


La reconnaissance d’une Chine unique, qui comprend la Chine continentale ainsi que les territoires contestés ou les régions administratives spéciales comme Taïwan, mais aussi le Tibet,


Macao, Hong-Kong, Macao et le Xinjiang, est l’un des enjeux fondamentaux de l’influence médiatique chinoise en Afrique. Pékin impose ainsi à chaque partenariat la reconnaissance de la Chine


unique. Pour des raisons de proximité géographique, historique et culturelle, les autorités chinoises ont d’abord implanté leurs médias dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est anglophone. Le


Kenya a notamment été un pays important dans cette stratégie. Nairobi abrite depuis 2012 le siège de CGTN Afrique, permettant la production de programmes à destination de tous les pays


anglophones du continent africain. Depuis cette année, les médias chinois développent leur stratégie d’implantation en Afrique de l’Ouest francophone, avec le Sénégal comme point d’ancrage,


où le premier bâtiment abritant des studios et locaux de médias chinois avait été inauguré en septembre 2015 à Dakar. Ce dernier accueille le siège de RCI Sénégal et CGTN Français, avec une


équipe de journalistes locaux. BBC ET FRANCE MÉDIAS MONDE CONCURRENCÉS Le déploiement médiatique de la Chine sur le continent africain a provoqué de vives réactions en France et au


Royaume-Uni, anciennes puissances coloniales des pays visés par la Chine, dont l’influence tend à s’amenuiser depuis l’arrivée du nouveau partenaire chinois. La France doit en effet


entretenir son influence sur le continent, principalement pour répondre à des intérêts culturels (francophonie), politiques et militaires (opération Barkhane). Pour ce faire, les médias


(Radio France internationale et France 24, du groupe France Médias Monde) sont au cœur des stratégies de puissance. RFI est encore aujourd'hui l’une des radios les plus écoutées en


Afrique francophone, parfois plus que des radios nationales. Selon la présidente de France Médias Monde Marie-Christine Saragosse, le groupe doit renforcer sa stratégie et son influence en


Afrique pour prévenir l’ancrage de nouvelles influences étrangères, comme celle de la Chine par exemple. Dès lors, le gouvernement français a autorisé l’ouverture de nouveaux services en


langues locales (en Bambara par RFI, en octobre 2015) et la construction de nouveaux studios au Sénégal, ouverts en octobre 2019 à Dakar. Côté britannique, le groupe BBC, également un outil


de soft power crucial sur le continent africain, a opéré un revirement de stratégie, impulsé par des considérations similaires. Le gouvernement britannique a observé l’émergence des médias


chinois en Afrique, ainsi que des médias russes, dénonçant des tentatives de _« manipulation médiatique »._Le Document stratégique de défense et de sécurité publié en 2015 annonçait un


investissement de 85 millions de livres par an jusqu’en 2020 pour le BBC World Service, un record. Lord Tony Hall, PDG du groupe en 2015, soulignait_« la plus importante augmentation de


budget pour le World Service jamais engagée par un gouvernement »,_ attestant la volonté britannique d’utiliser les médias pour freiner l’expansion du soft power chinois. Plus récemment,


dans le contexte du Brexit, le Royaume-Uni a réaffirmé sa présence en Afrique (investissements économiques, politiques d’aide au développement, implication militaire). Le gouvernement a


depuis lors consenti à de nouveaux investissements considérables dans le BBC World Service (325 millions de livres pour l’année 2019-2020) pour favoriser son image et donc ses intérêts, via


l’ouverture de nouveaux services en langues locales africaines : Yoruba (Nigeria), Amharique (Ethiopie, Afrique orientale), Pidgin (Nigeria, Cameroun), Igbo (Nigeria). Dans la bataille pour


l’influence médiatique, l’ancrage territorial (bureaux, sièges) et l’utilisation des langues locales sont des éléments stratégiques favorisant la puissance des États. À ce titre, les médias


internationaux français et britanniques restent les plus performants et ont récemment déployé des efforts en ce sens pour réaffirmer leur supériorité et contrer l’influence informationnelle


de Pékin en Afrique. Finalement, le soft power des médias chinois sur le continent africain n’est pas tant une entreprise vouée à populariser RCI, Xinhua ou CGTN Afrique, mais plutôt un


moyen d’affirmer leur présence et leur puissance aux yeux de la communauté internationale. Si l’influence des médias français ou britanniques en Afrique reste supérieure, en termes


d’audiences notamment, les inquiétudes et les revirements stratégiques de la part des gouvernements français comme britanniques démontrent que l’influence informationnelle des médias chinois


est considérée comme une menace à contrer.


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