Les non-dits de la sécurité selon le rn | terra nova
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Le projet « L’union fait la France » publié le 24 juin propose d’une part un « soutien aux fonctionnaires attaqués ou menacés (professeurs, soignants, policiers, etc.) par le renforcement de
la protection fonctionnelle », et d’autre part la création d’« une présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre ». Des deux mesures, la plus sensible et la plus emblématique
donnerait une forme d’irresponsabilité pénale aux forces de l’ordre. Quels sont les objectifs poursuivis alors que le cadre juridique actuel est déjà très protecteur pour les agents publics
et que l’idée d’une immunité judiciaire des forces de l’ordre nous ferait sortir de l’État de droit ? Le sujet excède largement le soutien moral et légal, légitime et nécessaire, apporté aux
fonctionnaires dans l’exercice de leur mission. Il est inspiré par des situations dramatiques où l’emploi d’armes à feu par les forces de l’ordre conduit, non seulement à des procédures
disciplinaires, mais à des poursuites judiciaires. La gravité des événements en eux-mêmes mais aussi de leurs conséquences imposent la plus grande prudence comme le rappellent par exemple
les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel Merzouk en juin 2023 à Nanterre. La confusion et les dommages liés à ces violences sont instrumentalisés par le Rassemblement national pour faire
croire que les fonctionnaires, et les forces de l’ordre en particulier, sont confrontés à une forme d’injustice institutionnelle et d’aveuglement des juridictions qui mettraient sur le même
plan policiers et délinquants en refusant de considérer la difficulté des tâches de maintien de l’ordre. RENFORCER LA PROTECTION FONCTIONNELLE DES AGENTS Que veut dire « renforcer » la
protection fonctionnelle accordée aux agents publics ? La protection fonctionnelle consiste en la protection accordée par l’administration à un fonctionnaire mis en cause dans l’exercice de
ses fonctions. Elle est précisée dans l’article 11 du statut général de la fonction publique. La protection fonctionnelle présente un champ d’application très large puisqu’il englobe les
fautes de service ainsi que les fautes personnelles non détachables du service. Il exclut cependant les cas où une faute personnelle est commise sans lien avec la fonction (« détachable
»)[1]. Le texte a en outre déjà été « renforcé » en 2020 à la suites de l’assassinat de Samuel Paty notamment pour tenir compte des menaces en ligne, avec un signalement systématique et un
accompagnement personnel des fonctionnaires victimes. Le relevé des menaces et des protections accordées doit devenir systématique. De plus, en 2023, un plan de protection des agents publics
a été lancé qui prévoit que l’administration peut porter plainte à la place de l’agent pour compenser l’autocensure éventuelle des fonctionnaires. Les proches de l’agent (conjoint, famille)
bénéficient aussi désormais, y compris de manière anticipée (par exemple après des injures ou des menaces d’agression avant tout passage à l’acte), d’une protection fonctionnelle, notamment
d’un accompagnement psychologique et juridique. Vouloir « renforcer » une protection fonctionnelle déjà accrue illustre bien l’usage avant tout anxiogène fait par le Rassemblement national
du thème de la sécurité. Il laisse entendre qu’une menace omniprésente ne serait pas prise en compte par l’Etat et fait comme si les agents publics étaient livrés à eux-mêmes, ce qui est
faux. Son objectif est surtout de renforcer le sentiment d’insécurité que les dispositifs protecteurs récemment mis en place s’efforcent précisément de réduire. LE CAS DES SQUATTEURS OU
L’ÉLOGE DE LA JUSTICE PRIVÉE Certaines propositions du RN mettent en jeu la question de la sécurité d’une autre manière, en poussant les personnes à prendre des risques pour se faire justice
elles-mêmes. C’est le cas avec les amendements présentés en 2022 par les députés RN Sébastien Chenu et Géraldine Grangier à propos des propriétaires de biens occupés illégalement. Les
amendements du RN demandent que les propriétaires qui cherchent à déloger par eux-mêmes des squatteurs, « dans un accès de colère à raison », une expression particulièrement floue, encourent
des peines beaucoup plus faibles. Ils proposent de modifier l’article 226–4–2 du Code pénal en ramenant la peine encourue de 3 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende à 6 mois et 10 000
€, de sorte que le propriétaire « ne puisse être condamné avec les mêmes peines que le squatteur », comme si la justice les mettait sur le même plan. Une telle évolution pourrait encourager
des propriétaires de biens squattés à agir par eux-mêmes et se mettre en risque physique et juridique, sous couvert d’une fausse impression d’impunité. CRÉER UNE PRÉSOMPTION DE LÉGITIME
DÉFENSE POUR LES FORCES DE L’ORDRE Une autre mesure phare sur laquelle le RN revient régulièrement concerne la présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre. Cette proposition a
été par exemple défendue dans le cadre d’une proposition de loi par le député RN Michaël Taverne, discuté à la commission des lois le 14 décembre 2022. Les conditions dans lesquelles une
situation de légitime défense peut être reconnue, et constituer une cause d’irresponsabilité pénale, sont précisées à la fois dans le code pénal et dans le code de la sécurité intérieure. En
avançant la proposition d’« _instituer_ une présomption de légitime défense », comme si rien n’existait dans notre droit, le RN suggère donc d’aller plus loin sans préciser clairement ce
que cela changerait concrètement pour les forces de l’ordre. Le code pénal tout d’abord, en son article 122–6, distingue deux cas de présomption de légitime défense : le fait de « repousser,
de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité » et le fait de « se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence », en précisant les
conditions dans lesquelles la légitime ne peut être reconnue[2]. Il n’y a pas, dans le droit en vigueur, de présomption légale de légitime défense propre aux policiers et aux gendarmes. En
revanche, plusieurs dispositions de l’article L. 435–1 du code de la sécurité intérieure prévoient les cas dans lesquels un policier ou un gendarme peut faire usage de son arme. La
réglementation a été revue en 2017 pour unifier les règles d’usage des armes entre la police et la gendarmerie. L’article L. 435–1 du même code pose deux conditions cumulatives, de stricte
proportionnalité et d’absolue nécessité, pour autoriser l’usage des armes par les policiers ou les gendarmes dans cinq cas : lorsque des atteintes à la vie sont portées contre eux ou une
autre personne ; pour défendre des lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées, après deux sommations ; pour contraindre à s’arrêter, après deux sommations, des personnes
qui échappent à leur garde et qui, dans leur fuite, peuvent perpétrer des atteintes à leur vie ou à celle d’autrui ; pour immobiliser un véhicule dont le conducteur n’obtempère pas à un
ordre d’arrêt et qui, dans sa fuite, peut perpétrer des atteintes à leur vie ou à celle d’autrui ; dans le cas des « périples meurtriers ». Le cadre juridique de la légitime défense existe
donc clairement. Il est connu des forces de l’ordre et il est respectueux des principes qui fondent notre État de droit. L’argument du RN pour faire évoluer le droit est que, dans la
situation actuelle, les policiers et les gendarmes qui font usage de leur arme « sont soumis aux mêmes règles procédurales que ceux qui les ont agressés ou qui ont tenté de le faire », selon
les termes de Michaël Taverne. Ce qui signifie simplement qu’une procédure judiciaire est ouverte. Mais le RN suggère en réalité que les fonctionnaires sont « condamnés avant l’heure » par
une justice biaisée, aveugle aux difficultés inhérentes à leur fonction. Il néglige en outre de mentionner la protection fonctionnelle, qui n’a pas d’équivalent « symétrique » pour les «
délinquants ». En l’absence de développement plus précis, on en est réduit à faire des suppositions sur ce que signifierait concrètement une « présomption de légitime défense » sachant qu’il
est nécessaire, y compris pour la sécurité juridique des policiers et gendarmes, qu’une procédure judiciaire permette un examen du déroulement des faits, à même de vérifier que les
conditions de la légitime défense ont bien été remplies. Le député Michaël Taverne nous met sur une première piste : il s’agirait par ce moyen d’« inverser la charge de la preuve » ;
autrement dit, ce serait désormais à la partie adverse de démontrer l’absence de légitime défense. Le policier n’aurait plus à justifier juridiquement son action en démontrant qu’il se
trouvait en situation de légitime défense au moment des faits. Ce serait à la victime, éventuellement avec le concours du parquet ou d’un juge d’instruction, d’apporter les preuves que les
conditions légales de la légitime défense n’étaient pas réunies. Or, une telle preuve est difficile à apporter. Aujourd’hui, chaque usage d’arme des policiers fait l’objet d’une enquête
propre à vérifier le respect du cadre légal. La présomption de légitime défense autoriserait demain l’absence d’investigations pour peu que le parquet n’ouvre pas d’enquête et/ou que la
victime ou ses ayants droits ne se manifestent pas. Une autre hypothèse, discutée notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, consisterait en la reconnaissance d’une « légitime défense
subjective », c’est-à-dire la reconnaissance de « l’impression d’être menacé »[3]. Dans ce cas, il n’y aurait plus de preuve matérielle à apporter, c’est la parole du policier ou du gendarme
qui devrait prévaloir, ce qui donnerait à ce dernier un statut à part par rapport au citoyen ordinaire. L’issue n’en serait certainement pas plus heureuse. Une telle évolution serait en
effet probablement mal reçue dans un contexte de tensions régulières dans les relations entre la police et la population. En outre, on entrevoit assez bien la désinhibition qui en
découlerait. L’alignement du régime juridique de l’usage des armes par les policiers sur celui des gendarmes en 2017 a déjà conduit, d’après un rapport de l’Inspection générale de la police
nationale (IGPN), à un recours croissant aux armes, en particulier à des usages d’armes à feu sur des véhicules qui refusent d’obtempérer… Selon l’IGPN, entre 2016 et 2017, le nombre de tirs
a augmenté de 39 %, et ceux effectués en direction de véhicules en mouvement, de 47 %[4]. Il suffit de se souvenir des débats autour des violences policières au moment du mouvement des
Gilets jaunes ou encore de l’émotion suscitée par la mort du jeune Nahel en juin 2023 pour imaginer le surcroît de tension que pourrait entrainer une situation où les policiers seraient
regardés comme disposant d’une forme d’impunité _a priori_. En créant pour les forces de l’ordre une catégorie particulière de justiciables, ce sont à la fois l’impartialité de l’institution
et l’autorité de ses décisions qui seraient compromises. Loin de renforcer l’ordre, il est à craindre qu’une telle initiative soit un facteur supplémentaire de désordres et de violences.
------------------------- [1] Le programme du RN de 2022 indique que le renforcement consisterait en un alignement sur le régime applicable aux militaires. Celui-ci ne se distingue pourtant
pas, dans ses conditions générales et sa portée, du régime des autres agents publics. [2] Les cinq conditions sont les suivantes : l’attaque doit être injustifiée ; il doit s’agir d’une
défense pour soi ou pour une autre personne ; la défense doit être immédiate ; elle doit être nécessaire c’est-à-dire que la situation est telle que la seule solution est la riposte ; la
défense doit être proportionnée, c’est-à-dire égale à la gravité de l’attaque. [3] Selon les termes de la professeure de sciences politiques Vanessa Codaccioni dans _Libération_ à propos du
programme de 2022 :
https://www.liberation.fr/societe/police-justice/la-presomption-de-legitime-defense-pour-les-policiers-vieille-rengaine-des-le-pen-20220416_AWQVTQUNRBGSLEO2CC7MJQ6DEU/?redirected=1 Voir
Vanessa Codaccioni, _Légitime défense. Homicides sécuritaires, crimes racistes et violences policières_, CNRS éditions, 2018. [4] Rapport annuel de l’IGPN, 2021, p. 56.
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