Le monde, un journal en péril?

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Le monde, un journal en péril?"


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À la fin de l’année 2010, _Le Monde_, le groupe et le quotidien, entame sa dixième recapitalisation depuis 1985. En 25 ans, des lecteurs, des entreprises mécènes, des groupes de presse et de


médias, français et étrangers, et de grandes fortunes sont venus au secours de cette entreprise atypique. Comment s’explique cette situation et pourquoi _Le Monde_ arrive-t-il encore à


trouver des investisseurs ? Depuis sa fondation en 1944, _Le Monde_ a connu deux périodes : la première, de la création au milieu des années 1970, est celle de la prospérité sans cesse


croissante apportée par l’augmentation quasi continue des recettes des ventes et de la publicité. La seconde, depuis une trentaine d’années, est celle des crises à répétition, entrecoupées


d’embellies plus ou moins courtes. Avant d’examiner les forces et les faiblesses du groupe, il faut rappeler son histoire, qui détermine en grande partie son présent et son avenir. LA


NAISSANCE DU MONDE Fondé en décembre 1944 pour remplacer _Le Temps_ interdit à la Libération,_ Le Monde_ devient rapidement une aventure journalistique singulière par la volonté de son


directeur, Hubert Beuve-Méry. Celui-ci, qui avait été correspondant du _Temps _à Prague entre 1930 et 1938 et avait démissionné à cause de la mutilation de ses articles sur Munich était


passé par le magazine des chrétiens antifascistes _Temps Présent_, par la direction des études de l’école des cadres d’Uriage entre 1940 et 1942, puis par la Résistance à partir de 1943.


Pour fonder _Le Monde_, il reprend l’équipe rédactionnelle du _Temps_, les ouvriers et employés, l’immeuble et les machines du _Temps_, qui sont mis à sa disposition par le Gouvernement


provisoire de la République Française. Détenant 20 % du capital de la SARL Le Monde, il est entouré de gaullistes, de démocrates-chrétiens et de libéraux choisis dans la mouvance du général


de Gaulle et du ministre de l’Information, Pierre-Henri Teitgen. Le premier numéro du _Monde _paraît le 18 décembre 1944. De 1944 à 1969, Hubert Beuve-Méry est directeur de la publication du


quotidien et gérant de la SARL éditrice. Sous sa direction, le journal de la rue des Italiens s’affirme comme le quotidien de référence. Le but d’Hubert Beuve-Méry était d’imposer la


lecture du _Monde _aux élites politiques, économiques et intellectuelles françaises, par la qualité, la précision, la rigueur et l’exhaustivité des informations. _Le Monde_ rallie les


lecteurs par des positions fondées sur une éthique (contre la « sale guerre » en Indochine, pour le « neutralisme » entre les blocs, contre la torture en Algérie). Il privilégie également la


mise en scène équilibrée du débat entre les divers courants de la société française, notamment grâce aux « libres opinions », installées dans le quotidien en 1952, et qui sont maintenues


sous diverses formes depuis soixante ans. Hubert Beuve-Méry, et _Le Monde_ avec lui, se réclame de quelques valeurs : la liberté, la justice sociale, l’humanisme chrétien et la défense de la


démocratie parlementaire. Et de contre-valeurs : l’anticommunisme, l’antifascisme, un antiaméricanisme modéré, un certain anti-autoritarisme qui, cependant, ne craint pas de prôner l’ordre


républicain. En quelque sorte, un programme démocrate et libéral, teinté de catholicisme social, qui peut rallier les forces politiques de gauche comme de droite, mais qui exclut les


extrêmes. Pour que ce programme rédactionnel puisse s’appliquer, Hubert Beuve-Méry considère que _Le Monde_ doit être « indépendant des partis politiques, des Églises et des puissances


financières ». Vaste programme, qui repose sur l’indépendance économique du journal et sur l’indépendance intellectuelle et politique de ses rédacteurs. Mais déjà, _Le Monde_ mécontente les


hommes politiques : en 1951, une coalition de démocrates-chrétiens et de libéraux tente de renverser le directeur du journal. Hubert Beuve-Méry, un temps contraint à la démission, retrouve


ses prérogatives grâce au soutien de la rédaction, des lecteurs et du général de Gaulle. Après cette crise, le pouvoir d’Hubert Beuve-Méry est conforté par la création de la Société des


rédacteurs du _Monde_, qui, avec 28 % du capital, devient le premier actionnaire du journal aux côtés des actionnaires historiques. LA GRANDE CROISSANCE Au cours des années 1960, _Le Monde_


conquiert un vaste lectorat (la diffusion triple, de 117 000 à 355 000 exemplaires par jour entre 1955 et 1969), tandis que, bientôt, par antigaullisme, il penche à gauche. Les événements de


mai 1968 sont même l’occasion, pour une partie de la rédaction, de s’opposer au fondateur, qui aurait souhaité un rétablissement de l’ordre plus rapide. En décembre 1969, la retraite


d’Hubert Beuve-Méry inaugure une nouvelle ère pour le journal. C’est désormais Jacques Fauvet qui dirige le titre. La croissance de la diffusion entraîne une inflation des recettes


publicitaires, qui atteignent 69 % du chiffre d’affaires en 1969. Cependant, au cours des années 1970, l’entreprise et le quotidien entament une dérive financière et rédactionnelle. Jacques


Fauvet et sa rédaction penchent de plus en plus ouvertement à gauche, tandis que le patron du journal n’arrive pas à maintenir la rigueur de gestion de son prédécesseur. Des investissements


inconsidérés dans des sites d’imprimerie, des embauches pléthoriques et des salaires très importants grèvent les finances du journal, qui devient déficitaire à partir de 1976. A cela


s’ajoutent les incertitudes sur la gouvernance de l’entreprise : en 1968, Hubert Beuve-Méry a imposé Jacques Fauvet comme successeur et a accordé au personnel de monter au capital jusqu’à 49


% : la Société des rédacteurs détient 40 %, la Société des cadres, 5 % et celle des employés 4 %. Les gérants ont 11 % du capital et les actionnaires « historiques » (ou leurs successeurs)


sont tombés à 40 %. Lorsque Jacques Fauvet, en 1976, veut faire prolonger son mandat, il doit passer sous les fourches caudines de la rédaction qui exige de pouvoir présenter son successeur


et de l’élire avec une majorité qualifiée de 60 % des rédacteurs. PREMIÈRES CRISES Cette disposition entraîne un _turnover _des candidats et des élus à la direction du journal : cinq patrons


élus puis récusés en 10 ans, une guerre de clans au sein de la rédaction alimentée par des campagnes électorales quasi ininterrompues. Dans le duel entre Valéry Giscard d’Estaing et


François Mitterrand, _Le Monde_ est ouvertement partisan, jusqu’à perdre ses lecteurs de droite : à la suite de l’élection présidentielle de 1981, le journal voit disparaître un quart de ses


lecteurs, sans pour autant conserver le soutien de François Mitterrand, qui considère que le journal est trop critique à son égard. La diffusion tombe de 439 000 exemplaires en 1981 à 343


000 en 1985. En trois ans, le déficit cumulé atteint 120 millions de francs. La rédaction, déchirée en multiples clans, se demande comment elle pourrait retrouver le projet de son fondateur,


mais n’arrive pas à trouver un consensus sur celui qui entamera le renouveau du_ Monde _: en 1982, André Laurens succède à Jacques Fauvet, puis dès la fin 1984 il doit céder la place à


André Fontaine. Ce dernier redresse les finances, mais au prix de la vente des immeubles de la rue des Italiens acquis sous Beuve-Méry, d’une recapitalisation qui fait entrer des


actionnaires extérieurs (Le Monde Entreprises et la Société des lecteurs du Monde) et de l’installation à crédit d’une imprimerie à Ivry. Depuis 1989, date de l’inauguration de l’imprimerie,


elle n’a jamais été rentabilisée, en dépit d’investissements complémentaires très onéreux. L’embellie ne dure que le temps de l’éclaircie publicitaire, de 1985 à 1989. Dès 1990, la


récession des recettes publicitaires fait à nouveau plonger les comptes du Monde. Durant trois ans, la direction est assumée par un "non-journaliste", Jacques Lesourne,


polytechnicien choisi par les actionnaires extérieurs contre la volonté de la rédaction, mais qui n’arrive pas à redresser la situation. LA CONSTITUTION DU GROUPE En 1994, Jean-Marie


Colombani, porté par la rédaction, prend la tête du journal. Il redresse les ventes grâce à une nouvelle formule appuyée sur la volonté de débusquer les « affaires » de la Ve République,


mais aussi sur le désir de revenir au journal de référence. En cinq ans, _Le Monde_ reconquiert 50 000 acheteurs, retrouve des recettes publicitaires importantes et renoue avec les


bénéfices. Cette bonne conjoncture permet à Jean-Marie Colombani de se lancer dans la constitution d’un groupe de presse. Il considère en effet que le quotidien isolé ne pourra résister


longtemps aux aléas de la conjoncture et que deux solutions se présentent : soit le journal est racheté par un groupe de presse (Lagardère fait alors plusieurs offres) ou par un financier


recherchant de l’influence, soit il doit profiter de sa bonne santé économique pour fédérer autour de lui d’autres titres de presse. En 1997, il échoue à racheter _Télérama_ et _L’Express_.


Mais à partir de 2000, les acquisitions se font à marche forcée : le Groupe _Midi Libre_, puis en 2001 _Courrier International_, enfin le groupe des Publications de la Vie Catholique


(_Télérama_, _La Vie_, _Fleurus Presse_ et des sociétés de service) en 2002. En même temps, les investissements consentis dans le site Internet lemonde.fr portent leurs fruits : le site est


de loin le premier site d’information français. En six ans, le chiffre d’affaires triple, de 200 à 650 millions d’euros, mais les acquisitions sont réalisées en partie à crédit et en partie


par des apports de capitaux extérieurs (Lagardère, Prisa, Le Nouvel Observateur, La Stampa, etc.). Le total de l’actif passe ainsi de 100 à plus de 700 millions d’euros. Afin de maintenir la


minorité de blocage des sociétés de personnels, dont la participation a été diluée par les précédentes augmentations de capital, les apports extérieurs sont faits à des sociétés


intermédiaires. Bien que la stratégie de Jean-Marie Colombani ait été largement approuvée par les rédacteurs (il a été réélu confortablement en 2000), l’endettement et les participations de


groupes de presse commencent à inquiéter. La direction du _Monde _est alors mise en cause en 2003 par le livre _La face cachée du Monde_ de Pierre Péan et Philippe Cohen. L’affaire fait


grand bruit et permet de faire naître un courant d’opposants au sein de la rédaction. Pourtant, Jean-Marie Colombani ne renonce pas à ses projets : il prépare le rachat des quotidiens


méditerranéens du groupe Lagardère (_La Provence_, _Nice-Matin_, _Var-Matin_ et _Corse-Matin_), tout en jetant du lest en se séparant du directeur de la rédaction, Edwy Plenel. Mais la


Société des rédacteurs entend s’opposer aux projets de Jean-Marie Colombani et d’Alain Minc. En mai 2007, elle réussit à fédérer autour d’elle les personnels de PVC et de _Midi Libre_ pour


s’opposer à la réélection du directeur sortant. Pendant quelques mois, un directoire formé de Pierre Jeantet, Bruno Patino et Eric Fottorino tente de diriger le groupe, mais les déchirements


internes font éclater l’attelage. La SRM obtient le départ d’Alain Minc du poste de président du conseil de surveillance : il est remplacé par Louis Schweitzer. Après avoir vendu le groupe


Midi Libre, le directoire se sépare : Pierre Jeantet retourne à _Sud-Ouest_, Bruno Patino devient directeur de France Culture et Eric Fottorino se retrouve, début 2008, directeur du _Monde_.


RESTRUCTURATION Une période de restructuration est alors entamée : les cessions d’actifs se multiplient (Fleurus Presse, La Procure), un plan de départs volontaires fait fondre les


effectifs de 90 personnes et des économies sont réalisées sur la pagination. Mais toutes ces mesures ne suffisent pas : l’imprimerie demeure déficitaire, _Télérama _n’est que petitement


bénéficiaire, tandis que le quotidien retrouve difficilement l’équilibre. Les frais financiers et l’endettement restent inquiétants, alors que se profile à l’horizon 2012 la contrainte du


remboursement des obligations remboursables en actions (ORA) pour 75 millions d’euros. Au premier semestre 2010, après 150 millions d’euros de pertes cumulées en cinq ans, le groupe Le Monde


entrevoit la perspective d’un dépôt de bilan, qui nécessite pour la poursuite de l’activité une recapitalisation rapide et massive. Après des pourparlers avec les groupes Lagardère, Prisa,


La Repubblica, et d’autres, deux candidats se positionnent : d’une part une alliance entre Claude Perdriel (_Le Nouvel Observateur_ et _Challenges_), Prisa (_El Païs_) et Orange, d’autre


part l’alliance de trois hommes fortunés, Pierre Bergé, Xavier Niel (Iliad-Free) et Mathieu Pigasse. Ces derniers l’emportent en promettant d’investir 110 millions d’euros et plus et de


maintenir quelques droits au « pôle d’indépendance » qui réunit les actionnaires « internes » (sociétés de personnels et Société des lecteurs). _L'ACTIONNARIAT DU GROUPE LE MONDE AVANT


ET APRÈS LA RECAPITALISATION DE 2010._ Le groupe Le Monde, amaigri mais recapitalisé entre maintenant dans une nouvelle ère : le poids de la Société des rédacteurs et des personnels dans le


capital est devenu dérisoire, tandis que pèsent sur son avenir des options stratégiques qui concernent l’ensemble de la presse quotidienne nationale. L’imprimerie du Monde est en


sureffectifs et nécessite des investissements majeurs pour redevenir compétitive (entre 30 et 50 millions d’euros selon les estimations) ainsi qu’un plan social d’ampleur pour devenir


rentable ; le système de distribution (Presstalis) est trop onéreux et mal réparti sur le territoire français ; la pagination, la maquette, la place de la photographie dans le journal


doivent être revues et rénovées pour satisfaire la clientèle ; l’offre hebdomadaire du week-end doit être accrue ; l’articulation entre la rédaction papier et la rédaction numérique


nécessite une réforme de grande ampleur. Enfin, la transition entre le papier et le numérique pose de fortes questions sur le modèle économique et sur le modèle rédactionnel. Tous ces défis


peuvent être envisagés, mais il faudra aux repreneurs de bonnes idées et des investissements financiers et humains importants. Reste un atout majeur : la force de la marque Le Monde,


déclinée sur le papier au quotidien, en hebdomadaires, en mensuels ou en suppléments et sur le numérique par le web, les téléphones portables et les tablettes. La marque Le Monde demeure


encore la marque d’information de référence, qui attire un lectorat important sur tous les supports.


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