Interview de Daniel Benamouzig sur le rapport « Réinventons notre système de santé »

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Interview de Daniel Benamouzig sur le rapport « Réinventons notre système de santé »"


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NoteInterview de Daniel Benamouzig sur le rapport « Réinventons notre système de santé »Dans cette interview, Daniel Benamouzig, président du groupe de travail de Terra Nova sur la santé,


détaille les principales orientations du rapport « Réinventons notre système de santé » : renforcement des compétences de l’Etat en matière de régulation publique, défense des politiques de


santé publique plaçant la lutte contre les inégalités sociales de santé et la prévention aux premiers plans, diversification des formes d’exercice et de recours aux soins. Un nouveau modèle


de prévention, débordant très largement les espaces administratifs traditionnels de la santé publique, doit être promu, à la fois respectueux de l’autonomie des personnes et impliquant un


engagement fort de l’État. En matière de régulation de l’assurance maladie, le rapport propose de changer de référentiel, en faisant évoluer le système actuel vers un plus haut niveau de


prise en charge. Enfin, le rapport plaide pour le développement d’une coordination plus étroite entre une médecine ambulatoire rénovée, plus collective et transversale, et la médecine


hospitalière.Par Daniel BenamouzigPublié le 23 août 2012twitterlinkedinfacebookemailSynthèse


Terra Nova : Quelles sont les principales orientations préconisées par le rapport de Terra Nova sur la santé ?  


Daniel Benamouzig : Ce rapport fait de nombreuses propositions. Mais elles relèvent de trois orientations.  


En premier lieu, le rapport propose un renforcement sensible des compétences de l’Etat en matière de régulation publique aux dépens de l’assurance maladie d’une part, et à travers une


réforme des organes publics de régulation d’autre part. L’idée est de rassembler autour de l’administration centrale des instances de régulation aujourd’hui dispersées auprès de l’assurance


maladie ou au sein d’une myriade d’agences spécialisées. Le renforcement de l’Etat n’a pas vocation à accentuer le centralisme et l’autoritarisme : il doit s’articuler à des dynamiques


régionales plus ouvertes, diversifiées et démocratiques, auxquelles la création de Chambres régionales de santé offre un cadre d’expression institutionnel privilégié. Responsable de la


protection sociale de l’ensemble des Français, l’Etat doit garantir un haut niveau de prise en charge des soins pour toute la population, à l’instar des niveaux de remboursement pratiqués


dans les départements de l’Est de la France. Il doit mettre fin au désengagement de l’assurance maladie en faveur des assurances complémentaires, qui doivent elles-mêmes être régulées par


une autorité indépendante garantissant la transparence de ce marché, aujourd’hui singulièrement opaque.  


En second lieu, le rapport propose une vigoureuse défense des politiques de santé publique plaçant la lutte contre les inégalités sociales de santé et la prévention aux premiers plans. La


lutte contre les inégalités sociales de santé doit être un objectif quantifié et évalué de toutes les politiques publiques (logement, éducation, emploi, urbanisme, transport…), et non


seulement des politiques de santé. La prévention doit dépasser le modèle de la protection contre les maladies les mieux identifiées, qu’elles soient aigües ou chroniques, pour couvrir le


domaine plus large et émergent des maladies engendrées par les formes de notre organisation économique et sociale. Un effort particulier doit être réalisé dans le domaine de la prévention


des maladies sociétales, comportementales ou environnementales, c’est-à-dire des maladies induites par l’organisation économique et sociale. Cet effort doit se conduire par la mise en place


de taxes selon le principe pollueur/payeur.  


En troisième lieu, le rapport propose de diversifier les formes d’exercice et de recours aux soins en offrant aux professionnels et aux patients une plus grande diversité de choix dans leurs


modes de suivi. Il propose de développer des structures de soins coordonnés en médecine ambulatoire, aux côtés d’un exercice libéral lui-même modernisé grâce à la définition contractuelle


et plus individualisée des modes de rémunération. Le rapport propose d’équilibrer la politique hospitalière en instituant des principes de gouvernance plus démocratiques, des formes


d’organisation et de financement plus ouvertes sur le secteur ambulatoire et des outils de gestion moins exclusivement financiers, plus respectueux de la qualité des soins et du contexte


social et environnemental des établissements. En renforçant les responsabilités de l’Etat, en redéfinissant ses missions de santé publique et en diversifiant les modes de recours aux soins,


le rapport suggère de dépasser les régressions individualistes mises en œuvre ces dernières années aussi bien que les réactions corporatistes qui leur sont parfois opposées. Il valorise un


projet progressiste inscrivant les aspirations individuelles des Français et des professionnels de santé dans des dynamiques solidaires et, le cas échéant, collectives, garanties par l’Etat.


TN : Le rapport attribue une place importante à la question des inégalités sociales de santé. Comment cette question est-elle abordée ?  


L’existence de fortes inégalités face à la santé ne fait l’objet d’aucun doute parmi les observateurs informés. D’autant moins que les inégalités observées tendent à s’accroître au fur et à


mesure que les états de santé s’améliorent, les mieux dotés bénéficiant davantage et plus rapidement des progrès enregistrés que les plus vulnérables. Or jusque récemment, la question des


inégalités sociales de santé n’a eu qu’une place modeste dans le débat politique, en dehors de la promotion de l’accès aux soins à travers la création de la CMU. Si des initiatives se font


jour, dans les politiques nationales comme à l’échelle locale, à travers les ateliers santé-ville ou la mise en place des nouvelles agences régionales de santé, une stratégie d’ensemble


reste à élaborer.  


Quelques axes d’action peuvent rapidement être envisagés. Outre la mise à disposition de données, d’études, d’explications, de recherches sur le phénomène, un effort permanent doit être fait


pour inscrire durablement la question des inégalités sociales de santé parmi les objectifs des politiques de santé, voire de l’ensemble des politiques publiques plus largement. Il faut des


instruments quantifiés permettant une explicitation et un suivi des objectifs à partir d’indicateurs. Cela suppose l’identification de publics spécifiques, auprès desquels peuvent être


conduites des actions précises. L’organisation des pouvoirs publics, notamment à l’échelle territoriales ainsi que l’association des professionnels de santé, notamment au niveau des soins


ambulatoires, constituent aussi des conditions de réussite d’une politique de réduction des inégalités sociales de santé. Enfin l’évaluation des objectifs sont de nature à renforcer la


pérennité des politiques conduites dans ce domaine.  


TN : La lutte contre les inégalités sociales de santé ne s’inscrit-elle pas aussi dans une politique plus large en matière de prévention ? Dans ce domaine, vous préconisez à la fois un


renforcement de l’action publique et un renforcement de l’autonomie des individus. N’y a t-il pas une contradiction entre l’engagement accru de l’Etat et le renforcement de la liberté des


individus ?  


DB : Non, pas du tout. La prévention a longtemps été négligée en France au bénéfice des soins. A tel point que les institutions en charge de la prévention se sont développées auprès de


l’administration, plutôt qu’aux côtés des professionnels de santé et des patients. Ce modèle administratif était adapté à la prise en charge des maladies infectieuses ou des cancers dans les


décennies d’après-guerre. Il est moins adapté au nouveau tableau clinique, caractérisé par l’importance relative inédite des maladies chroniques et par l’émergence de nouvelles maladies


sociétales ou comportementales, voire environnementales. Un autre modèle de prévention doit être promu. Il doit déborder très largement les espaces administratifs traditionnels de la santé


publique. Il doit impliquer plus directement les professionnels de santé et les individus eux-mêmes, directement intéressés à la préservation ou la promotion de leur santé et de leur bien


être. Ce modèle doit être respectueux de l’autonomie des personnes et valoriser leurs capacités d’information et de choix, plutôt que chercher à contrôler, à orienter ou à sanctionner leurs


comportements.   Respectueux de l’autonomie, ce modèle de prévention n’est pas pour autant individualiste, fondé sur la seule « responsabilisation » des personnes, voire des malades. Les


individus doivent être considérés dans leur environnement social, à travers des appartenances à des réseaux ou à des institutions d’appartenance, comme l’école ou le monde du travail. Les


structures de prévention qui existent depuis longtemps dans ces espaces de vie ne doivent plus être négligées et livrées à elles-mêmes, elles doivent être intégrées dans des schémas


transversaux de prévention. La promotion d’un nouveau modèle de prévention exige en outre un engagement fort de l’Etat. Son rôle est avant tout de définir une stratégie nationale cohérente,


mettant en relation des institutions déjà existantes, souvent dépositaires d’un savoir-faire éprouvé en matière de prévention mais souvent superposées et étanchesles unes aux autres. L’Etat


doit par exemple rapprocher les services de PMI et de médecine scolaire, les Agences régionales de santé et les rectorats. Des moyens humains et financiers doivent être affectés à cette


stratégie nationale. Leur usage doit être évalué en amont et aval de la décision publique dans le cadre de financements pluriannuels, à l’échelle nationale comme à l’échelle des régions.  


TN : En matière d’assurance maladie, le rapport propose rien moins qu’un changement de référentiel. De quoi s’agit il ?  


DB : Les réformes engagées au cours de la dernière décennie dans le domaine de l’assurance maladie ont fragilisé l’édifice de la Sécurité sociale. Le désengagement insidieux de l’assurance


maladie a de multiples effets, souvent aussi discrets que pernicieux. Au-delà des baisses de remboursements, de l’érosion de la prise en charge des soins courants et de l’augmentation du


coût des assurances complémentaires, de nouvelles fractures risquent d’apparaître au sein de la population. Les personnes malades et vulnérables sont les victimes les plus directes. Mais le


système est aussi menacé dans ses grands équilibres par le risque d’apparition d’une fracture entre deux modes de prise en charge de niveau sensiblement différent, selon que l’on est ou non


atteint d’une affection longue durée.   Cet écart risque de miner le principe de solidarité entre tous les français sur lequel repose l’édifice de la Sécurité sociale. La prise en compte de


ces dynamiques régressives conduit à faire des propositions globales, relatives à l’architecture du système d’assurance maladie, et plus singulièrement aux équilibres entre la Sécurité


sociale et les assurances complémentaires, qu’elles soient mutualistes ou privées. Nous proposons de changer de référentiel en matière de régulation de l’assurance maladie, en affirmant la


possibilité de faire évoluer le système actuel vers un plus haut niveau de prise en charge, comparable à celui qui existe d’ores et déjà en Alsace-Moselle. Cela suppose que l’Etat joue un


rôle accru. De manière plus concrète, nous proposons qu’une procédure démocratique conduise à définir le panier de soins pour lesquels on veut faire jouer la solidarité, et que l’Etat


garantisse un haut niveau de prise en charge de ces soins. Deux stratégies sont possibles : soit une extension de la couverture par la sécurité sociale sur le modèle du régime existant en


Alsace Moselle, soit l’obligation de souscrire une assurance obligatoire complémentaire, dont les activités devront être régulées. Cela permettra de délimiter un champ d’intervention pour


des assurances supplémentaires, par nature privées et facultatives.  


TN : En matière d’organisation des soins, le rapport prolonge un ensemble de réflexions et de réformes visant à développer la coordination entre une médecine ambulatoire rénovée, plus


collective et transversale, et la médecine hospitalière, qui a été l’objet de récentes réformes. Comment cette coordination peut être développée ?


DB : Après les dix dernières années de réformes hospitalières, le système de soins a aujourd’hui besoin d’équilibre. Nous proposons une évolution de l’organisation des soins qui s’articule


aux transformations de la médecine ambulatoire, largement laissée en marge des réformes les plus récentes. L’enjeu est de favoriser une organisation de soins plus coordonnés en médecine


ambulatoire, et de favoriser les articulations entre la médecine ambulatoire coordonnée et le monde hospitalier. Pour ce faire, les modèles du passé doivent être dépassés. Il ne s’agit plus


ni de réhabiliter la figure traditionnelle du médecin de famille en médecine ambulatoire, ni de revenir à l’âge d’or du pouvoir hospitalier. Il s’agit de promouvoir le développement de


structures de soins coordonnés, notamment de maisons de santé, aux côtés des activités libérales et des structures hospitalières existantes. Pour ce faire, la réforme des relations


contractuelles entre la médecine de ville et les pouvoirs publics doit permettre de diversifier les modes de rémunération afin d’encourager des pratiques transversales et coordonnées,


adaptées aux enjeux épidémiologiques et démographiques d’aujourd’hui. Le soutien aux projets innovants et le développement de filières académiques en médecine générale et en soins infirmiers


peuvent favoriser l’organisation de soins coordonnés. Parallèlement, le monde hospitalier a besoin de souffler et d’être plus étroitement articulé à une médecine ambulatoire renouvelée. Les


réformes engagées au cours de la dernière décennie ne doivent pas être abandonnées, elles doivent être équilibrées. La diversification des modes de financement, le renforcement des


instances de délibération et de participation, ainsi que la création de dispositifs favorisant les liens entre la ville et l’hôpital, tels qu’une présence hors-les-murs de praticiens


hospitaliers ou la création de tarifs associant pratiques ambulatoires et hospitalières, sont de nature à équilibrer les dynamiques hospitalières en les associant à la médecine de ville ou


de village.  


TN : Tous ces changements en matière de santé publique, d’assurance maladie et d’offre de soins supposent un nouveau rôle pour l’Etat, plus affirmé dites vous. Vous appelez de vos vœux un « 


Etat sanitaire fort ». S’agit-il en somme d’étatiser le système de santé ?  


DB : Certainement pas ! Cette expression n’a d’ailleurs pas grand sens, tant le rôle de l’Etat est déjà important, sauf peut être à agiter le chiffon rouge pour que rien ne change… Il ne


s’agit pas d’étatiser le système de santé mais de rendre à l’Etat son rôle de coordination et de régulation de l’ensemble des acteurs, y compris en renforçant leur capacité de choix.   Les


réformes de l’assurance maladie et de la santé publique engagées ces vingt dernières années ont modifié les principes de régulation et de gouvernance du système de santé. Elles ont renforcé


les capacités de régulation de l’Etat et lui ont donné un caractère plus régional, à travers la création des agences régionales de santé par exemple. Ces évolutions ont introduit des


déséquilibres. Elles ont exclus des dispositifs de régulation des acteurs importants du système de santé, comme les professionnels de santé, sans parvenir à y inclure de nouveaux acteurs,


comme les représentants de patients. Elles ont multiplié les organismes publics indépendants sans les coordonner entre eux. Elles ont délégué à des organismes publics indépendants des


fonctions exécutives. Le renforcement des capacités de régulation de l’Etat doit être poursuivi, mais il doit être plus équilibré. Nous privilégions pour ce faire trois principes : le


renforcement du rôle de l’Etat, sa régionalisation et son approfondissement démocratique.  


Ces principes s’équilibrent mutuellement, la régionalisation et la démocratisation de la régulation tempérant le renforcement de l’Etat. Le renforcement du rôle de l’Etat se traduit par le


renforcement de son rôle dans l’administration de l’assurance maladie et de la médecine ambulatoire, tant au niveau central qu’au niveau régional. Ce rapprochement permet de rassembler sous


la tutelle unique du ministère de la Santé la régulation de la médecine ambulatoire, de la médecine hospitalière et de la santé publique, aujourd’hui dissociées dans le système dyarchique


séparant les compétences de l’Etat et de la Sécurité sociale. Le rôle de l’Etat dans la régulation des assurances complémentaires santé doit en outre être renforcé par la création d’une


autorité indépendante s’assurant des conditions de concurrence et de transparence de l’information. La réforme du système de sécurité sanitaire doit conduire à dissocier des fonctions


exécutives, réintégrées dans l’administration centrale, et des fonctions d’expertise et d’évaluation, qui doivent disposer d’une totale indépendance. La création d’une autorité indépendante


d’évaluation et de sécurité sanitaire a vocation à rassembler et à rationaliser les capacités d’expertise scientifique publique nécessaires à l’administration du secteur sanitaire,


aujourd’hui dispersées. Enfin, le caractère démocratique de la régulation régionale sera renforcé par la création de Chambres régionales de santé rattachées aux Conseil régionaux. Leurs


compétences en matière de prospective et de participation à l’organisation de soins équilibreraient le renforcement des Agences régionales de santé.


Lire aussiDépendance, pour une prise en charge pérenne et solidaireLes défis du Care : renforcer les solidaritésRéinventons notre système de santé, au-delà de l’individualisme et des


corporatismes


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