La politique monétaire de la banque centrale européenne dans tous ses états | terra nova
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Les événements prirent une autre tournure aux États-Unis après la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008. La panique s’étant répandue comme une trainée de poudre et s’étant manifestée
par une demande généralisée de liquidité ultime par le secteur privé, la Fed et la Banque d’Angleterre (BoE) sont passées immédiatement au « _ quantitative easing_ ». La taille du bilan
de la Fed est passée de $800mds à $2200mds en quelques semaines dès l’automne 2008. Avec les accords de swaps croisés des banques centrales décidés au début d’octobre 2008, le bilan de la
BCE a également gonflé, mais beaucoup moins, de €650mds à €1000mds environ, dont €210mds procurés par les accords de swaps de change. Mais la politique monétaire est demeurée très prudente,
la BCE cherchant même à réduire la taille de son bilan au cours de l’année 2009 grâce à la sortie de la récession à demi-année. Lorsque la crise grecque a éclaté, la taille de son bilan
était retombée autour de €800mds. La découverte de l’insolvabilité de la Grèce en mai 2010 a ouvert l’ère des initiatives qui furent autant de transgressions du traité de Maastricht, lequel
ignorait superbement la possibilité de crises financières généralisées, au-delà du prêt en dernier ressort réservé aux banques et stérilisé. À partir de cette époque les débats internes à la
BCE sont devenus plus âpres. Le besoin d’être pragmatique est devenu vital et l’influence du dogmatisme de la Bundesbank a régressé au sein du comité de politique monétaire. La BCE a innové
de deux manières : de nouvelles formes d’injection de liquidité dans l’économie appliquées aux maillons faibles des vulnérabilités financières qui se révélaient les unes après les autres
d’une part, l’assouplissement des règles de collatéral que les banques doivent présenter pour obtenir de la liquidité de la BCE d’autre part. PROVISIONS DE LIQUIDITÉS ET ASSOUPLISSEMENT DU
COLLATÉRAL Du 14 mai au 9 juillet 2010 le Conseil Européen a dû se résigner à accepter que la BCE achète sur le marché secondaire les titres des gouvernements de trois pays placés sous les
programmes d’aide de la troïka (Commission Européenne, FMI, BCE) dans les opérations appelées SMP ( _ securities_ _ market programme_ ). C’était une incursion timide dans la technique du
quantitative easing qui était le fer de lance de la Fed et de la BOE. Parallèlement la BCE a recouru à un modeste programme d’achats de titres sécurisés ( _ covered bond purchase programme_
) à partir de juillet 2010 pour €60mds. À cela s’est ajoutée une extension des opérations de fourniture de liquidité à l’égard des banques et une modification de la technique. Les opérations
de refinancement sont devenues potentiellement illimitées en montants, à prix fixes et pour des durées allongées. Ce sont les fameux LTRO ( _ long-term refinancing operations_ ) qui ont les
faveurs de la BCE, car elles sont dirigées au bénéfice des banques et ne remettent donc pas en cause son mandat. Un programme modeste fut mis en place dès mai 2010 : €36mds injectés dans
des prêts à 6 mois. L’aggravation de la situation financière à l’automne 2011 a entraîné le repli des banques sur leur territoire national et menacé toute la zone euro d’une paralysie du
crédit en novembre 2011. La BCE a dû changer d’échelle sans élargir la panoplie des moyens qu’elle avait créés. Ce fut l’épisode des LTRO de 36 mois qui n’eurent qu’un succès mitigé et de
courte durée. Cette opération de refinancement LTRO fut d’une ampleur et d’une durée inusitées. En deux temps (décembre 2011 et février 2012) la BCE a procédé à deux refinancements d’une
durée de 36 mois à taux d’intérêt nul pour un montant cumulé de l’ordre de €1000mds. La taille de son bilan a atteint €2500mds. Cette opération a apporté un répit temporaire sur les marchés
financiers. Les taux d’intérêt sur les dettes publiques des pays fragiles ont reflué, mais le crédit au secteur privé n’a pas repris. Dès les mois d’avril-mai 2012 la crise financière
repartait de plus belle. JUIN SEPTEMBRE 2012 ET AU-DELÀ : LES DÉCISIONS CRUCIALES La leçon de ces échecs répétés est que la gestion à courte vue de la crise que les atermoiements des
gouvernements ont imposée à la banque centrale n’a traité que les symptômes, pas les causes profondes du délabrement de la finance. La déflation de bilan a continué à ronger sournoisement
les institutions financières et à enfoncer les économies dans la récession. La fragmentation financière avait atteint un point tel que seule la BCE maintenait encore l’unité de façade de la
zone euro. L’incapacité des gouvernements de restructurer et de recapitaliser les banques dans les pays fragiles et la réticence des pays créanciers à contribuer à ce processus menaçaient
directement l’existence de l’euro. C’est alors que dans le conseil européen dramatique de juin 2012 les chefs d’État et de gouvernement se résolurent à décider ce qu’ils avaient toujours
repoussé avec horreur jusque-là : entreprendre l’union bancaire. Ce fut la première décision structurelle adéquate pour résoudre un problème structurel. Grâce à cette initiative la BCE a
étendu ses prérogatives à la supervision bancaire. Il s’agit d’un transfert de pouvoir au niveau fédéral qui permet une approche systémique de la surveillance des risques bancaires et donc
rend la BCE potentiellement capable d’intégrer un objectif de stabilité financière dans ses missions. L’autre décision majeure de ce début d’été 2012 a été la décision de rendre possible
l’achat par la BCE de dettes publiques des pays en difficulté, certes sous des conditions très strictes. C’est le programme OMT ( _ outright monetary transactions_ ). Ce programme n’a jamais
été appliqué et ne le sera peut-être jamais. Mais le président du directoire de la BCE Mario Draghi a su s’en servir avec une habileté diabolique. Fin juillet 2012 il déclara solennellement
que la BCE ferait tout ce qui est en son pouvoir pour sauvegarder l’euro et il assurait le monde entier que ce serait suffisant et qu’il était prêt à acheter des titres publics si
nécessaire. Ce discours agit comme une baguette magique. Il retourna l’opinion des marchés financiers du pessimisme noir à l’optimisme délirant. Tous les marchés financiers repartirent à la
hausse sans que rien ne s’arrange dans l’économie réelle, car l’investissement productif a continué à baisser. Sans flux d’investissement robuste et prolongé pour récupérer le terrain perdu
depuis cinq ans, pas de remontée de la croissance potentielle et pas de fermeture de l’output gap. La récession s’est prolongée dans la zone jusqu’au second trimestre 2013 et la récupération
n’a pas tardé à décevoir. C’est pourquoi la BCE s’est retrouvée en première ligne pour éviter que l’inflation ne baisse dangereusement et pour tenter de relancer le crédit aux entreprises.
Le 5 juin 2014, après des mois de tergiversations et d’hésitations, où il a espéré que le taux d’inflation se redresserait spontanément, le conseil de politique monétaire de la BCE a admis
le danger d’une inflation trop basse, trop longtemps. Il a décidé de commencer à infléchir la politique monétaire de la zone euro. D’abord la BCE a relancé le LTRO sur une durée de quatre
ans dans une nouvelle opération appelée TLTRO. Mais cette fois elle a conditionné sa facilité aux banques qui prêtent au secteur privé non financier à l’exclusion des crédits aux ménages
pour l’acquisition de biens immobiliers. Les banques pourront emprunter à la BCE jusqu’à 7 % du montant de leurs crédits des catégories éligibles. Il s’agit clairement de favoriser le
financement de l’investissement productif et de la consommation. Deux opérations sont prévues en septembre et décembre 2014 pour un montant de €400mds. Des prolongements seront possibles de
mars 2015 à juin 2016. Les banques qui décideront d’emprunter dans ce schéma payeront un taux d’intérêt de 0,25 % (10pts de base au-dessus du taux directeur). Les remboursements pourront se
faire à partir de 24 mois après chaque opération. Car la BCE a baissé son taux d’intérêt directeur à 0,15 % et a introduit pour la première fois un taux d’intérêt négatif de –0,10 % sur les
dépôts des banques, sur les dépôts liés aux opérations spéciales de refinancement et sur les réserves excédentaires des banques. Ce taux d’intérêt directeur a même été une nouvelle fois
abaissé à 0.05% le 4 septembre 2014 faisant passer le taux du refinancement par LTRO à 0.15%. De plus elle élargit encore la gamme des collatéraux admis en garantie du refinancement normal.
Enfin la BCE déclare préparer l’achat de titres privés appelés ABS ( _ asset-backed securities_ ) qui sont des crédits titrisés sur le secteur privé non financier, toujours pour inciter à la
reprise du crédit. Mais le problème majeur est que toute l’opération pourrait n’être qu’un coup d’épée dans l’eau. En lançant cette opération la BCE postule que les banques manquent de
liquidité pour faire des crédits à l’économie et que, par conséquent, si cette liquidité est au rendez-vous les montants du crédit vont gonfler. Mais si la maladie de l’économie de la zone
euro est bien la stagnation séculaire, cela veut dire que la demande agrégée de l’économie réelle ne décolle pas. Dans ce cas il n’y aura pas plus de demande de crédit avec ou sans TLTRO.
Les banques se serviront de la nouvelle facilité pour rembourser des prêts anciens de la BCE qui arrivent à échéance pour €400mds sur l’ancien LTRO. Cela concerne surtout les banques
espagnoles et italiennes En effet, au cours de l’été 2014 la conjoncture économique de la zone euro s’est sensiblement dégradée. A la surprise générale l’Allemagne est tombée en récession au
second trimestre. Le taux d’inflation a continué à refluer de 0,5% en juin à 0,3% en août. L’Italie et l’Espagne ont basculé en déflation. Il devenait dangereux d’attendre les effets des
mesures adoptées en juin pour annoncer et prendre des dispositions plus innovantes. A l’occasion du symposium des banques centrales à Jackson Hole (Wyoming), Mario Draghi a prononcé un
discours fort remarqué le 22 août. Avertissant que la politique monétaire ne pouvait pas tout faire toute seule, il a placé les gouvernements devant leurs responsabilités. La seule manière
de sortir du piège d’une inflation quasi-nulle et d’un chômage à deux chiffres, a-t-il dit, « est une politique combinée (policy mix) de moyens monétaires, budgétaires et structurels au
niveau de l’union et au niveau national ». Ces dispositions sont assorties d’un appel aux gouvernements qui se démarque de la séparation complète entre politiques monétaire et budgétaires
qui est le fondement même de l’organisation des pouvoirs en zone euro. Les économies les plus faibles doivent se réformer en levant les obstacles à la création des entreprises et des
emplois. Les pays qui ont la latitude de dépenser plus tout en demeurant dans les règles du traité doivent le faire pour établir une orientation budgétaire totale plus favorable à la
croissance. Il s’agit donc d’un appel à la coopération entre politique monétaire et budgétaire. Pour sa part, la BCE n’a pas tardé à agir. Fin août l’indication que le risque de déflation
augmentait encore avec un décrochage vers le bas des anticipations d’inflation à 5 ans incorporées dans les taux d’intérêt de marché a incité le comité de politique monétaire à agir dans sa
réunion du 4 septembre sans attendre les effets des mesures prises en juin. Le taux d’intérêt directeur a été abaissé à 0,05% et un programme d’achats de titres privés sous forme de crédits
titrisés ( _ asset-backed securities_ ou ABS) va être lancé. Pour pouvoir opérer sur un volume potentiel suffisant, le programme de rachats comprendra non seulement des titres émis sur des
crédits aux entreprises et des obligations sécurisées ( _ covered bonds_ ), mais aussi des titres adossés à des crédits hypothécaires. Mario Draghi a annoncé l’ampleur du programme visé : la
taille du bilan de la BCE devrait passer de €2000mds à €3000mds en ajoutant les nouveaux achats de titres et le programme TLTRO des nouveaux financements bancaires. La balle est donc dans
le camp des gouvernements. L’incomplétude de l’euro au prisme de la nature de la monnaie L’Europe se caractérise par l’incapacité des pays à mener ensemble des politiques efficaces dans tous
les domaines. Nous vivons dans un espace monétaire commun sans espace public, donc sans institutions qui pourraient animer une vie démocratique, source de coordination et de choix
collectifs. C’est pourquoi on dit à juste titre que l’euro est une monnaie incomplète. Elle est commune aux agents économiques dans les échanges marchands, mais elle est étrangère aux États.
Cette singularité résulte de l’ambiguïté des motifs qui l’ont créée. Elle a perduré par les blocages politiques qui sont survenus au fur et à mesure du temps. C’est pourquoi la zone euro ne
disposait ni des moyens d’action communs, ni surtout de la clairvoyance des dirigeants politiques et encore moins de la légitimité démocratique pour faire prévaloir les intérêts à long
terme de la construction européenne confrontée au choc dévastateur de la crise financière. Néanmoins les gouvernements ont affirmé leur volonté de préserver l’intégrité de la zone euro dans
l’adversité. La menace sur la zone euro n’est donc pas une rivalité rédhibitoire qui aurait entraîné un éclatement de la zone, mais un défaut de coordination. Considéré sous cet angle, le
problème peut trouver des solutions dans un chemin d’évolutions institutionnelles dans les domaines financier et budgétaire se nourrissant des obstacles et des périls pour avancer. Ces
institutions doivent être capables de nouer une coopération crédible pour réanimer l’investissement public au niveau européen et à celui des pays membres à condition d’ouvrir une voie vers
une légitimité démocratique. Cela permettrait d’élaborer le policy mix européen que Mario Draghi appelle de ses vœux. COMMENT S’INTERPRÈTE LE LIEN DE LA MONNAIE ET DE L’ETAT ? La monnaie
n’est pas une marchandise, c’est un contrat social. Car elle est le medium commun par lequel la collectivité qui en fait usage rend à chacun de ses membres dans l’acte de payer ce qu’elle
juge avoir reçu de lui par son activité. Le système de paiements est donc le bien public qui valide l’utilité sociale de l’activité de chacun. La monnaie règle le mouvement des dettes qui
font la cohérence quotidienne des sociétés organisées selon une multitude d’échanges séparés. Pour pouvoir régler des dettes, la monnaie a elle-même la nature d’une dette. C’est la dette
ultime reconnue et acceptée par tous. On peut la définir comme la dette de la société dans son ensemble sur elle-même. Elle se différencie donc radicalement des dettes privées. En cela la
monnaie est le bien commun par excellence. La monnaie est donc le lien social le plus général. Elle appartient à tous ceux qui l’acceptent comme un bien commun indiscuté et indiscutable.
Dans un monde où les collectivités humaines sont organisées en nations, elle fait partie de la souveraineté nationale. Si l’on fait la distinction entre la source nominale du pouvoir qui est
la souveraineté du peuple et le monopole de la violence légitime, la confiance commune dans la monnaie échappe en partie à l’État. Cette idée est difficile à comprendre en France où les
principes révolutionnaires poussent à identifier la souveraineté du peuple à l’État. Mais elle est inhérente à ce qu’était l’organisation monétaire allemande avant l’euro. Le principe
fondateur de l’Allemagne fédérale est l’ordo-libéralisme qui a trouvé son expression juridique formelle dans la Loi Fondamentale de 1948. C’est elle qui institue la souveraineté du Peuple.
Elle est au-dessus de l’État, car elle formalise dans un ordre constitutionnel les valeurs morales les plus incorporées de la société. L’ordre juridique fait obstacle à tout pouvoir
arbitraire, qu’il vienne de l’État par une majorité politique ou de coalitions d’agents privés (oligopoles, cartels, lobbies). Toutefois l’État n’est nullement minimal vis-à-vis de
l’économie, contrairement à la conception ultralibérale d’obédience anglo-saxonne. Mais il doit inscrire son action dans le cadre institutionnel du marché. Le cadre institutionnel se
distingue des mécanismes du marché ; sa clef de voûte est la monnaie. La stabilité de la monnaie est bien plus qu’un objectif de politique économique. C’est un impératif catégorique de la
Loi Fondamentale. La stabilité de la monnaie est constitutive d’un ordre social qui transcende le politique. C’est pourquoi elle doit être assumée par une institution indépendante. En aucun
cas cela veut dire que l’objectif de stabilité monétaire puisse être poursuivi sans que la banque centrale s’implique dans les problèmes de la société. Mais ses modes d’action et les
relations qu’elle noue doivent s’inscrire dans l’ordre constitutionnel. Il faut donc tenir les deux faces de la monnaie. La première est l’autonomie par rapport au pouvoir exécutif de l’Etat
sous une charte conférée par le peuple souverain à travers la Loi Fondamentale en Allemagne, par le Congrès dépositaire de la souveraineté populaire aux Etats-Unis. L’autonomie par rapport
à l’Etat ne peut donc pas s’interpréter comme une indépendance absolue. L’autre face est le lien organique de la monnaie et de l’État via la dette sociale. La dette sociale se distingue des
dettes privées en ce qu’elle est la dette de chaque membre de la société vis-à-vis de la société tout entière. En effet tout individu, en tant que membre de la société, dispose au cours de
sa vie des biens publics qui font la cohésion des sociétés : éducation gratuite ou subventionnée, service de santé, sécurité, infrastructures, agréments culturels des villes, etc. L’ensemble
des actifs réels qui constituent ces biens publics et qui produisent les services publics forme le capital collectif de la société. La dette sociale est la contrepartie de ce capital
collectif. C’est la dette de chaque membre de la société à l’égard de la société en tant que puissance collective, dont l’organisation est la condition de la vie individuelle. Chaque membre
de la société consomme les services du capital collectif. Cette dette est honorée par le flux des impôts dus par les individus adultes leur vie durant. La légitimité de l’impôt est la
contrepartie de la reconnaissance du bien commun. Les impôts sont levés par l’État sous le contrôle du parlement en tant que puissance tutélaire de la société. La dette publique,
c’est-à-dire la dette financière de l’État (au sens large), résulte d’un transfert intergénérationnel lorsque l’État décide de s’endetter pour produire les biens publics, donc de les
financer par des impôts différés. Ce transfert intergénérationnel établit la cohésion de la société dans le temps. En effet, lorsque l’État investit en capital collectif, il élève la
capacité de production future de la nation ; ce qui crée un surcroît de revenus futurs. Il s’ensuit que les générations futures qui bénéficieront de cette augmentation du capital collectif
seront plus riches pour contribuer au remboursement de la dette publique grâce à laquelle l’investissement collectif a été financé. Il s’ensuit un lien organique entre l’État et la monnaie.
Ces deux dimensions, la monnaie en tant que lien de confiance entre les citoyens et la monnaie en tant que medium dans lequel la dette sociale est honorée, font l’ambivalence de la monnaie .
C’est l’ordre constitutionnel, garantissant à la fois le lien de confiance et la solvabilité de la dette sociale, qui définit la complétude de la monnaie. EN QUEL SENS L’EURO EST-IL UNE
MONNAIE INCOMPLÈTE ? _ L’euro est une monnaie incomplète parce que cet ordre constitutionnel est absent._ La BCE est la seule instance fédérale dans un ensemble de nations qui ne sont unies
par aucune constitution démocratiquement instituée. C’est une monnaie qui n’est pas adossée à une dette sociale reconnue dans le même espace. C’est pourquoi le statut de la banque centrale
dans le traité intergouvernemental de Maastricht lui a interdit d’acheter la dette publique des pays membres. Cette règle unique au monde résulte du caractère contradictoire de
l’organisation de l’union monétaire européenne. La BCE émet une monnaie commune aux citoyens des pays membres, mais étrangère à tous les États. Dans la première dimension la zone euro est
plus qu’un régime monétaire international, parce qu’elle a une banque centrale et un système de paiements unifié. Mais dans la seconde l’euro est une monnaie étrangère à changes fixes pour
tous les États. En effet, les pays de la zone euro sont privés du lien organique, qui existe partout ailleurs, entre la banque centrale et l’État souverain. Dans tout pays qui émet la
monnaie dans laquelle la dette publique est libellée (donc si la dette publique n’est pas émise en monnaie étrangère) et dont l’État n’est pas défaillant, la dette publique est à l’abri du
défaut, parce que l’État a la capacité ultime de monétiser sa dette, donc de la mettre hors marché. Cela résulte de la réciprocité du lien organique entre banque centrale et État. L’État est
le garant ultime du capital de la banque centrale. La banque centrale est le prêteur en dernier ressort du système financier dont le pivot est la dette publique. La crise financière a eu
des effets dévastateurs en zone euro parce que ce lien organique n’existait pas. Lorsque la crise a révélé l’insolvabilité de la Grèce, la panique des créanciers privés a attaqué les dettes
publiques d’États solvables parce que l’autorité monétaire a été empêchée de jouer son rôle de prêteur en dernier ressort selon les oukases du traité de Maastricht. Ce faisant, le traité ne
pouvait qu’exacerber les rivalités nationales dans les conditions de la crise financière entre les pays créanciers et les pays débiteurs. À leur tour ces rivalités ont irrémédiablement
conduit à la fragmentation de l’espace financier européen que la création de l’euro avait voulu unifier. C’est pourquoi le conseil des chefs d’État d’un côté, la BCE de l’autre se sont
trouvés au pied du mur. Il fallait d’urgence, par une politique des petits pas, scandée par les événements de crise, apporter des réponses institutionnelles ad hoc de substitution à
l’absence du lien organique entre monnaie et États. Toutefois les mesures décrites dans la première section ne sont pas des expédients surajoutés (et donc jetables) à la doctrine immuable du
ciblage de l’inflation. Elles forment une trame pour une doctrine monétaire compatible avec un nouveau référentiel économique, celui du cycle financier, de la déflation de bilan et de la
stagnation séculaire. La politique monétaire ne peut se rénover que dans un nouveau cadre macroéconomique Avant la crise financière la politique monétaire en zone euro obéissait à une
conception dite « monétariste ». Celle-ci faisait partie d’une mouvance idéologique qui avait pris une influence dominante dès la fin des années 1970 dans la lutte contre l’inflation
généralisée qui sévissait à cette époque. En même temps, la déréglementation et la globalisation financières modifiaient du tout au tout la manière dont la finance avait été gérée dans les
trente années précédentes. POURQUOI LA POLITIQUE MONÉTAIRE A-T-ELLE ÉTÉ L’OTAGE D’UNE DOCTRINE DITE « MONÉTARISTE » ? Dans le quart de siècle précédent la grande crise financière, une
doctrine monétaire unilatérale s’est imposée : le ciblage de l’inflation. Elle se résume dans la formule lapidaire : « un objectif unique : la stabilité du niveau général des prix ; un seul
instrument : le taux d’intérêt monétaire ». Cette doctrine n’a de sens que si l’on peut postuler que la stabilité des prix est la condition nécessaire et suffisante de la stabilité
macroéconomique. Il s’ensuit qu’une crise systémique de la violence, de l’étendue et de la durée de celle que nous avons connue depuis 2007 dans un contexte de « Grande Modération » des
prix, invalide l’hypothèse. A moins de la considérer comme un dogme, la politique monétaire doit être fondée sur un autre paradigme. En effet, le ciblage de l’inflation, comme objectif
unique de la politique monétaire, affirme qu’il est nécessaire et suffisant d’ancrer les anticipations d’inflation. Cela veut dire que cette doctrine émet une hypothèse forte sur la nature
de la finance que l’on peut appeler le « _ fondamentalisme du marché_ ». La finance doit être parfaitement efficiente : les actifs financiers ont des valeurs fondamentales connues de tous,
qui sont censées ne dépendre que de l’économie réelle et que la finance ne fait que révéler. Les anticipations rationnelles des acteurs exercent des forces de rappel puissantes lorsque les
chocs font dévier les prix de marché. Les actifs sont parfaitement substituables et les marchés financiers complets et parfaitement liquides, de sorte que la structure de financement des
agents est indifférente, puisque les taux de rendement ajustés du risque sont égalisés. Il s’ensuit que les prix réels des actifs sont indépendants de la monnaie sous cette hypothèse.
L’évolution commune des taux d’intérêt nominaux ne dépend que des anticipations des taux courts futurs, donc des messages de la banque centrale sur l’inflation à venir. Si l’on croit que la
finance a toutes ces propriétés, alors on peut admettre que la monnaie est neutre, dans le sens où la monnaie n’a pas d’effet sur l’économie réelle, ni sur le niveau global de l’activité
économique, ni sur la répartition de la production entre les catégories de biens et des revenus entre les agents économiques. Dans ce monde pourquoi la banque centrale participerait-elle à
des arbitrages politiques, puisque ce ne serait pas économiquement et socialement pertinent ? La politique monétaire peut être poursuivie par une banque centrale totalement indépendante, dès
lors que sa mission unique de réguler l’évolution du niveau général des prix lui a été conférée et garantie par une instance parlementaire souveraine, ou par un traité international dans le
cas particulier de la zone euro. Le lien organique entre monnaie et Etat, sur lequel on a insisté plus haut, n’a pas de raison d’être dans cette représentation de l’économie. La raison
ultime du monétarisme se trouve dans une controverse inépuisable sur la nature de la monnaie entre des théories inconciliables : le « _ currency principle_ », selon lequel la monnaie est
une marchandise particulière, et le « _ banking principle_ », selon lequel la monnaie est une dette. Selon le premier de ces principes, seule compte la quantité de monnaie dont dépend la
stabilité de sa valeur dans le temps. Selon le second principe, la monnaie étant une dette, la dette ultime reconnue et acceptée par tous, la qualité de la monnaie est cruciale parce que la
monnaie est ambivalente : elle est la dette qui est le moyen de règlement de toutes les autres dettes. Par conséquent, la stabilité financière est un objectif monétaire primordial. Pour le
préserver la monnaie doit entretenir un lien organique avec l’Etat. Mais alors quelle hypothèse sur la nature de la finance est compatible avec la définition de la monnaie comme dette ?
INCERTITUDE ET CYCLE FINANCIER Que veut-on dire lorsqu’on dit que l’incertitude, et pas seulement le risque, est le milieu dans lequel évolue la finance ? On fait une hypothèse radicalement
orthogonale à l’hypothèse du fondamentalisme du marché, selon laquelle les actifs ont toujours des valeurs fondamentales bien déterminées. Pour que la finance puisse découvrir des valeurs
fondamentales prédéterminées, il faut que le temps soit homogène, c’est-à-dire que le temps du futur ait la même objectivité que le temps dans lequel l’observation et l’analyse extraient la
connaissance des régularités du passé. L’incertitude du futur est la négation de ce postulat. Le temps de l’avenir n’est pas un temps objectif. C’est le temps contrefactuel des croyances
parce que la finance n’est rien d’autre qu’un commerce de promesses. Le marché organise les interactions stratégiques des acteurs, de sorte qu’émerge une opinion collective de nature
conventionnelle à chaque date présente. Une valeur conventionnelle agit sur l’économie et produit _ une_ réalité. Une autre convention produit une _ autre_ réalité. Aucune n’est plus «
fondamentale » que les autres. Ce sont des équilibres multiples auto référentiels. Ce qui transforme les croyances en projets, c’est la dette créatrice de monnaie. La monnaie de crédit est
endogène aux actes économiques qui engagent le futur. Les conditions de son émission seront-elles validées par les paiements futurs ? Cette interrogation ronge irrémédiablement la finance
dans ce qui est son essence : gagner de l’argent avec l’argent. Elle est responsable des fluctuations de la confiance qui influencent la totalité des évolutions économiques en provoquant les
migrations des croyances d’un équilibre possible à un autre. Il s’ensuit que les changements de perception de l’avenir s’inscrivent dans les bilans des preneurs de paris pour y créer des
déséquilibres interconnectés par les relations de crédit. C’est pourquoi le rôle de la banque centrale, qui émet la dette fiduciaire dans laquelle toutes les autres dettes doivent pouvoir se
convertir, est de contenir l’instabilité intrinsèque de la finance. Ce rôle a été reconnu depuis longtemps dans les crises financières qui jalonnent l’histoire du capitalisme sous la figure
du prêteur en dernier ressort. Mais cela ne suffit pas. Parce que la monnaie de crédit a envahi les habitudes de paiements de toute la population, la finance doit être régulée. Dans le
quart de siècle précédant la crise financière globale, une double illusion a régné : d’une part que la régulation pouvait être d’autant plus légère que la finance se développait ; d’autre
part qu’elle pouvait se cantonner à une réglementation micro financière indépendante de la politique monétaire. Tirer les leçons de la crise, c’est dissiper cette double illusion, donc
mettre en évidence la multiplicité et l’interdépendance des objectifs de la politique monétaire. Pour cela il faut analyser la forme que prend l’instabilité financière dans les économies
contemporaines, celle du cycle financier. Celui-ci suscite des vulnérabilités dans l’intermédiation financière qui appellent une politique macro prudentielle liée à la politique monétaire.
En outre, l’interaction des dettes privées et publiques dans le cycle financier crée une interdépendance entre politiques monétaire et budgétaire. Une redéfinition de l’indépendance de la
banque centrale en découle nécessairement. LES VAGUES D’ENDETTEMENT DANS LE CYCLE FINANCIER Le cycle financier résulte d’une interaction forte entre l’évolution de l’endettement privé et
celle du prix des actifs, de longue durée et de grande amplitude. Il est mû par une logique de momentum. Le momentum veut dire que les trajectoires temporelles des prix des actifs sont les
effets d’interactions auto renforçantes entre les anticipations des participants aux marchés et à leurs attitudes face au risque . Le cycle financier a une périodicité de 15 à 20 ans, donc
une durée bien plus longue que l’horizon de décision des investisseurs privés et des dirigeants politiques obsédés par le cycle électoral Cet horizon est au-delà de leur capacité à s’ajuster
à l’instabilité financière. C’est pourquoi la macroéconomie est spontanément pro cyclique. Quand la dynamique est entraînée par le momentum, les déséquilibres s’accumulent dans les stocks
d’actifs et dans l’endettement. Ils agissent sur les flux de crédit dans les phases haussières et baissières du cycle financier. La périodicité et l’amplitude du cycle financier sont bien
plus grandes que celles des fluctuations de l’économie réelle mesurées par les fluctuations du PIB. Les autorités monétaires l’ont ignoré conformément au postulat de l’auto régulation de la
finance. Comme la doctrine du ciblage de l’inflation était univoque – un instrument (le taux court) et un objectif (la cible d’inflation) -, il n’était pas possible d’interagir avec le cycle
financier et donc d’amortir les déséquilibres qui s’y accumulent. Les politiques monétaires sous l’empire du postulat du fondamentalisme du marché ont donc été inopérantes avant la crise.
Quel a été le rôle de la politique budgétaire ? Une étude récente de trois auteurs s’appuie sur des données qui couvrent un échantillon de 17 pays de l’OCDE depuis 1870 (graphique 1) .
GRAPHIQUE 1. DETTES PUBLIQUES ET CRÉDIT BANCAIRE AU SECTEUR PRIVÉ (1870–2011)
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