Face à la crise financière, un nouveau mandat pour la bce : la stabilité des prix d’actifs | terra nova
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Synthèse Les politiques monétaires menées au cours de la dernière décennie n’ont pas permis d’éviter la crise financière actuelle. Pour certains observateurs, au contraire, ces politiques
– jugées accommodantes – seraient à l’origine de la crise. Redoutant le risque déflationniste suite à l’éclatement de la bulle Internet au début des années 2000, les banques centrales –
particulièrement la FED – ont laissé leurs taux directeurs à des niveaux historiquement bas, alimentant ainsi une dynamique du crédit exceptionnellement soutenue. L’expansion du crédit s’est
traduite par une hausse spectaculaire du prix des actifs, notamment immobiliers. A titre d’illustration, l’augmentation cumulée des prix réels des logements américains a dépassé 90 % entre
1996 et 2006 (année du pic des prix des logements). Concentrées sur leur objectif explicite de maintien de la stabilité des prix – telle que mesurée par l’indice des prix à la consommation
–, les banques centrales n’ont pas pris en compte l’évolution des prix d’actifs (actions, obligations, immobilier, matières premières…). Or, l’observation de séries temporelles sur les prix
à la consommation et les prix d’actifs indique que leurs évolutions sont le plus souvent décorrélées. Ce constat milite donc en faveur d’une double surveillance : les prix à la consommation
d’un côté, et les prix d’actifs de l’autre. D’une certaine manière, la politique monétaire – dans sa conception actuelle – est hémiplégique car seulement focalisée sur l’évolution des prix
de certains biens et services. Il est donc urgent que la politique monétaire marche enfin sur ces deux jambes. Dans cette note, nous proposons que la banque centrale intervienne afin
d’éviter la formation de bulles sur les prix d’actifs alimentées par le crédit, bulles à l’origine des crises bancaires systémiques. Cette considération nous conduit à proposer ici un
nouveau mandat explicite pour la BCE : la stabilité des prix d’actifs. La BCE devra veiller tout particulièrement à la stabilité des prix immobiliers, constante historique des crises
bancaires systémiques. Enfin, il conviendra de privilégier l’adoption par la BCE d’un instrument de régulation unique pour atteindre cet objectif : les réserves obligatoires et progressives
sur les crédits. La dernière crise bancaire systémique – dont les conséquences économiques et sociales se font encore durement ressentir – a démontré que ces pistes de réflexion méritaient
d’être étudiées avec la plus grande attention. L’application des mesures présentées ici constituerait une avancée majeure dans la prévention des crises bancaires de nature systémique et le
maintien de la stabilité financière. A l’heure où Jean-Claude Trichet vient de quitter ses fonctions de Président de la BCE – après huit années passées à la tête de l’institution – au profit
de Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale italienne, il semble particulièrement opportun de relancer dès à présent le débat sur les objectifs et les mandats de la BCE. Cette
réforme importante pourrait figurer à l’agenda politique européen du futur président de la République. Note intégrale L’histoire économique est jalonnée de crises financières liées à la
formation de bulles sur les prix d’actifs – situations dans lesquelles le prix d’un actif s’écarte très fortement et/ou durablement de sa valeur fondamentale. La libéralisation financière a
amplifié ce phénomène comme en témoigne la recrudescence des crises financières depuis le début des années 1980. Cette augmentation du nombre de crises a non seulement touché les pays
développés – crise des _Savings & Loans_ aux Etats-Unis vers la fin des années 1980, crise boursière en 1987, crise immobilière au début des années 1990, crise obligataire en 1994,
éclatement de la bulle Internet en 2000, crise des _subprimes_ en 2008, crise de la dette souveraine dans les pays d’Europe du Sud depuis 2010 – mais également les pays émergents – crise
mexicaine en 1995, crise russe en 1998, crises brésiliennes en 1998 et 2002, crise argentine en 2001[1]… Or, l’éclatement d’une bulle sur les prix d’actifs peut avoir des conséquences
désastreuses sur le système financier et l’économie réelle. La chute brutale des prix d’actifs engendre des coûts économiques et sociaux considérables : recul de l’activité, chômage,
détérioration des finances publiques… La crise des _subprimes_ en est une parfaite illustration. Celle-ci est d’abord une bulle sur les prix des actifs immobiliers américains, alimentée
par une dynamique du crédit particulièrement exceptionnelle. Au cours des années 2000, le rythme d’expansion du crédit a été beaucoup plus rapide que celui de la production (augmentation du
ratio crédit/PIB), ce qui a conduit à un accroissement sans précédent de la masse monétaire. Cette dynamique a été rendue possible par l’abondance de liquidités au niveau mondial – excès
d’épargne dans certaines économies émergentes (Chine et pays pétroliers notamment) – et l’assouplissement des conditions d’octroi de crédit, favorisé par la faiblesse des taux d’intérêts[2].
L’expansion du crédit s’est traduite par une hausse du prix des actifs, notamment immobiliers. Selon l’indice Case-Shiller, l’augmentation cumulée des prix réels des logements américains a
dépassé 90 % entre 1996 et 2006 (année du pic des prix des logements). En 2005, les prix réels des logements ont progressé de plus de 12 %, soit environ six fois le taux de croissance du PIB
réel par tête. La hausse des taux d’intérêt a mis fin à cette dynamique en renchérissant le coût du crédit (baisse de la demande de logements) et en alourdissant la charge de la dette pour
les ménages endettés à taux variables (augmentation des créances douteuses). La baisse des volumes de crédit et les pertes enregistrées sur les prêts _subprimes_ – et d’autres compartiments
de marché[3] – ont entraîné une crise bancaire systémique, qui a plongé l’économie dans une profonde récession et engendré des coûts sociaux considérables (externalités négatives). La
crise des _subprimes_ a naturellement conduit les économistes à s’interroger sur ses causes véritables et sur les instruments de politique monétaire visant à lutter contre les bulles sur les
prix d’actifs et l’emballement du crédit. A la première question, les économistes ont répondu dans leur grande majorité – à quelques nuances près – qu’il existait des causes
microéconomiques (exigence de rentabilité, assouplissement des conditions d’octroi de crédit, pratiques financières à haut risque) et des causes macroéconomiques (déséquilibres financiers
internationaux)[4]. Ainsi, la crise des _subprimes_ a consacré l’inefficacité de la régulation microprudentielle – qui laisse une grande place à l’autorégulation – et l’insuffisance de
régulation macroprudentielle. La deuxième question a logiquement conduit les économistes à s’interroger sur le rôle des banques centrales face à la formation de bulles. Que doivent-elles
faire devant de telles situations ? Doivent-elles éviter la formation de toutes les bulles ? Doivent-elles utiliser la politique monétaire pour éviter la formation de certaines bulles ? Si
oui, à l’aide de quel instrument de politique monétaire ? Pour mieux répondre à ces questions, il convient tout d’abord de définir ce qu’est une bulle financière, puis de distinguer les
deux principales catégories de bulles sur les prix d’actifs. Il découle de cette distinction que la banque centrale est fondée à intervenir pour éviter la formation de bulles sur les prix
d’actifs alimentées par le crédit. Cette considération nous conduit ici à proposer un nouveau mandat explicite pour la Banque centrale européenne (BCE) : la stabilité des prix d’actifs. La
BCE devra veiller tout particulièrement à la stabilité des prix immobiliers, constante historique des crises bancaires systémiques. Enfin, il conviendra de privilégier l’adoption par la BCE
d’un instrument de régulation unique pour atteindre cet objectif de stabilité des prix d’actifs : les réserves obligatoires sur les crédits. En dernier lieu, des pistes d’ordre
institutionnel et juridique seront proposées. Après la crise des _subprimes_, et à l’heure de l’arrivée de Mario Draghi à la tête de la BCE, il semble particulièrement opportun de relancer
le débat sur les objectifs et les mandats de la BCE. 1 – Une typologie des bulles sur les prix d’actifs Il existe deux types de bulles sur les prix d’actifs : celles alimentées par un
optimisme exagéré des anticipations, la fameuse « exubérance irrationnelle » d’Alan Greenspan ; et celles alimentées par le crédit[5]. Cette distinction purement formelle a, toutefois, un
intérêt pratique. Les économistes s’accordent en effet pour considérer que les bulles sur les prix d’actifs alimentées par le crédit sont beaucoup plus dangereuses pour l’économie :
lorsqu’elles éclatent, elles entraînent un processus de désendettement particulièrement néfaste (détérioration des bilans bancaires, baisse de l’offre de crédit, risques déflationnistes…).
Il est donc important de bien les distinguer, même si, en pratique, cette distinction est parfois malaisée. 1. 1 – Qu’est-ce qu’une bulle sur les prix d’actifs ? De manière
générale, une bulle sur les prix d’actifs est une situation dans laquelle le prix d’un actif s’écarte très fortement et/ou durablement de sa valeur fondamentale. La hausse du prix réel des
actifs augmente la richesse nette des ménages relativement à leur revenu disponible (« effet richesse »). Cet accroissement de la richesse élève leur capacité d’emprunt, ce qui entretient la
dynamique du crédit et la hausse des prix. A cela s’ajoutent également des phénomènes de mimétisme de marché qui amplifient le mouvement à la hausse. Cette dynamique spéculative
auto-entretenue conduit les prix d’actifs bien au-delà de leur valeur fondamentale. Lorsqu’elles éclatent, les bulles sur les prix d’actifs engendrent un processus de sens contraire : la
baisse du prix réel des actifs diminue la richesse nette des ménages, ce qui obère leur capacité d’emprunt et accentue la baisse des prix. Dans le même temps, le retournement des
anticipations (« dynamique des anticipations versatiles ») amplifie le mouvement baissier. Toutefois, selon la nature de la bulle, l’impact sur l’économie n’est pas de même ampleur. 1.
2 – Une distinction fondamentale 1. 2. 1 – LES BULLES ALIMENTÉES PAR UN OPTIMISME EXAGÉRÉ Les bulles sur les prix d’actifs alimentées par un optimisme exagéré sont moins
risquées pour le système financier. Lorsqu’elles éclatent, les bilans des institutions financières sont moins touchés. Il s’agit généralement de bulles sur les marchés boursiers (actions,
obligations notamment) qui se traduisent par une crise du financement désintermédié. La bulle Internet en est un parfait exemple. L’innovation technologique et la promesse d’une nouvelle ère
ont alimenté un optimisme exagéré, conduisant à une nouvelle allocation de l’épargne des agents privés vers les valeurs technologiques et, plus généralement, les actions. Mais le
retournement boursier a brutalement détourné les investisseurs de ces marchés, limitant ainsi l’accès au financement des entreprises – désintermédié, mais également intermédié[6]. En
l’absence de revenus et de fonds propres suffisants, les entreprises ont cessé d’investir et nombre d’entre elles ont fini par faire faillite. Dans le même temps, le patrimoine financier des
ménages s’est contracté. Même si elles peuvent être importantes, les crises des valeurs mobilières sont, toutefois, moins longues et profondes que les crises bancaires – le redressement des
cours forme généralement un V[7] – car l’effet de levier et l’intermédiation y jouent un rôle plus modeste. En outre, elles touchent plus particulièrement les populations qui disposent d’un
patrimoine financier largement investi en valeurs mobilières. 1. 2. 2 – LES BULLES ALIMENTÉES PAR LE CRÉDIT Les crises liées à l’éclatement des bulles sur les prix d’actifs
alimentées par le crédit sont, en revanche, plus sévères et plus longues, car l’effet de levier et l’intermédiation bancaire amplifient le processus. Dans cette configuration, c’est
principalement l’emprunt qui permet de financer les achats d’actifs dont les prix augmentent. Lorsqu’elles éclatent, elles entraînent une très forte baisse de l’offre de crédit, puisque la
valeur des collatéraux – hypothèques par exemple – diminue et que la situation des emprunteurs se dégrade. Ce processus de désendettement (_deleveraging_), lié à la détérioration des bilans
des agents privés, entraîne une baisse de la consommation et de l’investissement, et se traduit par une forte contraction de l’activité économique. Par ailleurs, les pertes enregistrées et
la baisse de valeur des garanties obligent les banques à passer de lourdes provisions, ce qui ampute d’autant leur résultat brut d’exploitation. Si la situation se prolonge – que les banques
affichent des pertes pendant plusieurs trimestres ou que la défiance gagne le marché interbancaire – une crise bancaire systémique peut survenir. A la différence des prix d’actifs alimentés
par un optimisme exagéré, le redressement des prix d’actifs alimentés par le crédit forme généralement un L. 1. 3 – Les conséquences économiques des crises bancaires systémiques
Les crises bancaires systémiques, déclenchées par l’éclatement d’une bulle sur les prix d’actifs alimentée par le crédit (généralement une bulle immobilière), ont des conséquences
économiques désastreuses. D’après les travaux de C. Reinhart et K. Rogoff, les crises bancaires entraînent 1) une baisse profonde de la production et de l’emploi. Le taux de chômage augmente
en moyenne de 7 points au cours de la phase descendante du cycle, qui dure en moyenne plus de quatre ans. La production chute de plus de 9 % en moyenne, pendant deux ans ; 2) un
effondrement du marché des actifs. Les prix réels des logements baissent en moyenne de 35 % sur six ans et les actions baissent de 56 % sur trois ans et demi ; 3) une explosion de la dette
publique. La valeur de la dette progresse de 86 % en moyenne et en termes réels par rapport à la dette d’avant-crise[8]. Cette explosion de la dette publique est surtout provoquée par la
perte de recettes fiscales liée à la contraction de l’activité et, dans une moindre mesure, aux stabilisateurs automatiques, aux politiques budgétaires contracycliques et aux coûts du
renflouement du système bancaire[9]. 2 – Les banques centrales et les bulles d’actifs Dans ces conditions, il semble que les banques centrales soient fondées à intervenir afin de
limiter les coûts économiques et sociaux des crises bancaires systémiques, liées à l’éclatement d’une bulle sur les prix d’actifs. Sous cette hypothèse, les banques centrales auraient pour
mandat des objectifs explicites de stabilité financière. Elles pourraient intervenir en fonction de l’évolution de variables macrofinancières constituant des signaux avancés de détresse
(_early warning signals_). De même que les banques centrales réagissent aujourd’hui aux anticipations d’inflation, ces dernières pourraient désormais réagir aux évolutions des prix d’actifs
ou à la dynamique du crédit. Mais cela soulève un certain nombre de questions auxquelles il convient de répondre. Comment reconnaître une bulle d’actifs ? Quel actif privilégier lorsque les
évolutions de prix d’actifs ne sont pas corrélées ? Quel instrument de politique monétaire privilégier dans cet exercice ? Quel cadre institutionnel ? 2. 1 – Prix à la consommation et
prix d’actifs : des évolutions décorrélées Pour la plupart des banquiers centraux, il n’y a pas de contradiction entre le contrôle des prix à la consommation et le contrôle des prix
d’actifs. Une politique monétaire qui assure la stabilité des biens à la consommation assure dans le même temps la stabilité des prix d’actifs. Maintenir la stabilité des prix à la
consommation et celle des prix d’actifs serait donc une seule et même chose, une stricte équivalence. Dans ces conditions, il ne peut y avoir de « conflit d’objectifs » pour la politique
monétaire. L’actuel gouverneur de la FED, B. Bernanke considère notamment qu’ajouter la stabilité des prix d’actifs dans la liste des objectifs explicites de la Banque centrale américaine
aurait pour effet de brouiller le message délivré par la politique monétaire[10]. Pourtant, l’observation de séries temporelles sur les prix à la consommation et les prix d’actifs suggère,
au contraire, que leurs évolutions sont le plus souvent décorrélées. P. Artus souligne que, aux Etats-Unis, de 1996 à 2006, l’inflation a oscillé entre 2 % et 3,5 % par an, tandis que les
prix de l’immobilier ont augmenté de 6 % par an de 1998 à 2003, puis de plus de 10 % par an de 2004 à 2006 ; tandis que les cours boursiers étaient multipliés par 2,5 de 1996 à 2000[11]. Il
n’est donc pas certain que les évolutions des prix à la consommation et des prix d’actifs soient corrélées. Ce constat milite donc en faveur d’une double surveillance : les prix à la
consommation d’un côté, et les prix d’actifs de l’autre. D’une certaine manière, la politique monétaire – dans sa conception actuelle – peut être considérée comme « hémiplégique » car
seulement focalisée sur l’évolution des prix à la consommation. 2. 2 – Identifier et anticiper les bulles d’actifs Les bulles sur les prix d’actifs liées à un optimisme exagéré sont
difficiles à identifier _a priori_. En outre, il n’est pas sûr que les anticipations et les modèles d’évaluation du régulateur soient davantage pertinents que ceux utilisés par les agents
privés. Par excès de prudence et sur la base d’un mauvais diagnostic, le régulateur pourrait, par exemple, brider la croissance économique, ce qui n’est pas souhaitable. Pour ce type
d’actifs, il est donc raisonnable de laisser les forces du marché s’exprimer, d’autant que les conséquences économiques et sociales des crises liées à l’éclatement de ces bulles sont
moindres que celles liées à l’éclatement d’une bulle sur les prix d’actifs alimentée par le crédit (cf. _supra_). En revanche, une bulle sur les prix d’actifs alimentée par le crédit est
davantage prévisible car l’envolée des prix coïncide généralement avec un emballement du crédit, comme en témoigne le relâchement des critères utilisés lors de l’octroi de crédits. Plusieurs
variables macroéconomiques élémentaires peuvent rendre compte de cet emballement : le ratio dette/PIB, le ratio crédit/PIB[12], le rythme d’augmentation de la masse monétaire ou l’évolution
du prix des logements par exemple. Si ces variables s’écartent trop fortement de leur moyenne de long terme – considérée comme un _proxy_ de leur valeur fondamentale –, alors il est
raisonnable d’affirmer que l’on assiste à la formation d’une bulle. En tout état de cause, les variables macroéconomiques retenues doivent permettre d’identifier avec fiabilité les phases
d’expansion et de contraction du crédit[13]. 2. 3 – Privilégier la stabilité des prix immobiliers Cette approche par les signaux[14] se heurte à deux critiques majeures : 1) il est
impossible d’identifier les bulles et de calibrer les politiques destinées à les neutraliser ; 2) les évolutions des prix d’actifs ne sont pas toujours corrélées (valeurs immobilières
_versus_ valeurs mobilières par exemple), ce qui rend impossible une politique cohérente de contrôle des prix d’actifs. La première critique est en partie valide. S’il paraît possible
d’identifier une bulle d’actifs alimentée par le crédit (cf. _supra_), le calibrage des politiques destinées à les neutraliser devra nécessairement faire l’objet d’un processus
d’apprentissage. Celui-ci semble naturel et ne constitue pas, selon nous, un handicap insurmontable[15]. Pour répondre à la deuxième critique, les travaux académiques les plus récents
peuvent être mobilisés : si les évolutions des prix d’actifs ne sont pas toujours corrélées, alors il convient de privilégier la stabilité des prix immobiliers. En effet, C. Reinhart et K.
Rogoff soulignent que, pour les crises bancaires systémiques – généralement précédées d’un emballement du crédit –, les prix réels des logements constituent l’indicateur avancé le plus
fiable, devant le solde de la balance courante et les cours réels des actions, car ils produisent moins de fausses alarmes[16]. Cette variable dispose, en outre, d’un intérêt _démocratique_
considérable puisque – à l’instar des prix à la consommation – elle constitue une référence pour l’ensemble des citoyens. Les actifs immobiliers représentent, en effet, l’essentiel du
patrimoine et de la dette des ménages (autour de 80 %). Par conséquent, et afin d’éviter les crises bancaires de nature systémique, la stabilité des prix des actifs – plus particulièrement
des prix immobiliers – doit devenir un objectif explicite de la politique monétaire. 2. 4 – Mettre en place des réserves obligatoires sur les crédits La question la plus épineuse
concerne l’instrument de régulation qu’il est possible de mobiliser pour conduire une telle politique. Il conviendra, ici, de se conformer à la règle de cohérence de J. Tinbergen selon
laquelle : « à chaque objectif de politique monétaire doit correspondre un instrument de politique monétaire »[17]. Cette règle offre, en outre, les meilleures garanties en termes de
lisibilité et de transparence, conditions indispensables au bon fonctionnement d’un marché[18]. Sous ces conditions, l’adoption de mesures destinées à stabiliser les prix d’actifs –
particulièrement immobiliers – doit être recherchée. La mise en place de réserves obligatoires sur les crédits, telle que proposée par Jean-Paul Betbèze, Jézabel Couppey-Soubeyran et
Dominique Plihon dans un récent rapport du CAE[19], nous paraît être la solution la plus pertinente. Dans ce rapport, les auteurs décrivent ce que pourrait être ce dispositif et ses effets
escomptés : « Ces réserves permettraient d’agir sur la liquidité des banques, mais également sur leur capacité à développer leurs crédits. Il y aurait donc un double impact de ces réserves
obligatoires sur la liquidité et sur l’effet de levier. Alors que les réserves obligatoires sur les dépôts existent actuellement dans la zone euro et sont rémunérées, les réserves
obligatoires sur les crédits à mettre en place ne le seraient pas. Ces réserves devraient être en toute hypothèse progressives selon le rythme de croissance des crédits (…) »[20]. Parce que
le marché immobilier – marché à surveiller prioritairement (cf._supra_) – reste très largement national, les auteurs du rapport suggèrent de revenir sur la politique uniforme menée par la
BCE, en pratiquant une politique différenciée selon la conjoncture prévalant dans chaque pays. Pour notre part, nous considérons que cette option pourrait favoriser les arbitrages[21] et
compliquer la mise en œuvre de cette mesure au plan institutionnel (rupture du principe d’uniformité de la politique monétaire). C’est pourquoi il conviendra de privilégier une politique
uniforme dans ce domaine, tout comme dans le domaine monétaire. 2. 5 – Créer un Comité de stabilité financière au sein de la BCE En termes de gouvernance, nous proposons de créer au sein
de la BCE un Comité de stabilité financière (CSF) dont l’objectif explicite serait de veiller à la stabilité des prix d’actifs, tandis que le Comité de politique monétaire (CPM)[22] aurait
toujours pour objectif de maintenir la stabilité des prix à la consommation. Celui-ci serait composé de personnalités qualifiées (le Premier Sous-gouverneur de chaque Banque centrale
nationale par exemple). Les réserves obligatoires sur les crédits constitueraient l’instrument principal de régulation du CSF. Il pourrait ainsi réagir aux évolutions des prix d’actifs ou à
la dynamique du crédit, de même que le CPM réagit aux anticipations d’inflation. Une telle solution offre l’avantage d’une grande lisibilité en cas de « conflit d’objectifs ». La BCE
pourrait, par exemple, maintenir des taux d’intérêt relativement bas si les anticipations d’inflation restent faibles, tout en accroissant le taux des réserves obligatoires si la progression
du crédit ou les prix de l’immobilier s’écartent trop durablement de leur moyenne de long terme. Le CSF devrait donc motiver ses décisions au regard de l’évolution des prix d’actifs, ce qui
constituerait une information précieuse pour les agents économiques et le marché. En outre, une telle organisation aurait le mérite de préserver très largement le modèle de Banque centrale
« indépendante, transparente et responsable »[23]. Une autre option serait de confier cette mission – et l’instrument de politique monétaire correspondant (réserves obligatoires sur les
crédits) – à l’actuel Conseil européen des risques systémiques (CERS), dédié à la détection et à la prévention des risques pouvant peser sur la stabilité financière dans l’Union européenne.
Conclusion La dernière crise bancaire systémique – dont les conséquences économiques et sociales se font encore durement ressentir – a démontré que ces pistes de réflexion méritaient
d’être étudiées avec la plus grande attention. L’application des mesures présentées ici constituerait une avancée considérable dans la prévention des crises bancaires de nature systémique et
le maintien de la stabilité financière. [1] Pour une histoire des récentes crises financières, lire Aglietta M., 2005, _Macroéconomie financière, Tome 2 : Crises financières et régulation
monétaire_, Chapitre 1 : Les crises de la globalisation financière, p. 7 et suivantes, éd. La Découverte, coll. Repères. Pour une histoire longue des crises financières, lire Kindleberger
C., 2004, _Histoire mondiale de la spéculation financière_, éd. Valor. [2] Suite à l’éclatement de la bulle Internet la FED avait abaissé et maintenu ses taux directeurs à des niveaux
particulièrement bas parce qu’elle redoutait le risque déflationniste. [3] Nous ne reviendrons pas, ici, sur les phénomènes de contagion qui ont permis à une crise du marché immobilier
américain de se transformer en une crise bancaire systémique. Sur ce sujet, lire notamment Artus P. (sous la direction de), 2008, _La crise financière, Causes, Effets et Réformes
nécessaires_, Les Cahiers, Le Cercle des économistes, éd. PUF. [4] Voir Artus P., Betbèze J.-P., de Boissieu, C., Capelle-Blancard G., 2008, _La crise des subprimes_, Rapport du Conseil
d’Analyse Economique ; voir également Brender A. & Pisani F., 2007, _Les déséquilibres financiers internationaux_, éd. La Découverte, coll. Repères. [5] Sur cette distinction
fondamentale, voir Mishkin F., 2010, _Monnaie, banques et marchés financiers_, Quatrième partie: La banque centrale en action et la conduite de la politique monétaire, Chapitre 19: La
politique monétaire: la stratégie et les aspects tactiques, éd. Pearson. [6] La détérioration de la situation financière des entreprises pénalisant, dans le même temps, leur accès au crédit
bancaire. [7] Voir Reinhart C. et Rogoff K., 2010, _Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière_, éd. Pearson, coll. Les temps changent. [8] Idem. [9] Dans le cas français,
les prêts de l’Etat aux banques ont été pour la plupart remboursés en moins d’un an et auront même rapporté plus de 2 milliards d’euros à l’Etat. [10] Dans un récent discours prononcé à la
réserve fédérale de Boston le 18 octobre 2011, B. Bernanke a assoupli sa position indiquant notamment qu’en l’absence d’une régulation financière efficiente, « la possibilité que la
politique monétaire soit directement utilisée pour atteindre des objectifs de stabilité financière, au moins à la marge, ne doit pas être exclue » (traduction de l’auteur). B. Bernanke, _The
Effects of the Great Recession on Central Bank Doctrine and Practice_, 18 octobre 2011 :http://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/bernanke20111018a.htm. [11] Artus P., 2007, Les
incendiaires, _Les banques centrales dépassées par la globalisation_, éd. Perrin. [12] Dans son dernier rapport sur la stabilité financière dans le monde (septembre 2011), le FMI manifeste
un intérêt tout particulier pour ce ratio. L’institution internationale signale que lorsque celui-ci augmente de plus de 5 points par an et qu’il va de pair avec un accroissement des cours
des actions d’au moins 15 %, la probabilité d’une crise financière dans les deux années suivantes est de 20 %. [13] Dans ses travaux sur le sujet, la Banque des règlements internationaux
(BRI) retient, par exemple, trois variables macroéconomiques : la prime de risque, l’expansion du crédit en termes réels et un indicateur composite combinant ratio crédit/PIB et prix réels
des actifs. [14] Approche également défendue par le rapport de Larosière sur la supervision financière (2009). [15] Après tout, la politique monétaire est passée par cette phase
d’apprentissage et, aujourd’hui encore, la conduite de la politique monétaire fait l’objet de nombreuses discussions. [16] Voir Reinhart C. et Rogoff K., 2010, _Cette fois, c’est différent.
Huit siècles de folie financière_, éd. Pearson, coll. Les temps changent. Les travaux de la BRI conduisent à des conclusions similaires. [17] Cette règle est souvent associée à celle de R.
Mundell selon laquelle il faut affecter chaque instrument de politique économique à l’objectif sur lequel il a l’impact comparatif le plus important. [18] Toutefois, nous en proposons, ici,
une interprétation relativement souple. [19] Voir Betbèze J.-P., Bordes C., Couppey-Soubeyran J., Plihon D., 2011, _Banques centrales et stabilité financière_, Rapport du Conseil d’Analyse
Economique. [20] Idem. [21] Risque évoqué par les auteurs du rapport eux-mêmes. [22] Pour rappel, le CPM de la BCE est animé par le Conseil des gouverneurs composé des six membres du
Directoire et des gouverneurs des banques centrales des Etats participants à la zone euro. [23] Betbèze J.-P., Bordes C., Couppey-Soubeyran J., Plihon D., 2011, _Banques centrales et
stabilité financière_, Rapport du Conseil d’Analyse Economique.
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