Pourquoi le climatoscepticisme a-t-il tant de succès aux États-Unis ?

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Pourquoi le climatoscepticisme a-t-il tant de succès aux États-Unis ?"


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Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune


autre affiliation que son organisme de recherche.


Avec son statut de seconde année la plus chaude des annales NCEP-NCAR (après 2016), 2019 a conclu la décennie la plus chaude jamais enregistrée.


Ce ne fut pourtant pas l’année qui aura vu le monde s’unir pour sauver la planète : malgré des manifestations et une prise de conscience globales, la COP25 a échoué de façon spectaculaire,


une poignée de pays ayant bloqué toute action significative.


Les États-Unis, le Brésil, l’Australie et l’Arabie saoudite auront été particulièrement actifs dans ce blocage, tandis que la Chine et l’Inde justifiaient leur inaction en se retranchant


derrière la responsabilité historique des pays riches.


Parce que les États-Unis demeurent le pays le plus puissant au monde, avec un président ultra médiatisé, il existe un « effet Trump » qui affaiblit la crédibilité de tout nouvel engagement


international et encourage ceux qui veulent s’exonérer de leur responsabilité, particulièrement les populistes nationalistes.


Un mois avant la COP25 de Madrid, le président américain avait formellement confirmé la sortie des États-Unis de l’accord de Paris ; ce n’est là qu’un des 90 changements de politique de


l’administration Trump remettant en cause la réglementation environnementale.


Mais en quoi exactement la politique de ce président minoritaire reflète-t-elle l’opinion publique américaine ?


Selon les statistiques du Pew Research Center, Les Américains ont tendance à être moins inquiets du changement climatique que le reste du monde (de 10 à 20 points d’écart).


Cela étant dit, une majorité d’entre eux (59 %) considère toutefois qu’il s’agit d’une menace sérieuse, avec une augmentation de 17 points en 6 ans.


Le diable se cache pourtant dans les détails : seuls 27 % des Républicains disent que le changement climatique est une menace majeure, contre 83 % des Démocrates, une différence de 56 points


 !


Le climatoscepticisme existe bien dans d’autres pays occidentaux, chez les populistes de droite principalement. Mais les Républicains américains restent les moins susceptibles de voir le


changement climatique comme une menace majeure.


Cela amène une nouvelle interrogation : pourquoi les Républicains américains sont-ils plus climatosceptiques que les électeurs de droite d’autres pays ? Un premier élément de réponse


concerne un contexte de polarisation politique grandissante aux États-Unis.


Cette polarisation trouve sa source dans des divisions raciales, religieuses et idéologiques relatives à la réaction des conservateurs face aux transformations culturelles, sociales et


politiques des années 1960-1970. Elle a fini par atteindre le monde politique dans les années 1980, et surtout 1990, quand elle a été appréhendée comme étant une véritable « guerre


culturelle ».


Nouvelle préoccupation, le changement climatique s’est ajouté à ces sujets sensibles, venant alimenter cette « guerre » au même titre que l’avortement, le contrôle des armes, les soins


médicaux, les questions raciales ou encore les droits des femmes et des LGBTQ.


Le fait que des démocrates progressistes se soient attaqués très tôt au réchauffement climatique (voir l’engagement du vice-président Al-Gore sur la question) et que les solutions proposées


soient liées à des mesures étatiques (comme la taxe carbone, les quotas d’émission cessibles ou les économies d’énergie) n’ont fait que politiser un peu plus le sujet.


Il ne fait pas de doute que les mesures nécessaires pour réduire les émissions des gaz à effet de serre impliquent davantage d’intervention étatique et des traités internationaux


contraignants, allant à l’encontre des idéaux conservateurs de liberté, d’un engagement limité de l’État et du marché.


En 2001, le président Bush sort du protocole de Kyoto qu’il juge « injuste et trop coûteux » à l’économie américaine. En 2010, le mouvement du Tea Party viendra renforcer le


climatoscepticisme des Républicains.


C’est dans ce contexte très polarisé que Donald Trump peut déclarer que le réchauffement climatique est un « concept créé par les Chinois » pour rendre l’industrie américaine « non


compétitive », sans entamer sa crédibilité.


Ses critiques de l’accord de Paris comme étant « très, très cher », « injuste », « destructeur d’emplois » et de « revenus » (comme ici et là) ravit son électorat. En gouvernant uniquement


par rapport à sa base électorale, Donald Trump a intensifié la polarisation étasunienne. Il en est toutefois davantage le symptôme que la cause profonde.


Plus que pour d’autres sujets, notre acceptation de l’impact de l’homme sur le changement climatique dépend de la crédibilité que nous accordons à la science environnementale et aux


scientifiques. Ce n’est donc pas tant une question d’intelligence que de confiance, la plupart d’entre nous n’ayant pas les connaissances suffisantes pour porter un regard expert sur la


question.


Les Américains font ainsi généralement confiance aux scientifiques (à 86 %), à l’exception notoire de la recherche environnementale, où il existe, là encore, une différence de plus de 30


points entre Républicains et Démocrates.


Un tel fossé se retrouve de façon surprenante chez les sondés ayant des connaissances scientifiques.


La méfiance historique des Américains envers l’État fédéral constitue un autre facteur important à prendre en compte ici ; elle est également très partisane, expliquant la défiance


singulière des Républicains envers les données de leur propre gouvernement.


Les Républicains ont également tendance à être très méfiants envers les institutions internationales. Ils ne sont ainsi que 43 % à avoir un point de vue favorable sur les Nations unies,


contre 80 % pour les Démocrates.


Et certains Républicains très à droite veulent tout simplement quitter l’ONU, comme l’influente association John Birch, le complotiste Alex Jones ou, plus généralement, la droite dite « 


alternative ».


De bien des manières, le slogan « America First » de Donald Trump fait référence à ce rejet des institutions internationales, de l’internationalisme et du cosmopolitisme. Un point de vue


clairement exposé par le président étasunien lors de la 73e Assemblée générale des Nations unies, le 25 septembre 2018.


« L’Amérique choisira toujours l’indépendance et la coopération contre la gouvernance mondiale, le contrôle et la domination. Nous n’abandonnerons jamais la souveraineté américaine à une


bureaucratie mondiale non élue et irresponsable. L’Amérique est gouvernée par les Américains. Nous rejetons l’idéologie du mondialisme et nous adhérons à la doctrine du patriotisme. Partout


dans le monde, les nations responsables doivent se défendre contre des menaces à leur souveraineté, qui viennent non seulement de la gouvernance mondiale, mais aussi d’autres formes


nouvelles de contraintes et de domination. »


Les Américains ont toujours eu tendance à se méfier des autorités et des élites. Dans son célèbre essai Anti-Intellectualism in American Life, prix Pulitzer de 1964, Richard Hofstadter


identifiait deux sources de cet anti-intellectualisme : d’un côté, les affaires et le commerce ; de l’autre, la religion, et tout particulièrement l’évangélisme.


Dans le contexte de la « guerre culturelle » et avec un programme économiquement libéral et pro-religieux, le parti républicain est naturellement plus méfiant à l’égard des milieux


intellectuels, universitaires et scientifiques.


Tout cela constitue une terre fertile pour les groupes de pression et d’influence industriels qui sèment le doute dans l’esprit de conservateurs déjà porteurs d’un biais cognitif contre le


changement climatique. Les think-tanks et lobbys sont légion dans ce domaine : citons la Global Climate Coalition, l’Institut Cato, l’Heritage Foundation, l’Institut Heartland, sans oublier


les lobbies pétroliers.


Comme l’ont montré Naomi Oreskes et Erik M. Conway dans Les Marchands de doute, ces groupes recourent à une stratégie de remise en cause de la recherche scientifique, équivalente à celle


utilisée par l’industrie du tabac dans les années 1970-1980.


Ils ont eu pendant longtemps des alliés dans une presse américaine encline à présenter la science du climat comme « incertaine ».


Dans le paysage médiatique, c’est surtout Fox News qui s’est fait l’écho des climatosceptiques. Résultat attendu, les spectateurs de cette chaîne sont moins susceptibles de croire la science


sur le changement climatique (voir également à ce propos le rapport Science or Spin ? Assessing the Accuracy of Cable News).


À tout cela s’ajoute l’omniprésence des réseaux sociaux. Une étude récente a ainsi montré que les vidéos soutenant le consensus scientifique sur le changement climatique sont moins


nombreuses en ligne que celles présentant l’opinion contraire.


Le président Trump a enfin beaucoup œuvré à attaquer les scientifiques de sa propre administration, censurant leurs résultats, supprimant des programmes publics de recherche, faisant des


coupes budgétaires.


Confrontés à la réalité des désastres naturels et à l’augmentation des températures, la plupart des Républicains ne nient plus aujourd’hui le réchauffement climatique ; mais ils nient en


revanche la responsabilité humaine.


Si la déclaration d’amour de Donald Trump au « magnifique charbon propre » séduit ses électeurs des États miniers du Wyoming, de Virginie-Occidentale ou du Kentucky, il fait également


référence à cette croyance en une nature pourvoyeuse de richesse, qui doit contribuer à la prospérité de l’Amérique. De l’Alaska au Minnesota, l’administration Trump se soucie de la nature


dans l’objectif d’en exploiter les ressources.


Cette idée d’une nature offrant de vastes réserves inexploitées, socle d’une richesse perpétuelle et aisée renvoie aux travaux de l’historien Richard Slotkin, et notamment à son ouvrage


Gunfighter Nation : The Myth of the Frontier in 20th-century America où il évoque « l’aubaine économique » (bonanza economics).


Cette vision de l’histoire des États-Unis remonte aux puritains : celle d’une nature sauvage qui doit être conquise et transformée, d’une race anglo-saxonne définie par sa capacité de


l’exploiter, justifiant le déplacement des peuples autochtones qui, eux, ne travaillaient pas la terre.


Le président Trump, en se présentant comme le héros osant s’aventurer dans les contrées sauvages de la nature et de la politique, se replace dans ce récit ; il insiste, par exemple, sur le


fait d’être le seul président à avoir réussi à faire approuver par le Congrès l’exploitation minière dans refuge national de la faune arctique en Alaska. Reagan lui-même, icône héroïque par


excellence de la droite américaine, n’y était pas parvenu, souligne-t-il.


Il existe pourtant un tout autre récit des grands espaces de l’Ouest ; différent et tout aussi typiquement américain. Celui qui voit la nature comme une création divine et reconnaît sa


fragilité. On la trouve dans les écrits de Ralph Waldo Emerson, de Henry David Thoreau, dans l’art de la Hudson River School, dans l’activisme de John Muir et dans la présidence de Théodore


Roosevelt, qui eut recours au mythe de la « Frontière » pour servir sa politique de conservation.


Si les valeurs comptent davantage que les faits, peut-être est-ce là le récit mythique de l’Amérique que les conservateurs américains devraient aujourd’hui adopter.


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