« Gilets jaunes » : violence, la fin du tabou
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Michel Wieviorka dirige avec Jean-Pierre Dozon le Panel international sur la sortie de violence (IPEV), un projet de la Plateforme Violence et sortie de la violence (FMSH). La Carnegie
Corporation of New York en est le principal soutien.
Jusque dans les années 70, la violence politique ou sociale pouvait avoir une certaine légitimité. Les références à 1789 et plus largement à l’histoire des grandes colères sociales et des
révolutions trouvaient un assez large écho, y compris dans la vie intellectuelle. Et les combats liés à la décolonisation suscitaient eux aussi une appréciation souvent favorable au recours
à la violence.
Pour l’Occident, la violence révolutionnaire a été associée à l’islam, avec les expériences de l’Iran de Khomeiny ou de l’Algérie du FIS – ce qui lui a aliéné les sympathies antérieures.
L’islamisme est devenu une figure majeure du mal, même si le djihadisme n’a pas le monopole du terrorisme.
Le communisme s’est décomposé, et avec lui les images positives de la Révolution russe, qui elle-même s’était réclamée de la Révolution française. François Furet a pu décréter : « la
Révolution (française) est terminée ». La décolonisation s’est presque achevée, et la violence émancipatrice qui pouvait l’accompagner a perdu l’essentiel de son sens.
Le terrorisme global, d’un côté, et d’un autre côté l’essor du crime organisé à l’échelle internationale ont marqué la fin de cette époque où il était possible de conférer une légitimité au
recours à la violence. Celle-ci devenait métapolitique – le terrorisme – ou infra-politique – le crime organisé – : son sens politique se perdait.
Les dernières grandes figures intellectuelles ayant plus ou moins justifié une certaine violence ne sont plus mises en avant, en tous cas pour ce qu’elles pouvaient en avoir laissé entendre
de positif.
Quand Bernard-Henri Lévy, tout à son inquiétude suscitée par l’irruption des « gilets jaunes » sur la scène publique, s’appuie sur Sartre pour les critiquer (dans une allocution prononcée en
clôture de la Convention du CRIF le 18 novembre 2018), c’est à propos de ce que le grand philosophe, s’intéressant aux sans-culottes, appelait le passage du « groupe sériel » au « groupe en
fusion ». Ce n’est assurément pas pour rappeler le Sartre pour qui « on a raison de se révolter », exprimant une certaine sympathie pour les commerçants en colère emmenés par le CID-Unati
de Gérard Nicoud, assurant la direction de La Cause du peuple, ou ayant écrit quelques années auparavant une désormais fameuse préface pour Les damnés de la terre de Franz Fanon.
Si Michel Foucault, aujourd’hui encore, demeure un penseur majeur, ce n’est certainement pas en référence au soutien qu’il a pu apporter à Klaus Croissant, avocat de la Fraction armée Rouge
détenu en France que l’Allemagne avait de bonnes raisons de vouloir extrader.
Pendant une quarantaine d’années, la violence est devenue un tabou, le mal absolu, dénoncé et rejeté, y compris dans des milieux qui avaient auparavant fait preuve de compréhension, voire
d’empathie à son égard. Avec une exception notable : celle du « Che », icône christique dont l’image positive demeure forte.
La première logique, directement politique, procède de la déstructuration des systèmes de partis classiques. Elle s’ébauche aux deux pointes extrêmes du spectre politique, au-delà des forces
populistes qui sont elles-mêmes à la hausse. Qu’il s’agisse des ultras du type Black Bloc, à l’extrême-gauche, ou de l’extrême-droite, le mode de pensée – qui n’est pas homogène au sein de
ces ensembles – n’est évidemment pas neuf.
Ce qui l’est est leur présence significative dans l’espace public, grâce à la combinaison de l’action violente sur le terrain, et de l’usage d’Internet et des réseaux sociaux. C’est ainsi
que la presse a parlé de 1200 Black Blocs venus participer à leur façon à la manifestation du 1er mai 2018 – un chiffre impressionnant.
Le discours de dirigeants de la France insoumise, sans faire l’apologie de la violence, a consisté ces derniers temps à encourager les « gilets jaunes » à manifester à Paris ou dans les
grandes villes alors même que la violence rôdait, et a recouru parfois à une imagerie révolutionnaire ou insurrectionnelle. Ce qui, là aussi, ouvre la voie d’un retour sinon justifié, du
moins compréhensible de la violence dans le répertoire de l’action politique.
Jean‑Luc Mélenchon en a donné de belles illustrations en parlant d’« insoumission générale », d’« insurrection citoyenne » et d’entrée dans « la grande scène de l’histoire de France », une
histoire qui n’est évidemment pas pour lui un long fleuve tranquille. De ce point de vue, Marine Le Pen s’est montrée plus mesurée, et peut-être plus fine politique.
La deuxième logique qui met fin à l’absence totale de légitimité de la violence tient à la façon dont les « gilets jaunes » ont saturé ces dernières semaines l’espace politique et
médiatique. Si l’on doit distinguer, dans les affrontements des « actes » 3, 4, et 5 de leur mouvement, à Paris et dans quelques villes, entre premièrement casseurs et pilleurs, deuxièmement
activistes ultras, et troisièmement « gilets jaunes » devenant enragés sur place (ou étant venus manifester avec déjà l’idée d’éventuellement en découdre avec les forces de l’ordre), on
doit surtout s’interroger sur le lien contradictoire car contre-nature qui a existé entre la violence et le mouvement social.
Ce dernier n’est pas violent, il ne prône en aucune façon l’affrontement brutal. Mais il a accepté et compris que la violence peut être éventuellement le prix à payer pour exister et exercer
une forte pression sur le pouvoir. Il y a dans cette perspective une fonctionnalité de la violence du point de vue – paradoxal – de ce mouvement qui en même temps ne la recherche et ne la
souhaite pas. Une telle fonctionnalité ne peut que donner vie à des modes de pensée nouveaux, ou renouvelés, dans lesquels la violence trouve une certaine légitimité.
Ainsi s’ébauche, politiquement et socialement, la fin d’un tabou. Avec une implication majeure : le discours et la pratique pour prévenir la violence, ou en sortir, perdent aussi une partie
de leur légitimité.
Que veulent dire les efforts pour penser le passage de logiques de rupture violente à celles de la paix, du débat, de la négociation, de la « dé-radicalisation » (horrible expression) ou du
conflit institutionnalisé quand il s’agit d’acteurs bénéficiant dans l’opinion de compréhension ou de sympathies agissantes ? Quand le désir d’histoire est désir de violence ? Quand les
sources sociales, économiques, culturelles, politiques d’une action devenant violente, ou s’accompagnant de violences semblent plus légitimes, aux yeux d’une partie de la société, que la
répression et l’exercice du pouvoir, même démocratiquement choisi ?
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