« Crédits biodiversité » d’Emmanuel Macron : de quoi parle-t-on ?

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« Crédits biodiversité » d’Emmanuel Macron : de quoi parle-t-on ?"


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Alain Karsenty est membre du Comité scientifique de la Fondation pour la Nature et l’Homme


Le président Macron a annoncé le 7 novembre 2022 lors de la C0P 27 à Charm el-Cheikh en Égypte une initiative visant à protéger les « réserves vitales de carbone et de biodiversité » de la


planète, comme les forêts anciennes, les tourbières ou les mangroves.


Une proposition de « partenariats pour la conservation positive » est faite aux pays qui abritent de telles réserves, s’appuyant sur des « contrats politiques et financiers » qui leur


permettraient de garantir leur conservation. Pour cela, des « mécanismes financiers innovants » seront étudiés et il est notamment prévu qu’un « groupe de haut niveau sera chargé de faire


des recommandations sur la création d’un marché de crédits biodiversité ».


Si l’univers des différents types de crédits carbone est assez bien connu, la situation est plus floue en ce qui concerne les « crédits biodiversité ». Schématiquement, on peut distinguer


deux cas : d’un côté, les systèmes, réglementaires ou volontaires, de compensation biodiversité avec des offsets, autour du principe « pas de perte nette » associé à la séquence


éviter-réduire-compenser (ERC). De l’autre, des crédits non destinés à la compensation, calqués sur les crédits carbone volontaires, qui sont avant tout de véhicules de financement pour


financer des actions en faveur de la biodiversité.


Alors que s’ouvre justement la COP15 consacrée à la biodiversité à Montréal, tentons d’y voir plus clair sur ces deux types de systèmes complémentaires, leurs avantages et leurs limites.


Les politiques d’atténuation et de compensation visant des objectifs tels que l’absence de perte nette ou le gain net de biodiversité sont déjà bien établis dans un certain nombre de pays de


l’OCDE.


Certains pays ont structuré la mise en œuvre de leur dispositif sous la forme d’unités d’échanges standardisées : des « crédits », ou des « biodiversity offsets ». Voici quelques


caractéristiques clés du fonctionnement de ces systèmes : généralement fondés sur les objectifs « d’absence de perte nette » ou de « gain net », ils utilisent différents scénarii de ce qui


adviendrait en situation business-as-usual. Les systèmes les plus avancés sont réglementés plutôt que volontaires, c’est-à-dire que la loi exige une compensation écologique pour les impacts


sur la biodiversité.


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Les aménageurs (publics comme privés) ayant des conséquences négatives sur la biodiversité doivent appliquer la hiérarchie d’atténuation ERC. Si des impacts résiduels significatifs


persistaient malgré cela, alors ils doivent faire l’objet d’une compensation. Celle-ci peut passer par la restauration ou la protection d’autres sites – selon des règles d’équivalence à


établir. L’aménageur peut la mener lui-même s’il a la maîtrise foncière des lieux concernés – sinon, des opérateurs de compensation s’en chargent.


Quand ces mesures sont mises en œuvre à l’avance, en anticipation de la demande des aménageurs, on parle de « compensation par l’offre » : des « banques de compensation » jouent un rôle


pivot en émettant différents types de crédits au fur et à mesure des compensations réalisées. Ce modèle permet de réunir celles de plusieurs aménageurs en un même lieu, avec une continuité


écologique possible entre les zones.


Ce qui est échangé entre aménageurs et opérateurs de compensation, ce sont des « débits » (les pertes de biodiversité causées par les aménageurs) et des « crédits » (les gains de


biodiversité produits par les opérateurs) de biodiversité. Ceux-ci sont mis en équivalence écologique : (espèce ; espèce ou habitat ; habitat) grâce à une unité de compte commune et des


règles d’échange. Ces crédits sont spécifiques : chaque catégorie de crédit ne permet de compenser que les pertes occasionnées sur un écosystème semblable (un crédit « forêt » ne peut pas


servir à compenser une perte de zone humide, par exemple).


La nature complexe de la biodiversité et les exigences d’équivalence écologique signifient que les échanges ne sont en général autorisés qu’à une échelle locale.


Les équivalences écologiques sont toutefois difficiles à établir, notamment quand les milieux sont très spécifiques et les espèces abritées sont rares ou remarquables. Contrairement au


carbone, il n’existe pas de véritable « métrique » pour la biodiversité, et la question est de savoir si les équivalences doivent se fonder sur le nombre d’espèces, les habitats des espèces,


les fonctionnalités d’un écosystème ou les services écosystémiques.


La séquence ERC ne remplit pas ses objectifs : les pressions pour la réalisation de routes, mines ou barrages, etc. sont multiples, et « l’évitement » est une option peu souvent retenue. En


France, la rédaction du texte de la « doctrine ERC » est révélatrice de cet embarras :


« Lorsque, en l’état des connaissances scientifiques et techniques disponibles, l’équivalence écologique ne peut être obtenue […] le projet, en l’état, ne peut, en principe, être autorisé. »


Une grande partie des compensations passe par des achats de terre, des servitudes de conservation ou des paiements pour services environnementaux (PSE), et est fondée sur des « destructions


évitées », lesquelles sont censées être démontrées par des scénarii de référence (contrefactuels) souvent invérifiables, ce qui renvoie au problème d’additionnalité bien connu avec les


crédits carbone : si le scénario business-as-usual prévoit de fortes pertes de biodiversité sur la zone de compensation, une perte moindre sera présentée comme une compensation réussie,


quand bien même il y a perte nette.


Les crédits biodiversité, quant à eux, sont calqués sur les crédits carbone. Ils n’ont pas l’ambition de compenser des pertes de biodiversité, mais d’être des instruments de financement


échangeables sur un marché secondaire, et généralement conçus dans une optique de « paiements basés sur les résultats ».


Le think tank International Institute for Environment and Development propose le terme de « biocrédits » pour distinguer ceux-ci des « biodiversity offsets » évoqués auparavant. Il serait


plus clair de renoncer au terme de « crédits » pour parler de « certificats d’impact positif ».


Ils seraient acquis dans le cadre de politiques RSE d’entreprise ou de financements de la biodiversité par des Fondations ou autres institutions, sans ouvrir droit à un « débit » : alors que


le crédit carbone est un permis d’émission, un certificat d’impact n’ouvre pas de droit à détruire de la biodiversité. C’est une logique de contribution à l’effort collectif et non de


compensation.


Des initiatives de ce type existent. On peut citer l’exemple de la Malua Biobank au Sabah (Malaisie), lancée à la fin des années 2000 à l’initiative du service forestier, où un « 


Biodiversity Conservation Certificat » de restauration ou de protection est émis pour 100 m2 d’écosystème forestier restauré/protégé et vendu à un prix de 10 dollars. Les acheteurs étaient


les entreprises de palmier à huile opérant au Sabah.


Plus récemment, des « Rhinos credits » ont été proposés en Afrique australe. Le principe est de solliciter des investisseurs à impact pour qu’ils achètent des crédits associés à la


croissance de la population de rhinocéros.


Si les objectifs sont remplis, alors des bailleurs de fonds traditionnels repayent les investisseurs à impact pour les crédits acquis (ou une partie des coûts si les résultats ne sont pas


atteints).


Plus généralement, ces certificats ont trois objectifs : constituer une expression monétisable de gains de biodiversité (ou de baisses significatives de pertes) du fait d’une action ou d’un


projet ; être, pour les initiateurs des projets, un véhicule d’apport de financement ; et servir de support à des actions de financement et de preuves d’impact de la part d’investisseurs ou


d’autres institutions désireuses de démontrer un engagement pour la biodiversité.


Leur qualité dépendra de la cohérence des actions menées par les entités émettrices de certificats. Une entreprise devrait d’abord appliquer rigoureusement la séquence ERC avant d’être


autorisée à émettre des certificats. Les activités permettant un « gain net » ou une réduction absolue des pertes de biodiversité devraient être priorisées par rapport à celles visant des « 


pertes évitées », souvent fondées sur des scénarii invérifiables de pertes croissantes « en l’absence de projet ».


Les certificats doivent contribuer à atteindre un état souhaité de la biodiversité sur un territoire, pas à financer du business-as-usual atténué.


Reste la question d’un marché secondaire, c’est-à-dire de l’ajout d’une dimension d’actif financier transférable aux certificats d’impact.


Un tel marché ne se justifie que s’il conduit à accroître les revenus de l’émetteur du certificat – le projet, l’institution ou l’entreprise – à l’occasion des plus-values réalisées lors des


reventes de certificats par différents intermédiaires.


Avec la technologie blockchain, il est possible d’organiser un système de royalties permettant de rétribuer l’émetteur initial lors de chaque transaction, comme cela se pratique avec les NFT


(non-fungible token).


Dans ce cas, un marché des certificats biodiversité contribuerait sans doute à accroître significativement les revenus des opérateurs agissant en faveur de la biodiversité.


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