Agriculture et alimentation : l’alerte des scientifiques sur l’usage massif des plastiques

Vendredi 23 mai 2025, l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

ont publié leur expertise scientifique collective sur les plastiques utilisés en agriculture et pour l’alimentation. "_Cette expertise vise à faire une photographie d'ensemble des

principaux usages des plastiques dans la chaîne de valeur de l'alimentation, de leurs propriétés et de leurs impacts_", introduit Baptiste Monsaingeon, co-pilote scientifique de

l’expertise CNRS et maître de conférences à l'Université de Reims Champagne Ardenne. Ce travail a été commandé par le Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire,

le Ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche (MTEBFMP) et par l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie

(Ademe). Ce travail, qui a duré environ deux ans et demi, a réuni plus de trente scientifiques et fait le bilan de la littérature scientifique - avec plus de 4.000 publications - concernant

les usages, les propriétés et les impacts des plastiques dans l’alimentation et dans l’agriculture. 20% DES PLASTIQUES CONSOMMÉS EN FRANCE DESTINÉS AUX SECTEURS AGRICOLE ET ALIMENTAIRE, SOIT

6,4 MILLIONS DE TONNES Dans leur synthèse, les scientifiques estiment qu’en 2023 pas moins de 20% des 6,4 millions de tonnes de plastiques consommés en France seraient destinés aux secteurs

agricole et alimentaire, en très grande majorité pour les emballages alimentaires. 91% de ces plastiques servent à l’emballage des aliments et de boissons, ce qui représente 1,3 million de

tonnes de plastiques. Sur les 9% de plastiques liés à l’agriculture (ce qui représente 300.000 tonnes de plastique), la majorité (73%) est utilisée et produite pour l'élevage.

Cependant, les auteurs de l’étude nuancent ce dernier pourcentage. Pour eux, il faut davantage d’articles sur les pollutions liées aux pratiques agricoles. Une majeure partie de la

littérature scientifique se concentre sur l’horticulture intensive, avec des publications qui visent une optimisation permanente des rendements à court terme. “_La littérature étudiée ne se

focalise que sur des considérations agronomiques qui ne prennent pas en considération les besoins socio-économiques des agriculteurs, leurs réalités concrètes, leurs contraintes, leurs

pratiques, ni ne considèrent des solutions systémiques alternatives pour répondre à leurs besoins”, _affirme Baptiste Monsaingeon. Lire aussi_ Les bovins menacés par un appauvrissement

génétique_ Depuis 1950 (date des premières bâches d’ensilage) la production de plastiques a largement augmenté, et avec elle, la génération de déchets plastiques. L’expertise du CNRS et de

l’Inrae n’a pas été simple et n’est pas exhaustive, notamment parce que les plastiques sont au cœur de nombreux enjeux qui sont évalués de multiples façons. UNE ENQUÊTE COMPLEXIFIÉE PAR LA

MULTIPLICITÉ DES MÉTHODES D'ÉVALUATION ET LE MANQUE D'HOMOGÉNÉITÉ DANS LA TERMINOLOGIE DES PLASTIQUES D’ailleurs, le mot _plastique _regroupe un ensemble de matériaux complexes,

qui peuvent être composés de nombreux ingrédients. Les plastiques sont des polymères, des grandes chaînes de molécules issues du pétrole, de la biomasse ou d’autres déchets plastiques

(recyclage). Ces polymères peuvent se dégrader et se décomposer en plastiques plus petits et plus toxiques pour l’environnement (micro et nanoplastiques). Lire aussi_ Microplastiques : quel

impact sur la santé ?_ Mais ce n’est pas tout. Sophie Duquesne, co-pilote scientifique de l’expertise CNRS et professeur à Centrale Lille et chercheuse en sciences des matériaux, explique

que “_sur un polymère, des additifs seront ajoutés de manière intentionnelle pour leur donner des propriétés soit techniques soit esthétiques. Si on prend l'exemple du secteur de

l'emballage alimentaire, on va développer des films-barrière à l'oxygène pour éviter une oxydation des denrées alimentaires, donc prolonger la durée de vie de ces produits”._ Par

ailleurs, les chercheurs signalent que leur enquête n’a pas inclus les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) dont une partie sont des plastiques, ni les silicones qui

sont aussi des plastiques. RECYCLAGES, PLASTIQUES BIOSOURCÉS... QUELLES PERSPECTIVES ? La majorité des plastiques sont recyclables, mais peu sont véritablement recyclés. À l’échelle

mondiale, 64% sont mis en décharge. À l’échelle européenne, 42% des plastiques sont incinérés (33% à l’échelle française) et 35% sont envoyés au recyclage. Enfin, les plastiques biosourcés

sont les grandes stars de la littérature scientifique, mais ils ne semblent pas être la solution pour autant. Ils ne représentent qu’environ 1,5% des plastiques produits en France et 0,7%

dans le monde. Les scientifiques insistent d’ailleurs sur le fait que ce n’est pas parce que ces plastiques biosourcés sont entièrement ou partiellement fabriqués à partir de ressources

biologiques (plutôt que de matières premières fossiles), qu’ils sont biodégradables. Leurs comportements mécaniques ne sont pas forcément adaptés aux activités agricoles (faible résistance à

la traction, déchirements...). C’est pourquoi, ils peuvent être recouverts d’additifs, plus ou moins toxiques, lors de leur conception pour s’adapter aux contraintes agro-alimentaires. Les

conclusions de cette expertise sont alarmantes. Les scientifiques ayant réalisé leur enquête ont explicitement souhaité ne pas apporter de recommandations face aux données qu’ils ont

collectées, affirmant que “_les chiffres parlent d’eux-même”_ (Baptiste Monsaingeon). En conclusion du colloque organisé pour la publication de l’expertise, les pilotes du projet ont

néanmoins déclaré que “_l’omniprésence des plastiques dans tous les écosystèmes continentaux et dans le corps humain, et les impacts avérés à toutes les échelles, viennent questionner la

possibilité même de rendre soutenables les usages des plastiques dans l'agriculture et l'alimentation_”. Les scientifiques soulignent l'importance de mener davantage

d'études pour approfondir la compréhension de ce sujet. S’il existe un consensus scientifique sur la nécessité de réduire la production de plastique (pour la santé des humains, des

animaux, des végétaux et des sols), les moyens pour y parvenir sont aujourd’hui trop peu documentés. Lire aussi_ Trump signe un décret pour revenir aux pailles en plastique_ Amélie Coantic,

directrice adjointe au commissaire général au développement durable MTEBFMP, soutient que cette enquête démontre l’“_extrême dépendance aux plastiques dans l'agroalimentaire_” et

apporte un ensemble de faits qui permettront de “_renforcer les politiques publiques_”. Alors que la France s’engage progressivement à réduire l’usage de ces matériaux dans l’alimentation,

l’expertise conjointe de l’Inrae et du CNRS rappelle une réalité incontournable : sans stratégie globale, concertée et scientifiquement éclairée, ces mesures restent fragmentaires. Car les

plastiques, omniprésents et sans frontières, exigent des réponses systémiques, à la hauteur des enjeux sanitaires, environnementaux et sociaux qu’ils soulèvent.