L'effondrement du glacier suisse, un phénomène lié au changement climatique?

Les experts l’avaient anticipé, mais il aura fallu quelques dizaines de secondes au glacier du Birch dans la vallée du Lötschental (canton du Valais, en Suisse) pour submerger le village de

Blatten, mercredi 28 mai 2025. Le petit village a été enterré sous plusieurs millions de tonnes de gravats. À l'échelle des Alpes suisses, l'évènement est sans précédent, tant sur

le plan de la dynamique que de l'ampleur des événements. Un lac artificiel s’est formé à la place du village à la suite de l’éboulement. Ce lac, initialement menaçant, commence

désormais à s’écouler, réduisant considérablement le risque d’inondation des villages en aval. Le niveau d’eau est passé de 1 million de m3 à environ 800.000 m3 et les autorités estiment

aujourd’hui le danger comme _"très faible", _selon l'AFP_,_ grâce à des mesures de protection rapides, dont la vidange préventive du barrage de Ferden. L'évacuation

préventive des 300 habitants du village de Blatten, en contrebas du Birch, a évité une catastrophe humaine, bien qu'un sexagénaire reste porté disparu. Si les scientifiques ont su

quelques jours à l'avance que la rupture du glacier était inéluctable, les raisons de l'éboulement sont bien plus anciennes. UN ÉBOULEMENT EN CASCADE _"On peut parler

d'un événement en cascade, car différents processus sont en jeu",_ a expliqué Christophe Lambiel, maître d'enseignement et de recherche à l'Institut des dynamiques de la

surface terrestre de l'Université de Lausanne, à l'AFP. Le glacier du Birch était en mouvement depuis un certain temps. Le sommet du Petit Nesthorn, culminant à 3.342 mètres et

surplombant le glacier, était déjà quelque peu instable, et les chutes de pierres se sont accélérées de manière spectaculaire une dizaine de jours avant la catastrophe. Pas moins de trois

millions de mètres cubes de roche sont tombés sur le glacier d'un coup. L'accumulation des débris rocheux, estimée par les experts dans un communiqué de presse à plus 9 millions de

tonnes, a accru la pression sur la glace et favorisé la formation d'eau de fonte à la base du glacier. Cette pression croissante, conjuguée aux pluies et à l'instabilité du relief

montagneux, a déstabilisé le glacier du Birch et accéléré la fonte des glaces. _La montagne Bietschhorn, dans les Alpes suisses, après qu'une partie du glacier du Birch s'est

effondrée la veille et a détruit le village de Blatten, le 29 mai 2025. Crédit : AFP - FABRICE COFFRINI._ _"Le glacier a fortement accéléré sous l'effet de cette charge

supplémentaire, et c'est alors que la catastrophe s'est produite"_, a ajouté le chercheur suisse. Le glacier s'est alors enfoncé de plus en plus profondément dans la

vallée, entrainé par l’eau de fonte. Celle-ci a créé un coussin d'eau qui a permis au glacier de glisser plus vite, jusqu’à son effondrement au fond de la vallée du Lötschental, 1.000

mètres plus bas. Alors que les glaciers reculent généralement dans toute la Suisse, des chercheurs suisses avaient déjà constaté que le glacier du Birch lui, avançait. Le front du glacier,

dans sa partie inférieure, s’était déplacé d’environ 50 mètres depuis 2019. Les données d'observation montrent également que l'épaisseur de la glace au niveau du front du glacier a

augmenté jusqu'à 20 mètres entre 2017 et 2023, tandis que la partie supérieure du glacier s'est amincie. Cette augmentation est en partie due aux débris rocheux reposant sur le

glacier, qui ont empêché la glace de fondre en surface. Lire aussi"C'est une question de survie" : toutes les régions glaciaires ont vu leur masse fondre en 2024, selon

l'ONU _"AVEC LE CHANGEMENT CLIMATIQUE, LES GLACIERS FONDENT PLUS VITE"_ Pour les scientifiques, il s’agit d’une combinaison de changements géologiques à long terme. Difficile

d’imputer la rupture du glacier en tant que telle au seul changement climatique. Jakob Steiner, géoscientifique à l'université de Graz en Autriche, estime qu'il

_"n'existe pas encore de preuve claire, dans ce cas précis, que le changement climatique soit la cause de ce phénomène."_ Christophe Lambiel est aussi prudent mais affirme à

l’AFP que _"l’augmentation des chutes de pierres sur le glacier au cours des dix dernières années pourrait être liée au changement climatique". _Les laves torrentielles,

effondrements rocheux, écoulements torrentiels sont des phénomènes naturels qui ont toujours existé, mais sont de plus en plus fréquents. RTM en a dénombré 47.840 dans les Alpes et les

Pyrénées depuis l'ouverture de sa base de données en 1980. Ils ont affecté 23.677 sites des deux grandes montagnes françaises. Et il y en a de plus en plus. _"Entre 2003 et 2013,

on comptait 170 événements par an dans les Alpes, _signale Clément Misset_. Entre 2013 et 2023, on est passé à 245 par an. _" Une augmentation à pondérer car ne sont répertoriés ici que

les phénomènes constatés par des témoins. S’il est encore trop tôt pour comprendre les causes précises de cet évènement, les effondrements sont fréquents et documentés. _"Avec le

changement climatique, les glaciers fondent plus vite,_ expliquait Clément Misset, ingénieur en hydrolique à l’unité de Restauration des terrains de montage à l’Office national des forêts,

dans le mensuel de _Sciences et Avenir_ de juin 2025. En effet, la fonte du pergélisol (permafrost en anglais) est une explication très probable pour les scientifiques, ou au moins un

facteur qui a déclenché ou accéléré ce processus d’effondrement. Considérée comme le ciment des montagnes, cette surface glacée en permanence se dégrade sous l’effet du changement climatique

et perturbe la stabilité des glaciers. "_Au-dessus de 3.500 mètres, on constate un réchauffement de 1°C du permafrost des parois rocheuses_, expliquait Clément Misset. _Celles-ci sont

ainsi déstabilisées par le dégel d’un emplacement qui était auparavant permanent."_ DE PLUS EN PLUS FRÉQUENT. Le 21 juin 2024, la montagne est tombée sur La Bérarde (Isère),

heureusement sans faire de victimes. En quelques heures, le hameau du massif de l'Oisans, d'une cinquantaine d'habitants, s'est retrouvé enfoui sous plus de 250.000 m3 de

gros blocs de pierre, de milliards de cailloux, de graviers. De certains chalets, on ne voit plus que le toit. Les chercheurs ont sous les yeux un laboratoire à ciel ouvert qui leur montre

comment les Alpes en général, le massif des Écrins en particulier, s'érodent et se délitent sous l'accélérateur du changement climatique. En 2005, la face ouest de l'aiguille

des Drus a perdu 292.000 m3 de pierre. Une paille à côté des 3,1 millions de mètres cubes de matériaux qui ont submergé la vallée de Bondo, en Suisse, le 23 août 2017, causant la mort de

huit personnes. _"À l'automne 2024, nous avons constaté un éboulement de 700.000 m3 au mont Pourri dans le massif_ _de la Vanoise, _raconte Ludovic Ravanel_. Peut-être

assistons-nous à une accélération de ces événements. _" UN BESOIN DE SURVEILLANCE  Pour Christophe Lambiel, les sites présentant des interactions glacier-pergélisol au-dessus de 3.000

mètres devront désormais faire l'objet de recherches. Il ajoute auprès de l’AFP qu’environ 80 glaciers dans la même région du Valais, en Suisse, étaient considérés comme dangereux et

faisaient l'objet d'une surveillance. Les techniques de surveillance modernes détectent l'accélération de la glace avec une grande précision, permettant une alerte précoce.

Grâce au système lidar par exemple, les relevés aériens permettent de connaitre les modifications du relief avant et après un évènement intense, comme des glissements de terrain. Les

géologues suisses utilisent notamment des capteurs et des images satellites pour surveiller leurs glaciers. Mais alors que l'Asie a été la région la plus touchée par des catastrophes

liées au climat et aux risques météorologiques en 2023, de nombreux pays manquent de ressources pour faire de même. Lire aussiEverest : l'incroyable découverte de la chaussure du

célèbre alpiniste Andrew Irvine, 100 ans après sa disparition Selon un rapport de 2024 du Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophe (UNDRR), deux tiers des pays

de la région Asie-Pacifique disposent de systèmes d'alerte précoce. Mais les pays les moins développés, dont beaucoup sont en première ligne du changement climatique, ont la pire

couverture. _Avec AFP_