Sur la lune, courir sur un mur de la mort pour maintenir sa condition physique

Dans _2001, l'Odyssée de l'espace_, la station spatiale V est une grande roue qui tourne sur elle-même. À l’intérieur, la force centrifuge donne une accélération similaire à la

gravité terrestre. Elle permet de reproduire une sensation de pesanteur pour les astronautes qui circulent à bord. L’idée est astucieuse et les agences spatiales ont un temps pensé à

l’utiliser. Alors que l’humain prévoit de retourner sur la Lune et de s’y installer, un tel subterfuge éviterait que ce voyage n’entrave trop la santé des astronautes : la faible gravité

provoque des effets néfastes sur la condition cardio-respiratoire, le système musculo-squelettique et le contrôle neuronal pour la posture et les mouvements, ce qui rend le retour sur Terre

difficile. Un tel système serait néanmoins très complexe à mettre en place. Mais n’y a-t-il pas un moyen plus simple, et moins coûteux d’utiliser la force centrifuge pour feindre la gravité

terrestre ? Et si, par exemple, ce n’était plus la structure qui tournait en rond, mais l’astronaute lui-même… LE MUR DE LA MORT, L'ATTRACTION FORAINE OÙ MOTOS ET VOITURES TOURNENT SUR

LES PAROIS PRESQUE VERTICALES C’est l’idée de scientifiques milanais qui ont publié une étude dans la revue _Royal Society Open Science_ le 1er mai 2024. Ils se sont inspirés du mur de la

mort, une attraction foraine où des motos et des voitures tournent dans une cuvette et montent petit à petit en haut des parois verticales pour finir par rouler à l’horizontale, mais sans

tomber pour autant, grâce à la force centrifuge. Peut-on faire la même chose en courant ? Sur Terre, c’est physiquement impossible : il faudrait atteindre des vitesses inhumaines. Mais sur

la Lune, les physiciens italiens ont montré que c’était tout à fait possible : en maintenant une allure au-dessus de 19 km/h, on peut courir sur un mur circulaire sans tomber. _"Je suis

toujours intéressé par les nouvelles possibilités de se déplacer qu’offre la gravité lunaire, _raconte Alberto Enrico Minetti, un des auteurs de la publication, professeur en physiologie à

l’université de Milan. _L’étude est partie de cette idée-là, et j’ai été surpris de constater que personne n’avait jamais pensé à analyser ça auparavant"_. POUR QUE LES ASTRONAUTES SE

DÉPENSENT DANS UN MILIEU SEMBLABLE À LA TERRE Après s’être assuré que leur idée fonctionnait théoriquement, il fallait monter une expérience. L’université italienne a loué un mur de la mort

habituellement utilisé pour des manifestations foraines, puis des participants ont couru sur les parois en ayant le poids du corps allégé par une sangle reliée à une grue, pour simuler la

gravité lunaire. Ils ont réussi à faire plusieurs fois le tour de l’infrastructure en maintenant un rythme intense. Lors du contact entre le pied et le mur, les forces mesurées, après

analyse du mouvement, sont de deux à trois fois le poids corporel terrestre, ce qui correspond aux forces exercées lors d’une course entre 11 et 14 km/h sur Terre. Selon l’étude, lors d’un

voyage sur la Lune, _"un régime d'entraînement de quelques tours par jour promet d'être une contre-mesure viable pour les astronautes afin de lutter contre le

déconditionnement de l'ensemble du corps (…) et favoriser le retour sur Terre"._ Au-delà de l’aspect surprenant, la découverte pourrait permettre aux astronautes de se dépenser

dans un contexte qui ressemble le plus possible aux efforts naturellement produits sur Terre. _"Presque toutes les autres méthodes proposées pour maintenir les astronautes en forme

n’entraînent qu’un groupe musculaire, dans une position particulière (assise ou allongée par exemple) et dans ce cas les muscles posturaux sont rarement sollicités…, _explique Alberto Enrico

Minetti. _En courant sur le mur, les astronautes utiliseront un nombre beaucoup plus important de muscles, ce qui est bénéfique pour la masse musculaire, la minéralisation osseuse, le

système cardio-vasculaire et l'appareil neuronal de contrôle moteur (nécessaire pour coordonner les muscles locomoteurs et orchestrer l'équilibre global)"._ Cet équipement

d’entraînement pourrait se fondre dans le décor d’une base lunaire, si l’humain venait à en construire une. Il faudrait pencher les murs des habitations afin qu’ils puissent faire office de

piste de course pour un footing à l’horizontale. _"Actuellement, nous optimisons la taille et la hauteur de ce mur de la mort afin qu'il fasse partie intégrante des installations

lunaires et qu'il nécessite une vitesse de course légèrement inférieure, tout en conservant le même potentiel d'entraînement"_, assure Alberto Enrico Minetti. L’université de

Milan est en train de construire son propre mur pour mener ses futures expériences. L’optimisme est d’autant plus grand que cette première expérience comportait des biais, comme la légère

force centripète générée par la sangle utilisée pour simuler la gravité lunaire. Une fois sur la Lune, où ces biais n’existeront plus, avec des infrastructures optimisées et des astronautes

entraînés, la course sur le mur de la mort promet d’être encore plus fluide et devrait fonctionner même à plus faible vitesse. Par Loïc Duthoit