Rimbaud, poète en révolution
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ARTHUR RIMBAUD, AUTEUR RÉVOLUTIONNAIRE ? LA QUESTION DOIT ÊTRE PRISE AU SÉRIEUX MÊME SI L’APPROCHE LA PLUS SOUVENT PROPOSÉE L’INVISIBILISE. FUGUEUR, BRILLANT, RÉVOLTÉ ET CRÉATEUR, MAIS
RAREMENT PRÉSENTÉ COMME UN SUBVERSIF INTÉGRAL. ET POURTANT… La trajectoire de Rimbaud est volontiers exposée sous ses angles les plus accidentés pour mettre en lumière ses discontinuités
biographiques. Né dans la France étriquée du Second empire, Rimbaud décède à 37 ans, à Marseille, après avoir trafiqué en tout genre dans la Corne de l’Afrique. Jeune fugueur de son
Charleville natal, fréquentant les parnassiens, la Commune et Paul Verlaine, séjournant à Bruxelles et à Londres, menant à bien seulement la publication d’_Une saison en enfer_ avant de
larguer les amarres et de partir pour le lointain. Mais le poète, dans ses années de création, révèle une constance révolutionnaire qu’on peut lire au niveau des différentes révolutions
qu’il se propose, renouvellements tout à la fois géographique, historique et généalogique, à rebours des récits dominants de l’époque. SOUS LES PAVÉS, LES POÈMES. REPENSER LA GÉOGRAPHIE DE
LA MODERNITÉ Ce n’est pas forcément la nouvelle géographie de la modernité que propose le poète qui est le plus traitée quand on parle de Rimbaud. Mais son attention aux espaces, à ce que la
modernité fait à la géographie est centrale dans sa production. Alors, quelle géographie propose-t-il et en quoi est-ce un enjeu politique ? Repartons du style de Rimbaud : il joue sur
l’accumulation et la juxtaposition ce qui lui permet de tisser des liens spatiotemporels au-delà des limites habituellement proposées. Rimbaud joue à lier et délier les images et les
expressions, non pas dans une volonté didactique ou descriptive « _mais pour provoquer des apparitions hallucinatoires. Chaque mot possède un pouvoir évocateur : en vertu des lois de
l’association, il fait surgir en nous des représentations_ » [1]. Les _Illuminations_ est un recueil éminemment géographique : références nombreuses à divers pays, à des paysages urbains et
industriels, à des détails architecturaux, etc. le tout soigneusement coloré. Ainsi, si l’on s’arrête sur « Villes », on peut voir la superposition des temps (modernité, médiéval, antique)
via la superposition des espaces (processus que l’on retrouve également dans « Promontoire », un autre poème du recueil). Une tension est construite par cette juxtaposition nous faisant
sentir la précarité de l’équilibre. Si on s’attache à la structure du poème on peut remarquer une montée en puissance pour arriver au peuple dans son expression communale avec les beffrois
et les bourgs. Faisant entendre en même temps une clameur qui monte, Rimbaud s’attache également à créer un univers sonore en plus de visuel. Cette montée en puissance s’ancre dans une
invention (un « _travail nouveau_ ») et c’est à partir de légendes, de la réinvention d’un passé que le peuple s’élance. C’est alors qu’arrivé à la plus grande intensité qui s’écroule («
_L’écroulement des apothéoses_ ») dans sa folie accumulatrice, un nouvel élan populaire peut être lancé. Avec les mentions de « _gouffres_ » ou de « _cavernes_ », nous percevons déjà un peu,
par contraste implicite, l’attachement de Rimbaud à ce qu’il se passe sous la surface. Si Rimbaud creuse dans le paysage, ne donnant pas seulement à voir des individus en pleine action,
c’est qu’il a une ambition archéologique : « _Une archéologie ultrà-romanesque suivant le drame de l’histoire_ » écrit-il dans une lettre de 1876, récemment découverte. Archéologie qui
mettra à jour d’anciennes révoltes pour l’instant endormies sous des couches de sédiments, des ruines et des cendres : « _Les révoltes anciennes grouillent dans les cendres_ » et « _des
embrasements souterrains_ » évoqués dans le poème « Soir historique » y font écho. « _La grand ville a le pavé chaud_ » écrit-il dans « Chant de guerre parisien » : c’est sous la ville que
se trame quelque chose. Avec « Chant de guerre parisien », que Rimbaud qualifie lui-même de « _psaumes d’actualité_ », il n’y a pas de doute : c’est la Commune qui gronde. On voit ici
émerger une thématique récurrente chez le poète : l’espace urbain comme espace révolutionnaire. Dans « Villes » on comprend qu’il faut descendre dans la rue pour voir la révolution se faire
(« _je suis descendu dans le mouvement d’un boulevard de Bagdad où des compagnies ont chanté la joie du travail nouveau_ »). Ceci fait écho à un poème tel que « Le Forgeron ». On y entend la
foule révolutionnaire gronder dans les rues de Paris dans une ambition similaire non pas tant d’effectuer une cartographie totalisante, mais une micro-géographie, s’attachant à des éléments
spécifiques de l’espace sans en donner un aperçu général. C’est sans doute le poème « L’orgie parisienne ou Paris se repeuple » qui revient le plus explicitement sur les liens entre rue et
moment révolutionnaire. Le poème a été probablement écrit dans les jours qui suivent la semaine sanglante, fin mai 1871. Tout en dressant un tableau grinçant de la restauration de l’ordre
bourgeois dans la capitale, il nous fait apercevoir l’importance de l’espace urbain et de la rue prise par la force de la révolution. Rimbaud n’utilise pas ce mot de « _révolution_ ». Il lui
préfère « _orage_ », « _immense remuement_ » et utilise les allusions aux incendies qui ont marqué Paris pendant la Commune comme métonymie pour désigner l’intégralité de ce moment.
Rimbaud, en se plaçant a posteriori, donne à voir en négatif l’ébullition de la Commune. En faisant de Paris un être humain (« _Corps remagnétisé_ », « _Quand tes pieds ont dansé si fort
dans les colères,/ Paris !_ ») Rimbaud ne limite pas la ville à un décor inerte. Il en fait un acteur politico-social tentant de se libérer de ses chaines. La ville, en 1871, est vaincue,
mais elle saura prendre sa revanche. IMAGINER LA TEMPORALITÉ DE LA MODERNITÉ Penser une histoire révolutionnaire demande d’exprimer cette perte de repère et doit tenter de « _fixer des
vertiges_ » comme il l’écrit dans « Alchimie du verbe », publié dans _Une saison en enfer_. Dans une lettre à Jules Andrieu de 1874, Rimbaud se demande : « _Faut-il des préparations dans le
monde bibliographique, ou dans le monde, pour cette entreprise, je ne sais pas ? – Enfin, c’est peut-être une spéculation sur l’ignorance où l’on est maintenant de l’histoire_ ». Il pense le
mouvement historique dans cette incertitude qui atteint des sommets dans les moments de reconfiguration (sociale, politique, culturelle…) : penser l’histoire, c’est penser à partir de
l’inconnu, de la confusion sans tenter de lui donner un sens, mais comme force d’invention. C’est en ce sens, d’ailleurs, que Jacques Rancière note que « _Rimbaud […] ne raconte aucune
théorie sociale. Il fait autre chose : il écrit son siècle. Il fixe ses chiffres et ses emblèmes. Il en pointe les coordonnées et établit entre elles toutes les liaisons possibles dans le
même espace. […] Ce qu’il veut […] c’est devancer le siècle. Il prétend lui donner ce qui lui manque pour achever le projet du nouveau corps glorieux, une langue : la langue de l’avenir,
celle du corps intégral, de la communauté_ » [2]. Rimbaud est donc un passeur de temps, d’histoire et d’embrasements mais tout en voulant être « en avant » : devancer pour mieux entrainer
dans son nouveau sillage. C’est en ce sens que Rimbaud se réapproprie l’histoire pour permettre à une temporalité révolutionnaire d’advenir. Né en 1854, Rimbaud grandit à Charleville sous le
Second empire et il se retrouve, bien malgré lui, dans une position toute privilégiée pour assister à la guerre franco-prussienne de 1870, la défaite de Sedan et le siège de Paris. Cette
décadence et chute du Second empire se retrouvent d’ailleurs dans les écrits de Rimbaud, à la fois dans des allusions directes au conflit militaire (« Le dormeur du val ») ainsi que dans des
références aux conditions de vies de la population (« Les Effarés »), le poète ne se privant pas de critiquer l’empereur, en s’inscrivant dans les pas de Victor Hugo. Mais c’est la Commune
de Paris qui est, si l’on sait lire Rimbaud, la référence cruciale. Les historiens parlent parfois d’un choc des temporalités pour décrire certains aspects de la Commune, soulignant ainsi
différentes pratiques venant pour certaines de la révolution de 1848, pour d’autres de la révolution de 1789 ou d’autres processus insurrectionnels et d’affrontements, plus anciens encore.
Le soulèvement parisien met en mouvement plusieurs temporalités dans le but d’imaginer une nouvelle structure socio-politique, communards et versaillais s’accusant d’ailleurs mutuellement
d’être anachroniques. Dans ce cadre, Rimbaud a recours autant aux références de la Révolution française qu’à des moments plus lointains voire mythiques qui nourrissent ses textes : les temps
médiévaux, shakespeariens ou encore des références historico-mythiques provenant de l’Antiquité romaine ou encore de la mythologie scandinave des temps celtiques et des écrits catholiques.
Dans ces effets de juxtaposition et d’échos, l’enjeu est de mettre à bas un certain système de valeurs et un récit historique. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire la deuxième strophe de
« Qu’est-ce pour nous, mon cœur… » : > Et toute vengeance ? Rien !... — Mais si, toute encor, > Nous la voulons ! Industriels, princes, sénats, > Périssez ! puissance, justice,
histoire, à bas ! > Ça nous est dû. Le sang ! le sang ! la flamme d’or ! Mais Rimbaud n’est pas anti-historique. Il propose une histoire ou contre-histoire qui ne suit pas l’avancée des
classes dominante ou celle du « Progrès ». Plus précisément, il retourne le progrès contre lui-même : en démultipliant poétiquement le progrès, il fait voir les entrailles fumantes et
immondes d’un progrès politico-industriel : « _Ce ne sont pas des mains de cousine/Ni d’ouvrières aux gros fronts/Que brûle, aux bois puant l’usine,/Un soleil ivre de goudrons._ », écrit-il
ainsi dans « Les mains de Jeanne-Marie ». Cette « _ville, avec sa fumée et ses bruits de métiers_ », dans « Ouvriers », et ce progrès, il les pousse jusqu’à la limite, allant au-delà du
raisonnable, « Raison » pourtant inscrite en lettres d’or à l’entrée du XIXe. Sans entièrement renier le progrès, Rimbaud veut donc lui insuffler un nouveau mouvement : « _Le progrès. Le
monde marche ! Pourquoi ne tournerait-il pas ?_ », écrit-il dans « Mauvais sang ». Cette volonté de réécriture des temporalités se retrouve notamment dans une lettre de 1874. Alors exilé à
Londres où il fréquente nombre de communards ayant fui la répression Rimbaud écrit à son ami Jules Andrieu, lui aussi « communeux » : « _Je voudrais entreprendre un ouvrage en livraisons,
avec titre : l’Histoire splendide_ ». _Splendide_ est à entendre dans son sens premier comme ce qui produit beaucoup de lumière. Splendide est un terme qui se retrouve régulièrement dans les
textes de Rimbaud, se retrouve relié à un quelque chose qui gronde avec en perspective, peut-être, une irruption. On pense au « _Splendide Hôtel_ » construit sur un chaos dans « Promontoire
» ou encore, à la fin d’_Une saison en enfer_, à « _l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes_ ». On peut donc comprendre cette histoire comme une
histoire qui illumine, donne à comprendre, mais aussi comme une histoire des embrasements. Rimbaud reprend le jeu des accumulations et le pousse encore plus loin en travaillant sur les
anachronismes. Ce concept interroge ces moments clefs tels que les définit Jacques Rancière : « _l’anachronisme a d’abord concerné cette charnière des temps. Il a consisté en un
chevauchement entre les temps légendaires et ceux de la chronologie attestée_ » [3]. On comprend pourquoi il a intéressé Rimbaud, également parce que l’anachronisme permet une résistance à
un passage trop oublieux des troubles populaires. En croisant explicitement plusieurs temps hétérogènes, Rimbaud les rend anachroniques les uns aux autres, permettant ainsi d’accentuer et de
faire dialoguer des moments a priori pensés isolément : il démultiplie alors les soulèvements et propose une évocation chorale des embrasements révolutionnaires. Nous pouvons prendre appui
sur « Le Forgeron », poème écrit en 1870. Si Rimbaud s’inspire librement d’un évènement de la Révolution française, il s’en sert pour créer un ensemble de résonnances à d’autres moments
révolutionnaires. Il existe deux versions de ce texte avec deux dates paratextuelles différentes : « vers le 20 juin 1792 » ; « vers le 10 août 92 ». Nous remarquons des références à
l’Ancien régime, ce « passé sombre », mais aussi à l’actualité de Rimbaud, c’est-à-dire le Second Empire avec, en creux de la figure de Louis XVI, celle de Napoléon III. Au cœur de ce jeu
temporel se trouve un désir de rupture (« _Non ! Ces saletés-là datent de nos papas !_ ») et une ouverture vers le futur (« _en avant_ », « _les grands temps nouveaux_ »), qui reste
indéterminé. Si Rimbaud joue sur une certaine synchronie, le passé et le présent étant mis en parallèle (le régime non-démocratique, la chute de celui-ci, la foule révolutionnaire, etc.), il
introduit peu à peu des dissonances ou ce que l’on pourrait appeler des désynchronisations : ainsi, l’homme coiffant Louis XVI d’un bonnet rouge est en réalité un boucher nommé Louis
Legendre et non un forgeron comme le dit Rimbaud. Rimbaud va encore plus loin dans les vers suivants : > Ah ! ce sont là les plats > Que tu nous sers, bourgeois, quand nous sommes
féroces, > Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses !... Tout en faisant référence au clergé à la noblesse, catégories d’Ancien régime, il utilise le terme bourgeois pour
s’adresser au roi. Bourgeois sert donc à interpeller l’ennemi du peuple, la noblesse étant comme digérée par la bourgeoisie, le roi devenant un lui-même bourgeois, ce qui arrivera par la
suite avec Louis-Philippe, sous la Monarchie de juillet, après 1830. En jouant au bord de l’anachronisme Rimbaud ancre peu à peu son texte dans son temps et dans le processus socio-politique
du XIXe en mettant en avant le « _nouveau décalage politique se dessine, non plus entre le Peuple et l’aristocratie, mais entre les bourgeois (et aristocrates) d’un côté et les ouvriers (et
paysans) de l’autre_ » [4]. De même, dans « Paris se repeuple », Rimbaud dessine les contours d’une lutte des classes qui se reconfigure, moment révolutionnaire après moment
révolutionnaire. Tout le texte se lit sur plusieurs niveaux qui s’entrechoquent, soulignant ainsi que « _les révolutions relèvent du contretemps et font entrer en fusion un ensemble de
déterminations_ », comme l’écrira Daniel Bensaïd les révolutions étant des « _temporalité[s] politique[s] non linéaire, syncopée[s], […] les tâches du passé, du présent, de l’avenir s’y
chevauchent et s’y nouent _ » [5]. Avec l’anachronisme et la superposition des temporalités Rimbaud veut créer des passages entre les temps révolutionnaires indépendamment de l’ordre
chronologique. Ces évocations à double fond permettent de faire revenir sur le devant de la scène des dynamiques révolutionnaires passées où « _l’anachronisme et les écarts événementiels
sont perpétrés dans le cadre d’une fiction stratégique, visant à donner un aperçu de la vérité de la lutte des classes, aperçu synthétique et même dialectique permettant de comprendre non
seulement la synchronie de 1792, mais aussi tout le développement ultérieur de cette lutte_ » [6]. Passer d’une révolution à l’autre, faisant des révolutions des moments de rupture avec la
continuité temporelle et le récit historique des dominants au profit de l’invention de celui des opprimés : chez Rimbaud, à Sire, nobles et bourgeois, répondent les Ouvriers, les Crapules et
la foule. GÉNÉALOGIES DISCORDANTES ET NOUVELLES COMPLICITÉS Cette reconfiguration de la temporalité historique mène Rimbaud à interroger une généalogie plus personnelle. Si le poète ne
cherche pas à faire une histoire totalisante, mais s’intéresse aux contre-temps, aux moments de rupture, il en fait de même au niveau des individus qui peuplent cette histoire. Comme le
mettra en exergue par la suite Walter Benjamin au sujet de Baudelaire, il prête moins attention aux héros qu’aux oubliés, aux petites mains de cette histoire révolutionnaire. Rimbaud exprime
soit l’inadéquation de la généalogie qui lui est assignée, soit l’absence de généalogie : la continuité historique assurée habituellement par l’héritage est à réinventer. Il faut se tourner
vers _Une saison en enfer_, long poème narratif divisé en plusieurs parties, et plus particulièrement à « Mauvais sang » pour en saisir la portée. Rimbaud cherche sa filiation dans les
Gaulois mais aussi dans la Révolution de 1789 : « _J’entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits de l’Homme_ ». Mais cette généalogie reste
insatisfaisante : « _Si j’avais des antécédents à un point quelconque de l’histoire de France !/ Mais non, rien._ ». Si le roman national est en plein développement entre fin du Second
empire et l’avènement de la IIIe République, notamment avec _L’Histoire de France_ de Michelet, avec ses généalogies standardisées mêlant figures de héros national et moments glorieux dans
lesquels tout bon Français doit se reconnaitre, Rimbaud, lecteur de Michelet, prend à contrepieds de telles propositions. On le voit par exemple en mettant en vis à vis la description que
Michelet fait de Legendre dans son _Histoire de la révolution française_ et celle que Rimbaud propose dans « Le Forgeron » : le premier en fait un « _homme de passion naïve, sincère et
colérique, que Danton tirait comme il voulait_ » alors que le second le dit « _Effrayant/ D’ivresse et de grandeur, le front large, riant/ Comme un clairon d’airain, avec toute sa bouche,/
Et prenant ce gros-là dans son regard farouche_ ». Les masses laborieuses, ici incarnées par Legendre, décrites dans toute leur gloire sans pour autant ignorer leur misère sont celles qui
vont se soulever lors de moments révolutionnaires. Si on revient au début d’_Une saison en Enfer_, il ne faut pas prendre les constats apparemment défaitistes comme une sentence mais comme
un point de départ, une volonté de retourner l’ordre imposé. Si l’on poursuit la lecture du texte, on remarquera l’intérêt répété de Rimbaud pour les hors-la-loi, les vagabonds et les
forçats : il indique clairement son intérêt pour les dominés. En mettant en parallèle ce passage d’_Une saison en Enfer_ avec les « Lettres du voyant », écrites à deux de ses amis, Georges
Izambard et Paul Demeny, en mai 1871, on notera que Rimbaud joue sur plusieurs plans de la domination et plus généralement des marges en réintégrant explicitement un bon nombre de groupes
marginalisés : il s’attache par exemple à introduire les femmes dans cette généalogie, que ce soit celles de la Commune de Paris (« Les mains de Jeanne-Marie ») ou en appelant également à «
bris[er] l’infini servage de la femme », dans sa lettre datée du 15 mai 1871. La généalogie, l’archéologie personnelle mais aussi générale deviennent un champ de possibilités où, par jeu
d’accumulations et de juxtapositions, un autre récit historique, houleux, apparaît. Il réinterroge ainsi la question d’appartenance permettant non pas de reformer une identité nationale mais
de penser de nouvelles collaborations à la marge des groupes institutionnalisés : « _J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles
langues_ » écrit-il dans « Adieu », dernière partie d’_Une saison en enfer_. On comprend que l’ambition de Rimbaud n’est pas simplement celle d’une description, mais d’une réinvention. La
lettre du 13 mai 1871 à Izambard a une ambition programmatique : « _je serai travailleur_ », « _il s’agit d’arriver à l’inconnu par dérèglement de_ tous les sens », « _je m’encrapule le plus
possible_ ». Toutes ces expressions sont là pour appeler à un travail poétique renouvelé qui ne se contentera pas seulement d’accompagner les évolutions socio-politiques, mais d’être « _en
avant_ » comme il l’écrit deux jours plus tard à Demeny. Rimbaud prête attention à la condition des travailleurs que ce soit dans les champs (on peut remarquer l’évocation du travail
agricole dans « Le Forgeron ») ou dans l’industrie. Il ne va pas décrire en détail les conditions de travail mais s’attacher à faire entrer les travailleurs, comme acteurs, dans ces textes,
et de créer une communauté avec l’écrivain. Comme il l’écrit dans « Mauvais sang », pour lui « _la main à plume vaut la main à charrue_ ». Rimbaud n’a pas pour ambition d’avoir un regard
surplombant mais se place au même niveau que ceux qu’il met en scène : à la fin d’_Une saison en enfer_ il dit être « _rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à
étreindre !_ ». Son travail est de construire une histoire depuis ces révoltes qui grouillent, en tant que poète placé en avant-garde mais aussi comme réimaginant les liens d’un moment à
l’autre pour éviter que l’inspiration des moments révolutionnaires précédents ne transforme le soulèvement en cours en parodie perdant de son efficacité. L’expression « _le poète est
vraiment voleur de feu_ », que l’on trouve dans la lettre du 15 mai 1871, pourrait alors être entendue comme la saisie et la transmission d’embrasements, d’impulsions révolutionnaires. Le
projet révolutionnaire de Rimbaud est donc intrinsèquement lié à sa reconfiguration de la figure du poète : il est un observateur incomparable aux capacités créatrices, il est capable de
recomposer non seulement la langue, mais aussi l’histoire et l’espace. C’est ainsi qu’il est celui qui ouvre la marche dans l’inconnu, dans l’ombre, mais avec la ferme intention de tisser
des complicités entre travailleurs et poètes. Rimbaud, ainsi, dans sa lettre à Demeny du 15 mai 1871, écrit la responsabilité du poète qui « est chargé de l’humanité, des _animaux_ même ».
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