« en finir avec les présidents ». Discussion avec olivier besancenot
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DANS SON DERNIER ESSAI, OLIVIER BESANCENOT PROPOSE UN PROGRAMME DÉMOCRATIQUE NETTEMENT PLUS RADICAL QUE CELUI DE LA VIE RÉPUBLIQUE DÉFENDU PAR LFI. MAIS POUR LE METTRE EN ŒUVRE ET RENVERSER
LA "RÉPUBLIQUE DES PRÉSIDENTS-MONARQUES", SANS DOUTE FAUDRAIT-IL D’AUTRES MÉTHODES. Dans son dernier essai, _En finir avec les présidents_, Olivier Besancenot part du constat de la
crise terminale de la Ve République. Face aux classes dominantes qui cherchent une issue autoritaire à l’impasse dans laquelle elles se trouvent, il y a urgence à opposer une réponse.
Prenant pour modèle la Constitution de 1793 et le moment de radicalisation de la Révolution française, Besancenot élabore un programme démocratique nettement plus radical que la VIe
République défendue par Mélenchon. Mais pour le mettre en œuvre, la stratégie électorale qu’il défend est parfaitement insuffisante. LA VE RÉPUBLIQUE, UNE ANTI-DÉMOCRATIE EN CRISE Comme le
souligne Besancenot, depuis le passage en force de la réforme des retraites, la crise de la Ve République est de plus en plus palpable. Confronté à une véritable crise du consentement, le
régime s’appuie de manière croissante sur les instruments les plus autoritaires de la Constitution pour mettre en œuvre l’agenda néolibéral des classes dominantes : de la réforme des
retraites au déni du résultat des élections législatives anticipées en passant par la dissolution de l’Assemblée Nationale à l’été 2024, le régime se durcit. Mais la période actuelle est
marquée par une contradiction supplémentaire : « _La machine sature, s’enraye, et n’assure plus efficacement sa fonction première, à savoir celle de garantir un minimum de stabilité face aux
perturbations politiques_ » [1]. Contraint d’adopter des instruments de plus en plus coercitifs et de faire un usage croissant des forces sécuritaires de l’État, le durcissement du régime
le fragilise durablement : « _Les rouages de cette République ont rouillé. Pire, il arrive que le moteur surchauffe, s’emballe et alimente la crise elle-même. À deux reprises récentes, les
réponses institutionnelles apportées à l’instabilité du moment n’ont fait que nourrir la bête_ ». Besancenot donne deux exemples : le 20 mars 2024, après avoir échappé à neuf voix près à une
motion de censure, le gouvernement d’Élisabeth Borne a utilisé le 49-3, « _ravivant les grèves et les manifestations et transformant un mécontentement social en une véritable crise
démocratique_ » [2]. Second exemple : le 10 juin 2024, Macron a dissous l’Assemblée nationale après l’annonce du résultat des élections européennes. Une décision dont le « _coût politique se
révèle bien plus élevé qu’il n’y paraissait au premier abord_ ». En effet, « _La France s’engage durablement dans une phase de crise permanente, où tout gouvernement peut être renversé du
jour au lendemain. Si l’accélération de la date de péremption des Premiers ministres est déjà préoccupante, le chaos constant l’est encore davantage. Car ce chaos n’est jamais bon pour les
affaires économiques_ » [3]. L’utilisation répétée des instruments autoritaires de la Ve République plonge ainsi le régime dans une spirale où chaque coup de force aggrave le blocage et la
crise qu’il est censé résoudre. Comme Besancenot le souligne, les classes dominantes commencent à s’inquiéter de la fragilité du régime et cherchent une solution : « _Il n’est donc pas
absurde d’imaginer que, même depuis les hublots de la première classe, on finisse par observer que le paysage de la Ve République touche à ses limites, et qu’il commence à se dire, dans ces
cercles aussi, qu’elle a largement fait son temps. La période exige du solide et la gratitude n’est pas la spécialité de la maison. Il faudra donc changer, d’une manière ou d’une autre. La
véritable question n’est plus de savoir si la Ve République va rester en place, mais quel régime va lui succéder. Un pouvoir présidentiel encore renforcé, toujours au service des mêmes
intérêts ? Ou autre chose ?_ » De toute évidence, les classes dominantes se préparent à un virage bonapartiste pour résoudre une crise qu’on aurait cependant tort de réduire à sa dimension
purement institutionnelle. L’épuisement du capitalisme néolibéral français et l’échec politique de l’offre des classes dominantes sont tout aussi déterminants dans la crise actuelle : la
croissance et le taux de profit ne sont pas repartis à la hausse tandis que la dette s’est creusée jusqu’à éroder la capacité d’endettement des classes dominantes alors même qu’elles
aspirent à se réarmer en finançant la militarisation par la dette. Une situation de crise pour la bourgeoisie qui devra immanquablement lancer de nouvelles offensives antisociales et
antiouvrières pour financer et le déficit, et la guerre. Ce qu’elle ne pourra faire qu’en mobilisant les mécanismes les plus coercitifs que le régime met à sa disposition. Besancenot a
raison : la crise de la Ve ouvre sur le pire. Mais, avant même un changement de régime, la bourgeoisie peut compter sur les instruments encore peu utilisés que la Ve garde en réserve. Comme
le souligne le constitutionnaliste Benjamin Morel, les scénarios catastrophes ne manquent pas : dissolution à répétition, extension du gouvernement démissionnaire, les pleins pouvoirs
conférés par l’article 16, etc. Des scénarios que des éditorialistes réactionnaires considèrent ouvertement tandis que des candidats à la présidentielle comme Édouard Philippe évoquent déjà
une nouvelle manière de gouverner à coup de dissolution, de décrets et de référendum. LA CRITIQUE DU « PRÉSIDENTIALISME » ET SES LIMITES Évoquant l’épisode du mouvement des Gilets jaunes
pendant lequel « _l’état-major militaire avait élaboré un plan d’exfiltration du président_ » hors de l’Élysée, Besancenot indique à raison que pour combattre le saut césariste qui pourrait
advenir, il faut « _une exfiltration pensée et réfléchie, qui ne vise pas tant à évacuer un président qu’à extraire de notre démocratie la fonction monarchiste inhérente au présidentialisme,
ce règne sans partage du président sur la vie politique_ » [4]. En effet, la situation actuelle n’est pas un problème de personne, mais de système : une constitution ultra-bonapartiste, née
de la guerre coloniale d’Algérie, qui confère des pouvoirs exorbitants au Président de la République. Après le coup d’État qui permet à De Gaulle de renverser la IVe République, la
Constitution accorde des pouvoirs étendus à un président-chef-de-guerre, dirigeant de l’impérialisme français qui dispose à ce titre de la possibilité d’exercer les pleins pouvoirs, d’un
contrôle absolu sur les forces armées et la dissuasion nucléaire, du pouvoir de « _placer qui il veut aux postes clés de l’appareil d’État_ » et de nommer le Premier ministre et, donc, le
gouvernement [5]. Voilà la figure monarchique que Besancenot inscrit dans l’histoire plus large du présidentialisme français, « _cousin républicain du bonapartisme_ » et qui hante l’ensemble
de la vie politique française, du règne de Napoléon Ier en passant par la chute de la IIe République, cent ans avant le putsch d’Alger, après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte.
C’est avec la Constitution de la IIe République, le 4 novembre 1848 que la figure présidentielle est institutionnalisée. La IIIe, IVe et Ve République suivront [6]. S’il est vrai que le
pouvoir républicain est inséparable de la figure présidentielle, la catégorie de « _présidentialisme_ » est cependant insuffisante pour décrire la spécificité de la Ve République. Au regard
de sa structure, la Constitution de la Ve République se situe au croisement de plusieurs traditions réactionnaires : si le présidentialisme est assurément l’une d’entre elles, la Ve est
également marquée par l’influence très profonde du libéralisme autoritaire allemand et de la gouvernance coloniale française dont elle fait en quelque sorte la synthèse. D’une part, les
rédacteurs de la Constitution, à l’instar de Michel Debré ou René Capitant [7], sont profondément influencés par Carl Schmitt, Alfred Müller-Armack et la théorie décisionniste de l’état
d’exception, très en vogue pendant les dernières années de la République de Weimar [8]. Si toutes les dictatures de classe sont dotées, sous une forme ou une autre, d’un régime d’urgence
destiné à protéger les intérêts des classes dominantes en cas de crise révolutionnaire, la Ve jouit d’un arsenal sans commune mesure [9] : état d’urgence, état de siège (loi martiale) et
pleins pouvoirs. Tandis que les deux premiers appartiennent à la famille des états d’exception constitutionnels (une suspension partielle de la Constitution pour rétablir ses conditions
normales d’application), l’article 16 est de nature supra-constitutionnelle : il permet au Président de se doter des pouvoirs exécutif et législatif au nom de la défense de l’État lui-même
[10]. Il est au cœur de ce que le juriste néo-schmittien Henri Le Pac appelle « l’État nucléaire » et demeure effectif en permanence dans le cas de la dissuasion nucléaire qui est du seul
ressort du Président [11]. D’autre part, la Constitution de la Ve République est également une incarnation très aboutie du courant constitutionnaliste des libéraux autoritaires. Pour ce
courant, l’état d’exception ne constitue qu’un instrument parmi d’autres. Pour protéger les intérêts des classes dominantes, des théoriciens comme Friedrich Hayek jugeaient qu’« _une
constitution représente une superstructure protectrice, conçue en vue d’empêcher toute confusion entre les pouvoirs du gouvernement pour faire appliquer les règles sur lesquelles repose
l’ordre spontané de la société_ » [12]. En d’autres termes, il s’agit de sanctuariser les intérêts des classes dominantes en limitant au maximum le pouvoir législatif, soit par des règles
constitutionnelles, soit par des institutions-digues. De ce point de vue, la Ve République applique les recommandations des ordolibéraux allemands comme Wilhelm Röpke qui plaide pour le
renforcement de la chambre haute [13]. Mais, en plus du Sénat, la Ve se dote d’un Conseil constitutionnel qui jouit d’un pouvoir de censure des textes de loi qui survivrait au veto du Sénat.
En outre, la Constitution, par l’intermédiaire de l’article 40, limite le pouvoir d’amendement de l’Assemblée, qui est également privée, à l’exception de rares niches parlementaires, du
pouvoir de proposer des lois. Enfin, la Ve République hérite des instruments de la domination coloniale française. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement de la France libre
dirigé par de Gaulle gouverne depuis les colonies françaises par décrets, l’instrument par excellence de l’administration coloniale. Une pratique du pouvoir qui, par un effet de boomerang,
participera à modeler la Constitution gaulliste qui intègre, dans son texte, les dispositifs d’exception du droit colonial : depuis 1848 et l’article 109 de la Constitution de la IIe
République, les colonies sont en effet soumises à un état d’exception généralisé au sein duquel le pouvoir est exercé par des administrateurs civils ou militaires. Au-delà du
présidentialisme, la Ve République constitue ainsi une véritable synthèse des expérimentations ultra-réactionnaires de la contre-révolution européenne, notamment venues de l’Allemagne de
Weimar et du droit impérialiste, élaboré dans les colonies françaises. Un régime conçu, comme le souligne Eugénie Merieau, pour passer sans changement de régime de la démocratie autoritaire
à la dictature. FACE AU CÉSARISME QUI VIENT, UNE RÉPONSE DÉMOCRATIQUE INSPIRÉE DE 1793 Face à la menace d’un saut césariste, Besancenot appelle donc à juste titre à se ressaisir de la
tradition démocratique française, « _celle d’aller déloger le roi de son château lorsque le peuple manque de pain_ », et fait de la « _démocratie directe_ », « _cette autre histoire
française_ », le modèle de son programme démocratique. À côté de la Commune de 1871 et des travaux de Félix Pyat, Besancenot construit son programme démocratique en prenant pour modèle la
Constitution de juin 1793. Comme le résume Besancenot, il s’agit d’« _une proposition d’ensemble qui se situe aux antipodes du fonctionnement présidentiel. La souveraineté politique y est en
effet consacrée tout entière au peuple et repose sur un régime d’assemblée, reliées entre elles par le fil d’une logique démocratique ascendante. La pierre angulaire de l’édifice
constitutionnel est l’Assemblée primaire. Elle est formée de deux cents à six cents citoyens maximum. Des réunions d’assemblées fortes de "quarante mille âmes" ont ensuite la
charge de désigner un député. L’assemblée des députés est élue pour un an. En son sein, un Conseil exécutif collégial, composé de vingt-quatre membres choisis par l’assemblée, est renouvelé
de moitié à chaque législature_ » [14]. Bien qu’il passe très rapidement sur 1793, Besancenot a raison d’accorder un poids décisif à la Constitution de l’an I, aboutissement démocratique du
processus révolutionnaire initié en 1789. Après la fuite du Roi et son exécution, le 21 janvier 1793, les factions girondines, qui voulaient trouver un compromis avec la monarchie, se
résignèrent à la formation d’une République et proposèrent, pour limiter son caractère populaire, un texte constitutionnel destiné à protéger farouchement le droit de propriété. Dénoncés par
la Commune de Paris, les députés girondins sont chassés du pouvoir lors des journées insurrectionnelles du 31 mai et du 2 juin 1793 [15]. La Montagne s’empare alors de la Constitution et
propose un texte, ratifié par les Assemblées primaires le 24 juin, qui constitue sans doute la Constitution la plus démocratique que la France ait jamais eue, bien qu’elle n’ait jamais été
appliquée en raison de la proclamation du gouvernement révolutionnaire en octobre 1793. Le texte de 1793 fait en effet de l’Assemblée unique le centre de gravité du système. Le Corps
législatif légifère et gouverne par décrets (article 53) : il gère la politique étrangère et contrôle l’armée en nommant ou révoquant ses chefs. Cette Assemblée unique élit un Conseil
exécutif de vingt-quatre membres en son sein qui, selon l’article 65, est « _chargé de la direction et la surveillance de l’administration générale_ ». Les pouvoirs propres de l’exécutif
sont extrêmement restreints et se limitent à l’application des décisions de l’Assemblée [16] : « _Le Conseil ne peut agir qu’en exécution des lois et des décrets du Corps législatif_ ». Il
est « _responsable de l’inexécution des lois et des décrets et des abus qu’il ne dénonce pas_ ». Les membres du Conseil peuvent être poursuivis par l’Assemblée qui siège également comme un
tribunal spécial pour juger les fonctionnaires publics et les complots contre la République. L’Assemblée du texte de 1793 concentre ainsi les pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif. Sur
la base de ce modèle, Besancenot se donne ainsi deux « _lignes directrices_ ». D’une part, « _le choix ferme et définitif de donner la priorité au pouvoir local, en renouant avec le
principe d’une démocratie ascendante, à l’opposé de celle qui nous est imposée par le haut_ » [17] : c’est-à-dire, en substance, des assemblées locales, à différentes échelles. Ces
assemblées locales éliraient les députés nationaux regroupés dans « _une assemblée unifiée, élue au scrutin proportionnel, à parité hommes-femmes_ » et « _contrôlée autant que faire se peut
par les assemblées locales_ » qui pourraient révoquer les élus. L’assemblée « _élirait en son sein un pouvoir exécutif paritaire, de type gouvernemental, qui lui serait subordonné et serait
révocable_ » : les « _postes de cet exécutif correspondent à des mandats et à des tâches précises_ » car « _il ne s’agit pas d’assurer une représentation étatique mais de garantir la
continuité quotidienne des actions publiques qui ont été décidées en amont et qui réclament la constance pour leur mise en application_ ». Pour acter d’une rupture décisive avec les
Constitutions précédentes, Besancenot juge - à raison - que cette « _organisation implique la suppression de l’actuel Sénat et l’extinction du statut de président de la République_ » [18].
Il s’agit d’un programme démocratique très progressiste à côté duquel la proposition de VIe République, formulée par la LFI, apparaît comme une mascarade. Maintenant la figure présidentielle
et ses pouvoirs colossaux, LFI propose seulement de redonner un peu de pouvoir à l’Assemblée nationale. Si LFI expliquait, en 2017, vouloir « _supprimer le Sénat_ » et retirer au Président
« _le pouvoir de nomination_ » du Premier ministre pour le confier à l’Assemblée [19], ces revendications ont rapidement été abandonnées. Tandis que le programme de la NUPES, en 2022, et
l’Avenir en Commun, dans sa version de 2025, maintiennent la suppression des « _procédures qui brident les droits du Parlement_ », le programme du NFP ne mentionne plus que « _l’abrogation
du 49-3_ » et promet vaguement de « _revitaliser le parlement_ » [20]. En un mot, garder l’essentiel de la Ve République, son président et ses pouvoirs d’exception, son Sénat réactionnaire
et le Conseil constitutionnel, en se contentant de supprimer quelques instruments du parlementarisme rationalisé. UNE STRATÉGIE ÉLECTORALE QUI N’EST PAS À LA HAUTEUR DES ENJEUX Toutefois,
pour réaliser son programme, Besancenot se montre particulièrement impressionniste. D’une part, il reprend à La France Insoumise son projet de convoquer une Assemblée Constituante : «
_Révolutionner les institutions démocratiques suppose un processus souverain et la convocation d’une Convention constituante dédiée_à ce seul objectif » écrit-il. Une revendication qui
revient à faire de son programme démocratique une alternative à la VIe, à défendre au sein de l’Assemblée Constituante proposée par les Insoumis, après une hypothétique victoire lors d’une
élection présidentielle. Pour en finir avec les présidents, il faudrait donc d’abord en faire élire un autre. De façon assez symptomatique, Besancenot ne parle ainsi pas de la «
_suppression_ » de la fonction présidentielle mais de « l’extinction _du statut de président de la République_ » et de la « _la fin_ à terme _de tous les présidents_ », avant d’interpeller
directement Jean-Luc Mélenchon : « _Le premier engagement d’un candidat à l’élection présidentielle ne peut pas uniquement se résumer à celui d’être le dernier président de la Ve République,
il doit également s’engager à ne pas devenir le premier de la VIe_ » [21]. À d’autres moments de son argumentation, Besancenot lance un appel à construire un grand mouvement sans que l’on
sache clairement s’il s’agit d’une mobilisation de masse ou d’une « campagne » électorale : la Constituante, écrit-il, « _ne peut être que le produit d’une campagne de très grande envergure_
», d’une « _mobilisation exceptionnelle des secteurs de la population habituellement écartés de la scène politique traditionnelle_ », « _une campagne qui signifie la mobilisation massive
des classes populaires et de la jeunesse sur le devant de la scène, d’ordinaire exclues de la vie politique_ » [22]. Une rhétorique ambiguë qui ne tranche pas entre la voie institutionnelle
et la voie révolutionnaire. Mais les dernières pages de l’essai viennent clarifier cette alternative : « _Une convention constituante n’a pas qu’une vocation institutionnelle, elle est aussi
une expérience grandeur nature pour qu’une collectivité humaine solidaire s’exprime en actes et qu’elle libère les germes d’égalités nouvelles qui sommeillent dans les flancs de la vieille
société_ » [23]. En d’autres termes, la Constituante serait le moyen d’unifier le « _salariat_ », de « _faire vivre l’unité sociale_ » et de provoquer « _une prise de confiance collective_ »
[24]. Si Besancenot écrivait que la Constituante ne pouvait être que le résultat d’une grande mobilisation, elle est désormais le moyen de la provoquer. Il faudrait ainsi que La France
Insoumise remporte les élections présidentielles, que son candidat convoque la Constituante pour que le mouvement de masse puisse se construire. Si Besancenot veut articuler les urnes et la
rue, c’est en mettant ainsi nettement l’accent sur la première. Ainsi, s’il se réfère au moment 1793, Besancenot ne semble pas retenir ses deux principales leçons. D’une part, la
Constitution de l’an I n’est pas née d’un processus institutionnel mais de la mobilisation en armes des sections parisiennes et de la Commune contre les institutions. La Constitution
rétrograde des Girondins est mise à mal lors des journées insurrectionnelles du 31 mai et du 2 juin lorsque les masses parisiennes mettent aux arrêts les députés qui tentaient de limiter le
caractère social du processus révolutionnaire. Dès le printemps 1792, les sections et les assemblées locales avaient obtenu le droit de se réunir en permanence et demandent, dans la pétition
du 20 juin, « _la permanence de nos armes jusqu’à ce que la Constitution soit exécutée_ » [25]. Le mouvement de masse, face à la Convention, se manifeste à chaque instant et exerce son
pouvoir d’insurrection que l’historien Albert Soboul définit comme « _la résistance du peuple qui se lève, refuse d’obéir à des lois qu’il n’accepte pas, ressaisit l’exercice de ses droits
souverains, exige des comptes de ses mandataires et leur dicte ses volontés : à ce stade, l’insurrection est une manifestation de masse qui traduit à la fois l’unanimité et la majesté
populaire_ » [26]. En d’autres termes, et c’est une leçon centrale, c’est donc le mouvement de masse qui impose d’un bout à l’autre sa volonté à la Constituante et non la Constituante qui
crée le mouvement de masse. En définitive, l’idée selon laquelle le processus institutionnel doit précéder le mouvement de masse revient à refuser d’affronter l’Etat bourgeois et à placer
notre sort dans les mains des institutions. Mais 1793 apporte une seconde leçon, celle du lien indissociable entre les revendications démocratiques et les revendications sociales et,
aujourd’hui, ouvrières. La Ve République, on l’a dit, n’est pas simplement une constitution « présidentialiste » qui malmène la démocratie mais la synthèse en acte des instruments de la
contre-révolution européenne, une Constitution taillée sur mesure pour tenir en respect le monde du travail et protéger les intérêts économiques de la bourgeoisie. En dernière analyse, en
misant tout sur un processus institutionnel qui n’offre aucune voie praticable pour faire avancer les revendications de notre classe, Besancenot trahit son pessimisme à l’égard de la lutte
des classes elle-même, qu’il faudrait désormais remplacer par une sorte de « _révolution démocratique permanente_ », pour reprendre la formule d’un des derniers textes de Daniel Bensaïd
[27]. Une lutte qui, diluant le caractère irréconciliable des intérêts des travailleurs avec ceux du patronat, serait censée avoir davantage de chance d’aboutir sur le terrain des
institutions et qui, en cas de victoire, devrait réveiller quelque chose dans la conscience ouvrière. En somme, une victoire du « peuple » pourrait sortir de sa torpeur la « classe ». Mais
la bourgeoisie n’a plus rien à donner et tout à reprendre. Pour la faire plier, le « peuple » est impuissant sans les armes de la classe. Dans un contexte de crise généralisée, les classes
dominantes, qui regardent déjà du côté de Trump, s’opposeront non seulement de toutes leurs forces à un processus qui menace le régime, mais mobiliseront en outre toutes les ressources que
la Ve République garde en réserve pour préserver leur pouvoir et leurs intérêts. Tel est au fond le point central : un programme exclusivement démocratique qui s’appuie sur les institutions
et de simples « mobilisations », aussi « vastes » soient-elles, ne nous mène nulle part. Il est impuissant parce qu’il se prive de la force sociale des travailleurs dont il espère qu’une
victoire électorale pourrait la stimuler. À l’inverse, un programme qui articule étroitement revendications démocratiques et revendications sociales et qui cherche à les imposer par la grève
et les méthodes de la lutte des classes cherche à construire d’emblée une force matérielle et sociale capable d’aller beaucoup plus loin. Un tel programme n’attend pas que la conscience
ouvrière fasse son grand retour comme par magie mais œuvre activement à son déploiement. Il part de la conscience immédiate des travailleurs et de leurs revendications partielles, même sur
le terrain de la démocratie, tout en mettant immédiatement à l’ordre du jour l’affrontement avec la bourgeoisie, son État et ses lois. En tant que communistes révolutionnaires, nous savons
que nous n’avons rien à attendre, même de la plus démocratique des républiques bourgeoises, tant que les classes dominantes n’auront pas été expropriées. Mais tant que notre classe se situe
sur le terrain de la démocratie, nous nous tiendrons à ses côtés à la condition qu’elle défende un programme radical, digne de 1793 et des formes les plus radicales de démocratie bourgeoise,
et qu’elle le défende par les méthodes de la lutte des classes. Car c’est à cette seule condition, non seulement qu’une lutte pour la démocratie peut aboutir mais, surtout, que notre classe
peut prendre conscience de sa force et aller bien au-delà, pour changer de fond en comble la société.
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