Les Indiens achuar témoins des mutations auxquelles l’humanité est appelée

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Les Indiens achuar témoins des mutations auxquelles l’humanité est appelée"


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A la rencontre des Achuar d’Amazonie, Alessandro Pignocchi a rencontré une société mouvante : influencée par les séductions de la société moderne, mais toujours empreinte d’une relation


particulière avec les esprits de la forêt. Il le raconte dans un beau livre dessiné, Anent.


Dans ce roman graphique, Alessandro Pignocchi raconte avec finesse et humour ses voyages en Amazonie équatorienne à la rencontre du peuple achuar, l’une des tribus les plus reculées des


Indiens jivaros. Ses aquarelles nous emmènent en jungle profonde, à la frontière de l’Équateur et du Pérou, dans des villages auxquels on n’accède qu’en avionnette, puis en pirogue pour les


derniers kilomètres. Il suit les traces de Philippe Descola, célèbre ethnologue – aujourd’hui titulaire de la chaire d’anthropologie de la nature au Collège de France – qui avait vécu trois


ans, de 1976 à 1979, au sein d’une communauté achuar.


Le livre de Pignocchi, Anent, est non seulement un voyage en terre inconnue, mais aussi dans le temps, car il offre un aller-retour permanent entre l’expérience de son prédécesseur et la


sienne, quarante ans plus tard. De nombreuses planches sont inspirées du récit qu’a fait Descola de son immersion, Les Lances du crépuscule, (Plon, 1993) dans lequel il décrit « une


situation ethnographique exemplaire : nous n’avions rien compris à ce qu’ils disaient, nous n’avions rien compris à ce qu’ils faisaient ».


Cet ouvrage, qui a été une révélation pour Pignocchi et a ouvert la piste de sa propre recherche, est largement cité dans Anent. Ses extraits enrichissent remarquablement une narration qui


devient « à double voix ». Sous un trait sensible et intelligent, le dessin fait sentir les différentes époques, les niveaux de profondeur et le mystère généré par l’attraction pour une


culture inédite à la lecture des Lances du crépuscule, qui s’éclaircit au fur et à mesure que l’auteur en fait lui-même connaissance, comme en témoigne la colorisation progressive des


aquarelles. D’abord en noir et blanc, elles rendent « justice à la dimension fluide de l’expérience de la forêt. Les plantes, les animaux et les humains semblent composés de la même


substance… On s’attend presque à voir des métamorphoses ».


Des métamorphoses, Anent ne cesse d’en rapporter. D’une génération à l’autre, c’est l’évolution d’une culture, récemment encore quasi « intouchée » par la civilisation moderne, que ce livre


retrace, ou dont il tente de donner quelques impressions. Pignocchi part sur la trace des anent, de « brèves invocations chantées, fredonnées à voix basse ou récitées mentalement, qui


permettent d’établir une forme de transmission de pensée avec les plantes, les animaux et les esprits ». Descola, au siècle précédent, avait noté l’importance accordée par les Achuar à ces


chants, et avait constitué un corpus d’une centaine d’anent enregistrés sur place. La plupart sont « destinés à influer sur des êtres humains ou sur des animaux domestiques » – générant


l’harmonie conjugale, la bonne entente avec ses voisins, etc. D’autres, « hautement valorisés, permettent de communiquer avec le gibier » et sont utilisés lors de la chasse.


Mais, quatre décennies plus tard, San – ainsi qu’Alessandro Pignocchi a été renommé par ses amis achuar – ne retrouve pas la présence des anent dans le quotidien, et découvre de jeunes


Achuar aux noms désormais hispaniques, qui n’en connaissent aucun et valorisent plutôt la cumbia-rock comme mode d’expression musicale.


Il en va ainsi, tout au long du livre, de divers aspects du mode de vie achuar ; le jeune auteur est sans cesse confronté aux représentations – aux fantasmes pourrait-on presque dire –


qu’ont suscitées chez lui Les Lances du crépuscule, et à la réalité qu’il rencontre. Les communautés ont été christianisées ; les hommes hésitent, lorsque l’un d’eux est malade, à le


conduire à l’hôpital, devenu service gratuit depuis que Rafael Correa est président de l’Equateur, ou chez le chaman ; certains voient l’avenir dans l’arrivée des programmes « éco-sociaux » 


; les jeunes rêvent d’aller étudier en Europe, sont parfois équipés des derniers appareils technologiques, etc. Pignocchi n’hésite pas à traduire ses surprises sous une forme subtile


d’autodérision : pourquoi nous, Occidentaux, ne voulons-nous pas que cela change ?


Cependant, la relation privilégiée de ce peuple amérindien à la nature, qui avait profondément attiré l’auteur, est loin d’avoir entièrement disparue. En fait, cette idée même est erronée,


puisque la distinction entre l’homme et la nature est proprement occidentale. Les Indiens, au contraire, « en donnant aux êtres qui peuplent [la nature] une dignité égale à la leur,


n’adoptent pas à leur endroit une conduite vraiment différente de celle qui prévaut entre eux. Ils considèrent les plantes et les animaux comme des sujets plutôt que comme des objets ». Et


au détour de certaines pratiques, qu’au premier abord San ne reconnaît pas, il entend un mot, perçoit une attitude, qui le replongent dans les récits de Descola ; pas à pas, une certaine


mémoire ancestrale semble se réveiller…


Le livre dans son ensemble nous interroge sur la discipline même de l’ethnologie, qui se réclame ici de Lévi-Strauss, à propos duquel Descola dit « qu’il avait déjà l’impression d’arriver


trop tard ». Et, bien sûr, cette histoire particulière nous renvoie aux mutations auxquelles l’humanité entière est appelée, dans ce temps de profonde perturbation. Anent se termine par une


sorte d’invitation : « Les communautés de Numbaïme et de Napurak seraient heureuses d’accueillir de temps à autre quelques touristes », suivie des coordonnées nécessaires. Malgré la marche


du monde, aurait-on encore quelque chose à apprendre, un regard à transformer, au contact d’hommes vivant non pas dans la jungle, mais avec elle ?


-  Anent - Nouvelles des Indiens jivaros d’Alessandro Pignocchi, préface de Philippe Descola, Steinkis, 164 p., 20 euros.


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