L’historien et académicien Pierre Nora est mort

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L’historien et académicien Pierre Nora est mort"


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Au printemps de 1961 paraissait chez Julliard un livre de 256 pages. Sur la page de couverture de l'édition originale, pas de nom d'auteur. Il faudra attendre cinquante ans pour


que Pierre Nora, l'année de son quatre-vingtième anniversaire, publie un deuxième ouvrage personnel sous son seul nom, cette fois bien visible sur la couverture blanche de la NRF, et


adorné, en italique, de la mention qui signe un accomplissement littéraire, de l'Académie française.


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De _Les Français d'Algérie_ à _Historien public_ s'était écoulé un demi-siècle prodigieux dans la vie intellectuelle de notre pays, dont Pierre Nora, décédé ce lundi 2 juin à 93 


ans, fut l'un des acteurs les plus entreprenants et, de proche en proche, les plus en vue.


Pour le dire un peu trivialement, c'était alors toute une époque, désormais éteinte depuis deux décennies, et dont la disparition de Pierre Nora sonne le glas : « C'était le beau


temps des sciences humaines, écrivait-il en 1998. On s'y amusait ferme. C'était le temps où l'on entrait dans l'édition comme dans un moulin, où l'on côtoyait


davantage de cinglés inspirés et moins de bons jeunes gens à attachés-cases, où dans les foires du livre on faisait vraiment la foire, et pas des kilomètres à pied. »


À LIRE AUSSI PIERRE NORA, L'HOMME D'À CÔTÉUne époque, pour lui et pour nous avec lui, tissée d'idées, de projets, de rires et d'amitiés, de travail aussi, dont cet homme


était prodigue. Il l'était d'autant mieux que le hasard, disait-il, l'intuition et l'opiniâtreté, dirons-nous, l'avaient placé dans une position qui aujourd'hui


n'existe plus, au confluent des institutions du savoir et de la recherche – Sciences Po puis École des hautes études en sciences sociales (EHSS) –, de l'édition – Julliard et


surtout Gallimard –, du débat public – _France Observateur_, _Nouvel Obs_, enfin sa propre revue, _Le Débat _justement –, et de l'engagement qu'on appelle à présent « citoyen » –


guerre des Six Jours, BNF, Maison des enfants d'Izieu, lois mémorielles, hôtel de la Marine… De la politique active seulement il se tenait à l'écart, elle qui vit de choses


injustes.


De l'_homo historicus_, tel que l'évoque Cicéron dans le _Pro Murena_ et tel que l'a décrit François Dosse dans une biographie ainsi sous-titrée, à quoi bon reprendre les


tenants et aboutissants des entreprises considérables, que l'énumération des titres, dont Pierre Nora était virtuose, suffit à rappeler : _Journal du septennat _(avec Vincent Auriol,


1970), _Faire de l'histoire_ (avec Jacques Le Goff, 1974), _Essais d'ego-histoire_ (1987), _Le Débat _(1980-2020), et bien entendu_ Les Lieux de mémoire_ (130 historiens mobilisés


et sept volumes parus de 1984 à 1993).


Et, tout au long, la création et l'alimentation intensive de collections dont aucun éditeur ne peut à ce point se prévaloir et s'honorer : « Archives », « Témoins », « Bibliothèque


des sciences humaines », « Bibliothèque des histoires », où ne manque, dans leur domaine, à peu près aucune des grandes signatures du dernier demi-siècle, sinon celle de Claude


Lévi-Strauss, ce dont Pierre Nora ne se consolait pas.


Sur ces grandes réalisations, sur la conception de l'histoire qui les anime, en particulier le rapport ambigu et conflictuel entre histoire et mémoire ou la possibilité d'une


histoire au présent, sur le thème incessamment exploré et travaillé – la nation France –, notre historien s'est exprimé à maintes reprises. René Rémond, le recevant sous la Coupole,


résume d'un mot : vous avez « ajouté toute une province au territoire de l'historien ».


Michelet, dont Pierre Nora disait que « sans lui, pas de _Lieux de mémoire_ », entreprit d'écrire ses _Souvenirs_ parce qu'il jugeait « indispensable de connaître [s]a vie intime,


pour compléter l'historien par l'homme intérieur ». Son successeur s'y est essayé, tout au soir de sa vie, dans deux petits volumes, le premier dédié à son fils Elphège, le


second à Anne Sinclair, sa dernière compagne, où la discrétion l'emporte sur le dévoilement et l'introspection. Alors, qui au juste était « PN », comme il signait volontiers ? On


ne dira ici que ce que nos yeux ont vu.


Les normaliens agrégatifs réunis en octobre 1971 pour écouter une leçon d'histoire contemporaine de ce maître-assistant encore peu connu crurent voir entrer dans la salle de la rue


d'Ulm, qui n'avait pas voulu de lui parce qu'au fond il ne voulait pas d'elle, une réincarnation de Gérard Philipe en prince de Hombourg, vingt ans plus tôt. Pas encore


quadragénaire, il arborait une de ces cravates de laine alors pionnières de la mode, assortie à une pochette d'une nuance irréprochable.


À LIRE AUSSI LA FAMILLE NORA, UNE AVENTURE INTELLECTUELLEPlus tard, on put observer que cette élégance vestimentaire, nullement affectée, s'étendait à ses souliers toujours indemnes de


toute macule, et sur lesquels le pantalon cassait avec un naturel inégalable. Lorsque, trente ans plus tard, il endossa l'habit vert de l'Académie française, on s'aperçut


enfin qu'ils étaient faits l'un pour l'autre – tous ses confrères ne pouvaient pas en dire autant. En 1976, Maurice Clavel, philosophe à la mode dans ces années-là, qualifia


Pierre Nora, après une émission d'_Apostrophes_, de « jeune Alcibiade », pour lequel semble-t-il, il aurait eu les yeux de Socrate.


Sans doute avait-il en mémoire son Plutarque, selon lequel la beauté de l'Athénien « l'accompagna durant toute son existence, parant de charme et de séduction tous les âges de sa


vie : l'enfance, l'adolescence et la maturité », ce qui est « un privilège peu commun ». En témoigneraient ceux qui ont vu le geste, inoubliable et indescriptible, par lequel


Pierre Nora, après avoir courageusement traité du cas désespéré de son prédécesseur Michel Droit, conclut son discours de réception académique en se tournant vers ses nouveaux confrères.


Cette distinction, qui se retrouvait dans son élocution et un timbre de voix se prêtant à des imitations ravageuses, ne l'abandonnait pas même sur les courts de tennis, recherchant le


geste parfait de la raquette, même si elle ne rencontrait pas toujours la balle, alors que son beau-frère Furet recherchait l'efficacité par la force, de quoi il mourut un jour de


juillet 1997, en plein midi.


En vérité, Pierre Nora était un prince, dont le roi était Simon, son aîné magnifique, et le palais la grande maison familiale de Bourdonné, dans les Yvelines, bien nommée La Cour des Hayes,


entre bois au nord et prés au sud, dans lesquels paissaient des vaches parfois trop curieuses des visiteurs s'avançant sur leur territoire.


Il faut avoir, au début des années 1980, déjeuné à la table de Simon, Jean, Jacqueline et Pierre Nora ensemble pour ressentir physiquement ce que pouvaient être l'esprit et le charme de


cette famille solaire, tout en entrevoyant que ces deux vertus devaient se nourrir aussi de passions souterraines et de blessures enfouies, et aussi de l'empreinte laissée par


l'Occupation, quand il fallait, au cœur du Vercors, échapper à la Gestapo.


Mais l'autre famille, la famille large, c'était celle des amitiés ; qu'il s'agisse du joyeux trio des années 1950, avec André Fermigier et Jean-François Ricard sur le


point de devenir Revel, de celui qui ne se défit que par la mort avec François Furet et Jacques/Mona Ozouf – deux en un –, des liens fraternels avec Jacques Julliard, Jacques Le Goff, Jean


Daniel ou Claude Lanzmann, Milan Kundera aussi, puis d'autres plus jeunes dont on taira les noms, et qui achèvent aujourd'hui de s'éprouver orphelins de cette génération


éblouissante, qui les admettait si facilement dans sa familiarité bienveillante.


À LIRE AUSSI PIERRE NORA : « POURQUOI NOUS ARRÊTONS “LE DÉBAT” » Le dernier cercle enfin, c'était celui de la raison et surtout de la liberté. Pierre Nora avait échappé aux trois pièges


tendus à ses contemporains : l'existentialisme, la psychanalyse, le marxisme. Il eut ce « courage du bon sens » qu'il invoqua sur la tombe de Jean-François Revel, et qui lui valut


des invectives subalternes lorsqu'il dénonçait sans crainte de déplaire aux belles âmes « la rétroactivité sans limite et la victimisation généralisée du passé » et soutenait que


l'historien ne devait pas se faire l'instrument de « la vengeance des peuples », selon le mot de Chateaubriand, mais avant tout tenir compte du temps.


À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre C'est qu'au fond l'historien procédait chez lui du littéraire. Avec ses amis, Proust n'était jamais loin : au vrai, les _Lieux


de mémoire_, dont ce bourgeois juif et tellement français fut le concepteur, l'architecte et le maçon quinze ans durant, étaient sa _Recherche du temps perdu_, deux œuvres cathédrales,


deux manières personnelles et convergentes d'écrire l'histoire, dans la conviction, écrit Antoine Compagnon, que « c'est la littérature qui nous aide à penser la mémoire


autrement que sur le modèle de l'histoire », l'une se nourrissant de l'autre. Ainsi était Pierre Nora, et bien d'autres choses encore.


À présent, c'est d'une main mal assurée que, feuilletant tous ses livres qui lui font nombre et cortège, on tombe sur telle dédicace à l'écriture reconnaissable entre toutes


et jamais altérée : « Avec mon affection de toujours, pour toujours. Oui, pour toujours. »


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