Rite funéraire ou acte de violence : pourquoi l’homme préhistorique était-il cannibale ?

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Rite funéraire ou acte de violence : pourquoi l’homme préhistorique était-il cannibale ?"


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RITE FUNÉRAIRE OU ACTE DE VIOLENCE : POURQUOI L’HOMME PRÉHISTORIQUE ÉTAIT-IL CANNIBALE ?


L'éternel duel entre Rousseau et Hobbes ressurgit, cette fois, sous la truelle des archéologues. Rousseau, l'optimiste, s'obstine : l'homme naît bon, c'est la


société qui le corrompt. Hobbes, lui, ricane dans l'ombre : « la nature dissocie les humains », et dans cet état originel, la vie n'est qu'une lutte sans merci, « solitaire,


misérable, dangereuse et brève ».


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« Posons comme maxime incontestable que les mouvements de la nature sont toujours droits : il n'y a point de perversité originelle dans le cœur humain ; il ne s'y trouve pas un


seul vice dont on ne puisse dire comment et par où il est entré. » « L'homme est naturellement bon… [c'est la société] qui déprave et pervertit les hommes », pense Rousseau.


À LIRE AUSSI HOBBES : « L'HOMME EST UN LOUP POUR L'HOMME » Ce que les deux penseurs appellent « état de nature » est, bien sûr, et avant tout, un point de départ abstrait pour


développer une pensée. Mais prenons-les au mot : ce qui ressemble le plus à l'état de nature est le Paléolithique, époque où les hommes sont des chasseurs-cueilleurs nomades, qui tirent


parti des ressources disponibles dans la nature. Et parmi ces ressources, il y a… ses propres congénères. En tout cas, c'est ce qu'affirment la plupart des anthropologues : nos


ancêtres au Paléolithique pratiquaient le cannibalisme. La formule la plus connue de Hobbes prend tout son sens : « L'homme est un loup pour l'homme ». Littéralement.


« Le cannibalisme comme pratique chez nos ancêtres est évoqué par des scientifiques depuis le XIXe siècle. Mais la controverse était forte, notamment chez les rousseauistes, pour qui cet


élément était gênant, explique Bruno Boulestin, anthropologue à l'université de Bordeaux, alors que depuis la fin du XXe siècle, ça ne fait plus de doute, on sait que le cannibalisme


préhistorique a existé. »


Mais comment savons-nous, au juste, que nos ancêtres ont bel et bien mangé de la chair humaine ? Les premiers indices, ce sont des ossements humains retrouvés dans des grottes, mêlés à ceux


d'animaux, portant les mêmes stigmates : traces de découpe, éclats, fractures intentionnelles. Les os humains, comme ceux des bisons ou des cerfs, sont brisés pour en extraire la


moelle, raclés pour détacher la chair, parfois même brûlés. « On retrouve sur certains restes humains les mêmes gestes de boucherie que sur les animaux consommés », fait remarquer Bruno


Boulestin.


La grotte de Gough, en Angleterre, est l'un des sites les plus emblématiques. Il y a 13 000 ans, des hommes y ont dépecé, découpé, fracturé et consommé leurs semblables. Y ont été


retrouvés « les restes d'au moins six individus, trois adultes et trois immatures, qui ont tous été fracturés et portent des traces de découpe. Parmi eux, on compte au moins trois


coupes crâniennes. Le traitement de leurs corps est analogue à celui des restes animaux retrouvés mêlés aux os humains. Aujourd'hui, la plupart des chercheurs s'accordent à dire


qu'ils ont été consommés ».


Reste la question la plus vertigineuse : pourquoi ? Pourquoi nos ancêtres ont-ils mangé leurs semblables ? La tentation est grande d'y voir un cannibalisme de survie, une réponse


désespérée à la famine. « C'est l'hypothèse la plus intuitive, et elle n'est pas fausse », concède Bruno Boulestin. « Dans certains contextes, notamment lors de crises


climatiques ou de famines, le cannibalisme a pu être une solution de dernier recours. Mais manger son voisin quand on n'a plus le choix est assez banal. » Il serait réducteur de


s'en tenir là.


À LIRE AUSSI L'ÉVOLUTION EST UN LOUP POUR L'HOMMEUn autre cannibalisme que l'on serait tenté de nommer « culturel » a existé. Attention, bien sûr, le cannibalisme est attesté,


mais sa fréquence et son universalité restent débattues. La grande question que se posent les chercheurs est : est-ce qu'on mangeait son voisin de grotte ou les étrangers à


l'issue de conflits violents ? En termes scientifiques : s'agissait-il d'un endocannibalisme (le fait de manger ses proches) ou d'exocannibalisme (manger des étrangers) ?


L'endocannibalisme, c'est-à-dire la consommation des membres du groupe, a souvent été avancé. « Archéologiquement, démontrer le cannibalisme, c'est une chose,


l'interpréter, c'en est une autre, parce qu'évidemment les idées ne laissent pas de traces. Peut-être s'agissait-il d'un rituel funéraire, d'une manière


d'honorer les morts, de les intégrer à la communauté des vivants », suggère Bruno Boulestin. Mais les preuves manquent. « On ne retrouve pas, dans les sites étudiés, d'indices


clairs de pratiques funéraires. »


C'est l'hypothèse de l'exocannibalisme qui s'impose peu à peu. « Les indices convergent vers l'idée d'un cannibalisme tourné vers l'extérieur, vers


l'ennemi », affirme Bruno Boulestin. Comment les chercheurs peuvent-ils en être aussi sûrs ? L'une des clés, c'est l'analyse du strontium, élément naturellement présent


dans les sols et absorbé par les plantes.


À LIRE AUSSI POURQUOI NE SOMMES-NOUS PAS CANNIBALES ? Les animaux mangent ces plantes, puis nos ancêtres consommaient ces animaux. Or, le taux de strontium dans les os et les dents garde la


trace du lieu où chacun a grandi. En comparant ces taux, les scientifiques peuvent ainsi déterminer si les individus consommés venaient d'ailleurs. Résultat : dans plusieurs cas, ceux


qui ont été mangés n'étaient pas du coin. Autrement dit, il s'agissait d'étrangers.


À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre « Aujourd'hui, on a un faisceau d'indices qui montre qu'il est vraisemblable que le cannibalisme était lié à la violence armée


intergroupe plutôt qu'à une pratique funéraire. À la fin du Paléolithique, il semble bien que les membres de certains groupes aient consommé ceux d'autres groupes. » On mange


l'autre, l'étranger, celui qui n'appartient pas au groupe.


Ce que révèlent les ossements, c'est donc la part d'ombre de notre humanité. Le cannibalisme n'est pas un simple accident de parcours, mais serait un comportement ancré, bien


au-delà des impératifs de survie, au cœur des violences intergroupes. Loin de l'image d'un homme naturellement bon, les os nous murmurent une vérité dérangeante : bien avant de


s'organiser en sociétés policées, l'homme était déjà un loup pour l'homme. Alors, Hobbes 1, Rousseau 0 ?


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