Annie ernaux : "la politique macronienne est marquée par un manque d’humanisme"

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Annie ernaux : "la politique macronienne est marquée par un manque d’humanisme""


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Elle est une admiratrice de ­Simone de Beauvoir et de Simone Veil. Annie Ernaux a connu la consécration avec Les Années (2008), une autobiographie collective et intime couvrant soixante ans


de notre histoire, et a devancé l’actualité avec Mémoire de fille (2016), récit sur un rapport sexuel violent l’été de ses 18 ans. L’écrivaine est restée silencieuse ces derniers temps. Elle


nous ­reçoit aujourd’hui, dans sa maison de Cergy en région parisienne, pour parler littérature et politique. Dans ces deux domaines, elle a toujours fait preuve de persévérance et de


cohérence. Voici un court extrait de la longue interview accordée par Annie Ernaux au JDD. _LES ANNÉES_ ONT FAIT L'UNANIMITÉ. ÊTES-VOUS UNE ÉCRIVAINE APAISÉE? Je ne sens plus


d'animosité autour de moi, mais je ne suis pas apaisée pour autant. L'écriture demeure, pour moi, une difficulté et une ­nécessité. Sartre appelait tout ce que l'on a écrit le


"pratico-inerte", et je deviendrais folle à revenir sans cesse sur Les Années. C'est derrière moi. Les Années sont l'aboutissement d'une réflexion sur


l'écriture, avec l'effacement du personnel et l'émergence du collectif. Le "je" et le "nous" se distinguent, mais restent en lien. Il y a d'une part


le chœur du collectif avec les événements, les expressions, et d'autre part la partie individuelle avec les photos intimes. Les Années sont un livre sur le temps. La Place, Une femme,


L'Événement, Mémoire de fille sont aussi des livres sur la mémoire et l'oubli. Comment on se souvient et, donc, comment on écrit. > " > Simone de Beauvoir a été, quand 


j'étais étudiante, la femme la > plus importante de ma vie > " _MÉMOIRE DE FILLE_ EST LE RÉCIT D'UN RAPPORT SEXUEL VIOLENT DURANT L'ÉTÉ 1958. EST-CE LA MATRICE DE


VOTRE LUTTE CONTRE LA DOMINATION MASCULINE? Ma lutte contre la domination masculine est due avant tout à mon éducation, avec une mère non conforme au modèle traditionnel. Ma mère était la


loi, elle était un exemple de féminisme virulent. Je me suis retrouvée, adolescente, partagée entre une éducation qui méprisait toute forme de coquetterie féminine et mon aspiration de jeune


fille à séduire et à me marier. Dans les années 1950, même quand on faisait des études, l'idéal restait le mariage. Je n'ai pas été élevée dans cette perspective-là et j'ai


été complètement coupée des garçons durant mon adolescence. Ils restaient une totale abstraction, ils étaient le diable pour ma mère. Je raconte dans Mémoire de fille la honte d'avoir


été considérée comme un objet sexuel à 18 ans. Autour de moi, tout et tous m'accablaient. Les deux années qui ont suivi cet été 1958 ont été les pires de ma vie. Je n'avais plus


mes règles. Tout était exsudé par le corps, mais rien ne parvenait jusqu'à ma tête. J'avais un seul mot d'ordre : oublier et me taire. Je devais me revirginiser. SIMONE DE


BEAUVOIR VIENT D'ENTRER DANS LA PLÉIADE. A-T‑ELLE ÉTÉ IMPORTANTE DANS VOTRE VIE? Elle a représenté un modèle. Une femme qui avait décidé de sa vie. Simone de Beauvoir a été, quand


j'étais étudiante, la femme la plus importante de ma vie. La lecture du _Deuxième Sexe_ a été capitale. Je l'ai lu à 18 ans et demi, en classe de philosophie, en même temps que


Mémoires d'une jeune fille rangée. Je me souviens de tout. Je suis au mois d'avril, il pleut, et alors le voile se déchire. Je comprends, grâce au Deuxième Sexe, ce que j'ai


vécu durant cet été 1958. Mais la honte n'est pas soluble dans Le Deuxième Sexe. Je reste seule avec la honte. J'ai aussi de l'admiration pour des livres comme _La Vieillesse_


et _La Cérémonie des adieux_. Simone de Beauvoir a écrit dans l'idée de sauver quelque chose de la mort. La finitude lui semblait inacceptable. Je n'écris pas dans cette


perspective-là : je n'imagine pas la vie sans la mort. L'HISTOIRE DES FEMMES EST AU CŒUR DE VOTRE ŒUVRE. COMMENT AVEZ-VOUS VÉCU LE MOUVEMENT DE LA LIBÉRATION DE LA PAROLE DES


FEMMES CONSÉCUTIF À L'AFFAIRE WEINSTEIN? La honte changeait enfin de camp. Je ne pensais pas voir ça avant ma mort tellement j'étais découragée par l'absence de conscience de


l'étendue de la domination masculine. J'ai subi à plusieurs reprises, au cours de ma vie, des gestes ­déplacés de la part de médecins et j'ai éprouvé de la honte à être une


victime. Je suis restée longtemps dans le silence. J'ai donc été heureuse de la libération de la parole des femmes. Mais les femmes sont un groupe dominé et rien n'est ­jamais


gagné de manière définitive. J'ai été effondrée par la tribune du Monde, signée par une centaine de femmes, rejetant le prétendu "puritanisme" apparu après l'affaire


Weinstein. J'ai été ahurie de voir toutes ces femmes privilégiées prendre le parti des hommes. Si elles aiment être soumises sexuellement, grand bien leur fasse, mais qu'elles


s'abstiennent de prendre la parole publiquement pour dire qu'on peut éprouver du plaisir lors d'un viol. Il reste beaucoup à faire. La libération de la parole en France a été


frileuse. Dans les différents cercles du pouvoir, l'hégémonie masculine reste frappante. On peut prendre chacun son propre domaine. Il suffit de voir les lauréats des prix littéraires


et les plateaux de télévision des émissions littéraires pour se rendre compte que, là aussi, la visibilité et la légitimité sont masculines. En politique, nous n'avons toujours pas eu


notre Angela Merkel française. La suite après cette publicité SIMONE VEIL, QUI ENTRERA AU PANTHÉON AVEC SON ÉPOUX LE 1ER JUILLET 2018, A-T‑ELLE COMPTÉ DANS VOTRE TRAJECTOIRE? Le droit à


l'avortement est un droit fondamental, menacé dans différentes parties du monde. Il faut le rappeler continuellement car cela touche à la vie et à la mort, et le combat ne prendra


jamais fin. Le corps de la femme lui appartient. Une femme doit pouvoir avoir un enfant si elle le veut et quand elle le veut, car elle prend ainsi son destin en main. Le droit à


l'avortement est un droit intangible. Il n'est pourtant toujours pas inscrit dans la Constitution. Simone Veil a porté la loi dépénalisant l'avortement en France. Les jeunes


générations n'ont souvent pas idée de ce qu'elle a dû subir. L'annonce de sa mort m'a bouleversée. > " > La lutte, c'est la vie. Je l'ai appris tôt. 


Tout est question > d'éducation > " LA RECHERCHE DE LA RÉALITÉ EST-ELLE LA CLÉ POUR COMPRENDRE VOTRE ŒUVRE? La recherche de la réalité me guide et elle ne peut


s'effectuer chez moi que par l'écriture. Le vécu n'est pas la réalité. Toute parole est soumise à une époque. La réalité ne nous est pas donnée. Il faut aller la chercher


derrière une actualité toujours brûlante. Mémoire de fille ne se confond pas avec la dénonciation de la domination masculine, et c'est pour cela que je l'ai écrit. L'écriture


met en jeu beaucoup de choses et ne doit pas être schématisée. J'ai justement écrit L'Événement, récit de mon avortement durant les années sauvages, parce que la loi Veil avait été


votée. Je pouvais reconsidérer les choses et refaire la route. Les termes de la lutte ne sont pas les termes de l'écriture. POURQUOI NE FAITES-VOUS PAS APPEL À L'HUMOUR DANS VOS


LIVRES? Nous mettons de l'humour dans une réalité qui n'en possède pas. J'ai retrouvé dans mon journal intime une phrase que j'avais écrite durant ma vingtième année :


"Il n'y a pas d'humour dans les choses du monde." On peut retracer tôt ce qui deviendront les constantes d'une écriture. L'humour fait heureusement partie de la


vie. J'aime la présence de l'humour dans certains livres, mais je trouve que cela ne laisse pas de traces. L'humour est une légèreté, une mise à distance, une distraction. En


tant qu'écrivain, je ne veux pas qu'on soit distrait de la réalité car je veux qu'on la voie. LA LUTTE A-T‑ELLE TOUJOURS FAIT PARTIE DE VOTRE VIE? La lutte, c'est la


vie. Je l'ai appris tôt. Tout est question d'éducation. J'ai été choquée du nombre d'enfants présents dans les manifestations contre le mariage pour tous. Il faut se


souvenir que c'est une enfant de 12 ans qui a brandi une banane à Christiane ­Taubira. La lutte contre le racisme et l'antisémitisme passe aussi par l'éducation. VOUS AVEZ ÉTÉ


UNE LECTRICE ADMIRATIVE DE CÉLINE. QUE PENSEZ-VOUS DU PROJET DE PUBLICATION DES PAMPHLETS ANTISÉMITES DE CÉLINE PAR VOTRE MAISON, GALLIMARD? Je suis absolument contre le projet de


publication des pamphlets antisémites de Céline et je précise que je les ai lus. L'édition envisagée par Antoine Gallimard me semble beaucoup trop légère. Je pense que c'est une


chose que les pamphlets soient facilement accessibles sur Internet et je pense que c'est autre chose qu'ils soient en vente libre, édités, en plus, dans une maison prestigieuse


comme Gallimard. Ils s'en trouvent ennoblis, et cela en réduit leur charge intolérable. Il sortirait aujourd'hui un livre avec ce contenu, et sans le nom de Céline, il ne serait


évidemment pas publié. L'écrivain n'est pas au-dessus des lois. Soit ce qu'on écrit compte, a un impact, soit ce qu'on écrit ne compte pas, n'a pas d'impact.


Dans le cas des pamphlets antisémites de Céline, on parle de la mort d'autrui. > " > Il y a chez Emmanuel Macron, dans l'homme et la politique, une > grande dureté


> " COMMENT VOUS SENTEZ-VOUS DANS LA FRANCE D'EMMANUEL MACRON? J'ai voté Jean-Luc Mélenchon et je ne le regrette pas. J'adhère à son programme et notamment à


l'instauration d'une VIe République, à laquelle je tiens. Je suis vent debout dans la France macronienne. J'étais dans l'attentisme, mais le tournant néolibéral, très


ferme, me révolte. On le voit avec la réforme de la SNCF. Je soutiens les grévistes car, malgré toutes les ­dénégations, on s'achemine vers une privatisation. La "concurrence"


est devenue le mot royal. Tout doit être ouvert à la concurrence mais non, tout ne doit pas être ouvert à la concurrence ! La politique macronienne est marquée par un manque


d'humanisme doublé de beaucoup d'autoritarisme. On met en avant la culture d'Emmanuel Macron mais, à la lecture de l'entretien donnée à la NRF, j'ai un sérieux


doute. N'a-t-il donc rien lu depuis Colette et Giono? N'y a-t‑il donc pas d'écrivains à l'étranger? Emmanuel Macron est un habile communicant. ­François Mitterrand et


Jacques Chirac étaient réellement cultivés, sans communiquer dessus. Il y a chez Emmanuel Macron, dans l'homme et la politique, une grande dureté. POURQUOI ÊTES-VOUS DE GAUCHE? Mes


parents étaient des ouvriers devenus de très petits commerçants. La population du café-épicerie de mes parents, près d'Yvetot en Normandie, était constituée de pauvres. On disait alors


des "économiquement faibles". Des mères de famille à qui mes parents faisaient crédit, des hommes qui ­vivaient de petits boulots. Je connais la gêne. Je n'ai pas oublié la


pauvreté, je n'ai pas oublié ce que fait la pauvreté aux gens. J'ai été professeure dix ans en lycée-collège. Je reconnaissais immédiatement les enfants qui ne pouvaient pas faire


leurs devoirs en paix chez eux, les enfants ­entourés de conversations qui ne les mettaient pas de plain-pied avec la littérature. Je me souviens des ricanements, quand j'étais jeune


professeure dans des classes techniques, parce que j'avais dit : "Le héros se leurre." J'ai aussi été, dans le cadre de mon mariage, confrontée à la bourgeoisie. Dans


l'intimité, j'ai pu voir leur mépris des plus défavorisés. EST-CE DIFFICILE D'ÊTRE UN MUSULMAN AUJOURD'HUI EN FRANCE? Une scène me revient. Dans un centre commercial, une


femme voilée a laissé tomber un objet de son Caddie à une caisse, sans s'en apercevoir. Je me suis baissée pour le ramasser. Elle m'a remerciée avec une telle ostentation que


j'ai perçu à quel point elle se sentait stigmatisée, infériorisée. QU'EST-CE QUI MÈNE LE MONDE : LE SEXE, L'ARGENT, LE POUVOIR? Les jeux de pouvoir mènent le monde. Le sexe


devient moins important avec l'âge alors que la soif de pouvoir reste jusqu'au bout, au point, d'ailleurs, de remplacer parfois avantageusement le sexe. Le besoin de


domination corrompt tout.


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