Aux états-unis, comment une journaliste spécialiste des questions climatiques peut travailler à l’ère de trump?

Gabrielle Canon en reportage depuis la Pacific Coast Highway alors qu'un incendie ravageait Los Angeles en janvier 2025. © Crédits photo : G. C. En 2020, la journaliste Gabrielle Canon

a rejoint le bureau américain du « Guardian » pour couvrir les événements climatiques extrêmes. Une mission de plus en plus complexe. Florine Amenta Publié le 04 avril 2025 La guerre contre

la science est déclarée. Depuis son retour au pouvoir le 20 janvier 2025, Donald Trump enchaîne les annonces qui effraient le monde scientifique. Retrait de l’accord de Paris sur le climat,

vagues de licenciements dans les agences fédérales, coupes budgétaires… En relayant ces informations, Gabrielle Canon, correspondante du _Guardian _depuis la côte Ouest des États-Unis, se

sent désabusée. _« Il transforme le pays d’une manière terrifiante. Personne ne sait ce qui va se passer. _[…] _Nous étions encore loin, sous Biden, d’avoir atteint nos objectifs

climatiques, il restait encore du travail »_, analyse la journaliste. Reporter climatique spécialisée dans les événements météorologiques extrêmes, elle est directement impactée. Embauchée

en juillet 2020, elle est la première au monde à occuper un tel poste. À sa connaissance, seul le _Washington Post_ lui a emboîté le pas en embauchant, en novembre 2022, la journaliste

Brianna Sacks. Elles ont le même profil : originaires de Californie, la trentaine passée, une longue chevelure blonde et un goût pour les grands espaces naturels. Mais depuis février 2025,

le travail de Gabrielle Canon se concentre quasi exclusivement sur les actions de l’administration Trump. Alors qu’elle passe désormais par la messagerie sécurisée Signal pour échanger avec

des agents fédéraux, elle voit le travail de ses sources, dont des scientifiques, directement impacté. _« Je suis préoccupée par les mesures prises contre la NOAA_ [l’Agence américaine

d’observation océanique et atmosphérique]._ L’administration Trump démantèle une agence essentielle à la collecte et à la diffusion de données fiables et précises sur le climat. »_ LE

TERRAIN Basée à Oakland, dans la baie de San Francisco, la reporter est en lien avec des journalistes du _Guardian _au Royaume-Uni, aux États-Unis et plus particulièrement avec l’équipe qui

couvre les questions climatiques depuis New York. Mais elle dépend d’un des bureaux américains installé à Los Angeles avec qui elle échange régulièrement, à distance. En janvier 2025, elle

était justement sur place, sur le front des incendies._ « L’ampleur des dégâts était stupéfiante. »_ Le soir, elle retrouvait sa mère, tandis que _« les vents violents sifflaient »_ sur sa

maison d’enfance, qui borde la zone incendiée. Pendant deux semaines et demie, elle a rédigé une quinzaine d’articles mettant en avant les pompiers, les victimes ainsi que les raisons de ces

feux extraordinaires en plein hiver._ « Les phénomènes météorologiques extrêmes, bien que fréquents, sont difficiles à couvrir, _explique Minhee Cho, porte-parole du _Guardian US_. _En plus

de savoir comment se protéger, un journaliste doit avoir une compréhension approfondie des sciences, des questions liées au travail, de la politique en jeu et des politiques climatiques. »_

Pour couvrir ce type d’événements, la journaliste remplit sa voiture et son sac à dos de nourriture et d’eau. Elle étudie la situation avant de partir et s’assure, avec son rédacteur en

chef, d’avoir les équipements nécessaires : lunettes de protection, casque, masque respirateur, genouillères pour prendre des photos sur le sol… Son patch_ « press »_ scratché sur ses

vêtements jaunes en_ _Nomex, une matière ignifuge, lui ouvre l’accès aux zones interdites au public. _« Pour que les gens sachent qui je suis lorsqu’ils me parlent et que ceux qui

interviennent ne s’inquiètent pas pour moi. »_ Grâce à ses enquêtes sur la gestion de l’eau, la reporter, diplômée en journalisme d’investigation, en politique et en économie, a publié un

article suite aux incendies de Los Angeles révélant que sous les ordres du président Trump des milliards de gallons d’eau gardés dans des réservoirs ont été gaspillés. _«_ [Ce stock] _est

l’un des rares que le président américain peut contrôler directement »_, explique-t-elle dans son article. L’HUMAIN Incendies, séismes, sécheresse… Rares sont les articles de Gabrielle Canon

relayant des bonnes nouvelles. _« J’ai été témoin de beaucoup de tristesse au cours de ma carrière »,_ constate-t-elle. Elle aime ainsi mettre en avant l’humain, à travers le témoignage

d’individus dont la vie est affectée par le changement climatique. _« [À Los Angeles], je me suis retrouvée au milieu d’un quartier réduit en cendres, face aux habitants qui avaient tout

perdu. Je ressentais leur douleur, mais j’avais cette immense frustration : comment faire passer le message pour que ça ne se reproduise plus ? » _ > « C’est réconfortant de voir que le 

changement est possible » Elle a parfois l’impression de _« crier dans le vide »_. Mais parfois, ces articles conduisent à des actions concrètes. Comme lorsqu’elle pointa du doigt les

salaires des pompiers, _« __aussi bas que ceux des employés de fast-food__ »,_ et leurs conditions de logement, en juin 2024 puis en 2025 : _« certains sont sans abri, d’autres vivent dans

des endroits infestés de rats et de moisissures »_. Après la publication de ces témoignages,_ « des agences gouvernementales ont trouvé de nouveaux logements à certains d’entre eux. _[…]_

C’est long et parfois douloureux, mais c’est réconfortant de voir que le changement est possible. »_ Elle compare parfois certains de ses articles publiés à quelques mois d’intervalle : _« 

en changeant juste les noms, je pourrais les republier tels quels. » _La voici face à_ « un défi purement journalistique » :_ traiter des événements similaires sans se répéter. D’autant que

la reporter s’inquiète de la fatigue informationnelle des lecteurs _« qui ne veulent pas entendre parler d’une énième catastrophe, surtout s’ils se sentent impuissants ». _Elle assume la

subjectivité de ses articles. _« J’aime dire : voilà ce qu’il se passe, voilà ce que j’en pense, à vous de vous faire votre propre opinion. »_ Sur les réseaux sociaux,_ _dix à vingt lecteurs

la contactent à chaque publication, _« des gens qui veulent partager un lien personnel ou apporter des précisions à l’histoire »._ Depuis qu’elle a mis de côté X (ex-Twitter) lors du rachat

par Elon Musk, elle ne reçoit qu’une fois par mois des messages menaçants ou négatifs. L’un d’entre eux prétendait que _« le gouvernement contrôlait la météo et que je mentais en attribuant

cela au changement climatique. »_ Gabrielle Canon rit jaune, préoccupée par la désinformation. LE VERTIGE En 2018, alors jeune journaliste, elle voit des lieux de son enfance impactés par

le changement climatique et suit avec intérêt les politiques environnementales. Après deux ans comme freelance pour le _Guardian_, le quotidien britannique lui propose un poste à temps

plein. Sa connaissance de la région et ses contacts dans les agences gouvernementales font d’elle la candidate idéale. L’offre arrive plus tôt que ce qu’elle avait imaginé, mais les missions

ont lieu sur le terrain, dans la nature. Comment refuser ? Pour la suite de sa mission, Gabrielle Canon est pessimiste. Au contact régulier des agences en charge des questions climatiques,

elle sent que _« l’incertitude et le chaos règnent alors que ces organisations tentent de se préparer à de nouvelles coupes budgétaires ». _Les dernières annonces _« vont sans doute

compromettre les progrès réalisés en matière de préparation aux phénomènes météorologiques extrêmes. Ça laissera des lacunes dans notre compréhension de la crise climatique et ralentira la

dynamique d’atténuation de cette crise. »_ Au fil des années, le rythme de travail de la reporter s’est intensifié. _« Avant, il y avait une saisonnalité. En hiver, on surveillait le niveau

d’enneigement et les tempêtes. En été, on se concentrait sur les vagues de chaleur, puis l’automne marquait la fin de la saison chaude. Mais aujourd’hui, tout semble s’étirer. » _Lors des

feux de Los Angeles en janvier, un incendie avait causé la fermeture d’une autoroute essentielle en Californie. _« Une semaine plus tard, elle était fermée à cause de la neige et de la

glace. Ces moments donnent le vertige. »_