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Quand les sciences cognitives et la philosophie de l’art cherchent à saisir les ressorts de la perception des films. Antoine Stehlé Publié le 04 mars 2019 Ce livre d’Alessandro Pignocchi


nous rappelle combien varie la perception d’un film selon les individus. Mais son originalité est de dépasser ce simple constat, et d’établir que nos réceptions se rejoignent sur un principe


commun : le fait que nous attribuons des intentions, des émotions, des intuitions ou des traits de personnalité au réalisateur. Ce mécanisme le plus souvent inconscient est lié à notre


fonctionnement cognitif et la manière dont nous attribuons des « états mentaux »1 au réalisateur, et qui varie d’une personne à l’autre, selon le contexte et le temps. UNE POSITION QUI ÉVITE


LES ÉCUEILS DE L’UNIVERSALISME ET DU RELATIVISME Pourquoi aime-t-on un film ? Cette question induit deux positions extrêmes. Les universalistes affirmeraient qu’il existe une appréciation


intrinsèque à chaque film, en rapport avec ses qualités esthétiques et techniques. On lit souvent de telles appréciations dans les critiques : « Un pur chef d’œuvre ! », « Un sujet très


actuel », « Ce film est d’un ennui profond »… D’ailleurs, on les retrouve aussi dans les discussions de la vie courante. Mais on remarque ici que nos appréciations varient fortement d’un


individu à l’autre. Un film sera perçu comme un chef d’œuvre par un critique et comme un échec par un autre. Un spectateur aura trouvé la séance de cinéma très ennuyeuse tandis que son ami


aura été très ému. Devrait-on affirmer pour autant que la variété des goûts ne se discute pas, qu’il serait vain de chercher un principe universel derrière ces appréciations si variables ?


Le problème est que nos appréciations évoluent avec le temps. Par exemple, il peut arriver qu’on n’ait pas aimé un film quand on l’a vu, mais qu’en y repensant quelques semaines plus tard,


il nous en reste un souvenir positif. De plus, ces appréciations changent en fonction de qui nous accompagne, de ce qu’on a entendu ou lu sur le film avant de le voir… En clair, la position


relativiste ne tient pas non plus. Alessandro Pignocchi propose donc une position intermédiaire. Il y aurait un mécanisme universel à l’origine de notre perception des films, mais qui se


manifesterait différemment selon les individus et les situations. D’après l’auteur, le spectateur attribuerait tout le temps des intentions, des émotions, des intuitions et des traits de


personnalités au réalisateur : toutes ces choses qu’il désigne par le terme d’ « états mentaux ». C’est ce mécanisme d’attribution d’états mentaux qu’il analyse, avec les outils des sciences


cognitives et de la philosophie de l’art. COMMENT FONCTIONNE CE MÉCANISME D’ATTRIBUTION D’ÉTATS MENTAUX ? L’auteur associe l’expérience du spectateur à n’importe quelle situation de


communication, prise au sens large : une discussion, un texte écrit, un geste évocateur, un objet utile… Le spectre de la communication est infini puisque toute création humaine suppose un


état mental à son origine. Certes, un réalisateur ne nous communique pas des messages aussi francs et nets dans un film que dans un discours argumenté. Il s’agit plutôt ici d’une


communication floue, comme peuvent l’être une métaphore ou un geste suggestif. Mais la subtilité réside dans le fait que le mécanisme d’attribution d’états mentaux s’effectue le plus souvent


de manière inconsciente. Par exemple, les procédés de raccords usuels dans le montage d’un film, de voix off pour la narration, de musiques pour suggérer telle ou telle émotion… tous ces


procédés sont intégrés inconsciemment car nous les avons appris depuis longtemps et ils nous paraissent tellement naturels que nous n’y faisons pas attention. Cependant, dès qu’une règle


usuelle est rompue par le réalisateur, nous le remarquons immédiatement. Par exemple, dans le film _Dans Paris_ de Christophe Honoré, les personnages se mettent soudain à chanter à un moment


très émouvant de l’histoire, alors que rien ne nous annonçait auparavant qu’il s’agissait d’une comédie musicale ! Quand l’auteur a vu ce film au cinéma, certains spectateurs avec lui ont


perçu cette rupture comme une maladresse du réalisateur et trouvé ce moment raté, pas émouvant du tout : ils n’ont attribué aucun état mental jugé pertinent pour justifier ce choix. Mais


d’autres au contraire ont ressenti une émotion particulière, une sorte de gêne, et compris que cette émotion a été provoquée par la rupture de style opérée par Christophe Honoré : ils se


sont senti d’autant plus privilégiés qu’ils ont eu l’impression de partager quelque chose exclusivement avec le réalisateur. UNE POSITION ORIGINALE, INNOVANTE ET RICHE La thèse d’Alessandro


Pignocchi occupe une place minoritaire au sein des études cinématographiques. En effet, les recherches en cinéma se sont longtemps penchées sur les qualités techniques et esthétiques des


films. Cette focalisation sur les propriétés filmiques et stylistique est d’autant plus forte en France que nous sommes dans un pays très cinéphile, où les auteurs sont souvent sacralisés.


On s’est beaucoup intéressé à leurs intentions dans les analyses de films, indépendamment du mode de réception des spectateurs. La question du « public » a longtemps été écartée.


Heureusement, Alessandro Pignocchi nuance ce constat, car nous nous intéressons de plus en plus à la réception des films, notamment grâce aux approches anglo-saxonnes des _cultural studies_.


Le fait de s’intéresser au spectateur est donc minoritaire et assez original, mais pas spécialement nouveau. La grande innovation ici est de l’aborder sous le prisme des sciences


cognitives. Il y a déjà eu des tentatives dans ce domaine, mais de manière assez approximative, et rarement par un chercheur en sciences cognitives. _Pourquoi aime-t-on un film ? _est un


ouvrage parfois technique, agréable et très instructif pour un lecteur curieux de cinéma et de sciences cognitives. On y découvre des concepts et des théories de ce domaine, tout en


comprenant comment ils peuvent s’appliquer dans des situations de communication courante ou de réception cinématographique. Les exemples de films2 répondent à des goûts et des intérêts


propres à l’auteur, mais les phénomènes étudiés résonnent facilement : on trouve dans nos propres expériences des situations comparables à celles évoquées dans le livre. On arrive à suivre


l’auteur et son raisonnement, qui nous fait voir notre réception des films d’une manière très neuve. On s’attendait évidemment à ce qu’il ne donne pas de réponse ferme et définitive à la


question posée dans le titre, qui appelle à une réponse complexe. Mais il nous propose une expérience de pensée très riche et stimulante, en nous plongeant dans un paradigme nouveau,


cohérent et très original. Alessandro Pignocchi nous invite à une prise de conscience, quelque soit notre position sociale par rapport à un film. Le cinéphile comprendra mieux comment il


construit son propre film selon le contexte et avec le temps. Le réalisateur cherchera à rassembler tous ses états mentaux, conscients ou inconscients, dans un même but, en se concentrant


uniquement sur ce qu’il veut raconter dans son film : quand le projet est clair, les moyens de le communiquer parviennent plus facilement et le fond épouse la forme. Le producteur pourra


anticiper que tel public sera plus réceptif qu’un autre aux états mentaux du réalisateur, et chercher dans tel ou tel projet soit à élargir le public au plus grand nombre, soit à fidéliser


une communauté de fans. Le distributeur quant à lui pourra optimiser sa stratégie marketing en orientant la promotion autour de tels ou tels états mentaux du réalisateur, dans ses interviews


par exemple. * 1Intentions, émotions, intuitions et traits de personnalité présumés d’autrui. * 2Vertigo d’Alfred Hitchcock (1958), Dans Paris de Christophe Honoré (2006), Un amour de


jeunesse de Mia Hansen-Løve (2010), Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul (2010), Pater d’Alain Cavalier (2011), Tree of life de Terrence Malick (2011)…


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