Rencontre avec l'homme qui a « sauvé la vie » de gisèle pelicot

Laurent Perret n'a pas souhaité prendre la parole au procès. « C’est trop pour moi, seule Madame Gisèle doit être dans la lumière. » © Illustration : Camille Deschiens Il est à

l'origine de l'enquête qui a mené à l’arrestation de 51 accusés. Depuis le début du procès des « viols de Mazan », le policier Laurent Perret porte une attention particulière à la

médiatisation de cette affaire. Mathieu Deslandes Publié le 16 décembre 2024 Voici le héros de Gisèle Pelicot. Son sauveur. L’homme dont elle dit qu’il lui a _« sauvé la vie »_. Celui à qui

ses premiers mots ont été destinés, le 5 septembre 2024, lorsqu’elle s’est exprimée devant la cour criminelle du Vaucluse : _« Avant toute chose, j’aimerais remercier le lieutenant Perret. 

»_ Ce jour-là, Laurent Perret n’était pas dans la salle. Il était au travail, au commissariat de Carpentras. _« Lolo, tu es au courant de ce qui vient de se dire ? »_ Au téléphone, un des

policiers chargés d’assurer la sécurité du procès lui a raconté :_ « Tous les journalistes se sont regardés. »_ En une phrase, il est devenu la personne à interviewer._ « Tout le monde s’est

mis à me chercher. On m’a appelé au commissariat, sur mon téléphone. J’ai reçu énormément de sollicitations. Même la BBC. Même une chaîne indienne ! » _Grisé les premiers jours, ce quinqua

costaud s’est vite senti dépassé. _« Je suis à six ans de la retraite, j’étais tranquille, et il a fallu qu’un dossier hors norme m’arrive. Mais c’est pas mon monde, tout ça. »_ Laurent

Perret a suivi la procédure : il a expliqué aux journalistes qu’il ne pouvait pas évoquer l’enquête sans autorisation et les a invités à _« prendre contact avec le service com de la police 

»_. Tous ont essuyé des refus. Cela ne les a pas empêchés d’évoquer son rôle. À la suite de Gisèle Pelicot, certains médias l’ont campé en lieutenant. D’autres l’ont promu capitaine ou

commissaire. Il tire sur sa vapoteuse et souffle : _« Je ne suis rien de tout ça. Je suis gardien de la paix, enquêteur de police, un p’tit flicard de base. »_ SECRET Habitué à une

communication sous contrôle _(« En temps normal, quand on démantèle un point de deal, par exemple, la hiérarchie fait un compte rendu à la presse et puis c’est tout »)_, il a été étonné de

retrouver dans des articles _« des phrases entières de [ses] PV d’audition »_. Il n’en revient toujours pas : _« On me cite sans m’avoir parlé. »_ Il trouve ça _« bizarre » _et _« pas très

bien »_. Il a réalisé que_ « tous les journalistes avaient eu accès à la procédure »_, que_ « la violation du secret de l’instruction » _était généralisée et la présomption d’innocence

passablement malmenée. Il dit : _« C’est comme si les médias avaient voulu faire le procès avant le procès. »_ Le 2 octobre, Laurent Perret s’est rendu au tribunal d’Avignon pour saluer

celle qu’il appelle _« Madame Gisèle »_. À la pause, des reporters l’ont reconnu. _« Sur leur téléphone, ils avaient tous une photo que j’avais postée en 1999 sur Copains d’avant. » _Il

n’est jamais parvenu à supprimer son profil. Dans le lot, un grand brun lui a inspiré beaucoup de sympathie. Il a revu son visage un peu plus tard à la télé :_ « Je me suis dit que c’était

un journaliste connu. »_ Il a mémorisé son nom : Jean-Michel Décugis, du _Parisien_. Si _« Paname »_ est d’accord, quand tout sera terminé, il lui accordera un entretien. SKYPE Il lui semble

que les journalistes, avides de scènes et de moments décisifs, lui posent tous la même question : _« Qu’est-ce qui vous a poussé à appuyer sur le bouton de l’application Skype ? » _Ils

connaissent l’histoire : le 12 septembre 2020, un retraité, surpris en train de filmer sous les jupes des clientes du Leclerc de Carpentras, a été conduit au commissariat. Laurent Perret a

reçu l’instruction d’extraire les cinq vidéos tournées au supermarché et de les graver sur un CD._ « Vu son âge, _reconnaît-il, _on pensait qu’il allait prendre un rappel à la loi et que

l’affaire s’arrêterait là. » _Elle aurait pu, si l’agent Perret s’était contenté de faire ce qui lui avait été demandé. Mais il y avait ce logo Skype, sur l’un des deux téléphones du

retraité. Le policier s’est imaginé que l’homme avait peut-être envoyé ses images à quelqu’un. En ouvrant l’application, il a vu surgir une conversation — avec un certain Rasmus — évoquant

dix cachets de Temesta écrasés et une femme offerte, endormie, sur un lit._ « Là, j’ai buggé »,_ raconte le policier. Sept semaines plus tard, au terme de l’enquête, Dominique Pelicot était

de retour au commissariat. Entre-temps, le _« papy voyeur »_ s’était transformé en _« plus grand prédateur sexuel de la décennie »_. > _« Tiens, Laurent, on parle de ton affaire »_ Depuis

l’ouverture du procès, Laurent Perret suit les débats de loin en loin. D’abord sur les bandeaux de CNews, diffusée sans le son dans l’open space où il travaille comme dans son salon. Pour

se tenir au courant de l’actualité, c’est cette chaîne qu’il préfère, dont une impression de _« sérieux » _se dégage, note-t-il._ « Sur BFM, c’est plus enfantin. » _C’est dit _« avec tout le

respect [qu’il doit] au gendre de Madame Gisèle »_, rédacteur en chef à BFM TV. Quand il a le temps, Laurent Perret parcourt la revue de presse reçue chaque jour au bureau. Il suit les

publications de _La Provence__ _et du _Dauphiné Libéré_ sur les réseaux sociaux. Il clique parfois sur un lien et lit les premières lignes : _« La suite, c’est pour les abonnés, mais ça me

suffit. »_ Il a vu _« tourner sur TikTok »_ la plaidoirie de Stéphane Babonneau, l’un des avocats de Gisèle Pelicot. Et puis, il y a toutes ces captures d’écran envoyées par ses amis,

accompagnées de ces quelques mots : _« Tiens, Laurent, on parle de ton affaire. »_ Un article du _Figaro « truffé d’inventions »_ l’a consterné, rédigé par _« une blonde qui est souvent à la

télé » : « Elle a tenté de faire le buzz mais elle a écrit n’importe quoi. »_ Il était prêt à prendre le temps de rétablir les faits, il a envoyé un mail au journal. Son message est resté

sans réponse. Laurent Perret a en revanche apprécié le récit de l'affaire signé par Élise Costa sur _Slate_. Quand la chroniqueuse judiciaire l’a contacté, il ne connaissait _« pas du

tout »_ ce site, mais il a accepté le principe d’une discussion téléphonique_ « sur [son] ressenti »._ VENGEANCE Il applaudit aussi le travail du magazine « Enquêtes criminelles », sur W9.

C’est l’un des « cop shows » que Laurent Perret aime regarder. Il y glane_ « des idées de techniques d’enquête, quelques bonnes questions pour les interrogatoires »_. Dans l'édition

consacrée aux viols de Mazan, un détail lui a valu les railleries de son entourage : l’un des 51 accusés, qui témoigne anonymement, a été rebaptisé Laurent. _« Ça, c’est une petite vengeance

des journalistes parce que tu ne leur as pas accordé d’interview »_, ont voulu croire ses amis. Lui préfère citer le passage où Michel Mary, vieux routard du _Nouveau détective _devenu un

pilier des plateaux de Cyril Hanouna, lance de sa voix de matou revenu de tout :_ « Je pense qu’il a pas passé une bonne nuit, le policier. Apprendre à une femme qu’elle a été violée, c’est

quand même relativement rare. » _Cette attention a touché Laurent Perret. Recevoir _« des hommes, des femmes, des enfants qui décrivent des violences dont ils ont été victimes »_, il en

avait l’habitude. _« Mais là, les rôles étaient inversés, c’était à moi d’apprendre à une femme qu’elle a été droguée par son mari et violée, pas une fois, mais des dizaines de fois, par 73

individus potentiels. »_ NUIT Pendant un mois, la préparation de cette audition l’a hanté. Il devenait irritable, se réveillait en pleine nuit, sortait de sa chambre, notait une question

sous le regard de ses poissons rouges et retournait se coucher. Ça a duré jusqu’à la veille de son entretien avec_ « Madame Gisèle »_. Avec le procès, les troubles du sommeil de Laurent

Perret ont repris._ « Je revis tout, je revois tout »_, dit-il. Sa _« découverte du pot aux roses »_. Sa difficulté à récupérer les conversations virtuelles de Dominique Pelicot. Ses

gesticulations à la fenêtre du commissariat pour capter le Wi-Fi de l’Hôtel du Forum situé dans la rue d’en face. Les images sidérantes. La violence infinie qu’elles suggèrent. Ses

transcriptions des vidéos, et cette antienne :_ « Constatons que Madame Pelicot dort. »_ L’identification des 51 accusés. Puis la transmission du dossier à la police judiciaire d’Avignon,

mieux équipée pour une affaire d’une telle ampleur. MÉDAILLES Il s’agace des raccourcis de _« la télé »_. _« J’entends : "La PJ d’Avignon a démantelé", mais non, c’est le

commissariat de Carpentras, _insiste-t-il. _Pour une fois, c’est pas le 36 quai de Paname, c’est un petit service d’enquête de quatre policiers. Faut rendre à César. » _Les avocats de Gisèle

Pelicot ont envisagé de lui donner la parole à la toute fin du procès. Il a refusé : _« C’est trop pour moi, seule Madame Gisèle doit être dans la lumière »_, dit-il en passant sa main

droite sur la gauche, recouverte de tatouages polynésiens. Une réalisatrice de cinéma lui a parlé d’un projet de film sur l’affaire. Tout doucement, il articule, éberlué : _« Un mec va jouer

mon rôle »_, puis il secoue la tête. Il répète :_ « C’est trop pour moi. »_ La reconnaissance reste pourtant un sujet. Au cours de sa carrière, il a reçu des lettres de félicitations, des

gratifications, et deux médailles pour son _« courage » _et son _« dévouement »_. Là, rien. Ses collègues s’en sont étonnés. Des responsables syndicaux ont entonné le refrain des_ « oubliés

du procès »_. Des journalistes l’ont relancé sur ce thème._ « Ils voulaient du croustillant »_, déplore Laurent Perret. CONSENTEMENT À force de voir que _« la tête de Madame Gisèle a fait le

tour du monde »_, il commence à croire que la médiatisation de ce procès va_ « contribuer à faire évoluer les mentalités sur le consentement, la masculinité, les rapports de pouvoir entre

les hommes et les femmes »._ Il pense aussi que des victimes vont se sentir encouragées à porter plainte et _« briser le silence »._ Il s’inquiète toutefois des commentaires haineux auxquels

elles s’exposent, et du_ « climat d’opinion »_ qui risque de peser sur les décisions de justice. Après son enquête sur les viols de Mazan, Laurent Perret, éprouvé, a souhaité changer de

service. Il a été nommé à la brigade des stups. Les enquêtes le passionnent, mais il doit _« tout cloisonner »_, _« être hyper secret »_, et ne peut plus se promener sans tomber sur _« des

mecs [qu’il a] envoyés au trou »_. Pour sa retraite, il aspire à retrouver sa tranquillité. Il a prévu de s’offrir un camping-car, parce que _« la liberté, c’est pouvoir discuter avec un

voisin de camping sans arrière-pensée »._