Internet : quand les intellectuels pensent les réseaux
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Accusés de tous les maux ou portés aux nues, les réseaux sont saisis dans des discours contradictoires et foisonnants que Simon Borel cherche à éclairer. Louis Wiart Publié le 04 mars 2019 «
Il est de plus en plus admis, depuis une dizaine d’années, et notamment en raison du poids croissant d’Internet, que le monde se présente désormais sous la forme d’une immense accumulation
de réseaux ». Simon Borel, docteur en sociologie à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, pose dès les premières lignes de son essai le cœur du problème qu’il se propose d’étudier.
Selon lui, la vision d’un monde en réseaux repose sur des réalités techniques, économiques, politiques, sociales, scientifiques et esthétiques, mais également sur une axiomatique
particulière, c’est-à-dire sur un discours qui s’impose comme une évidence en dépit de son caractère non-démontré et qui s’articule autour de quatre notions principales : la virtualité, la
connectivité, la transparence et l’horizontalité. Si nous parlons sans cesse des réseaux et de la place centrale qu’ils occupent aujourd’hui, cette représentation du monde est-elle pour
autant valable ? Que penser de l’idée selon laquelle notre société fonctionne de plus en plus à partir de réseaux ? Dans quelle mesure les discours dominants participent-ils d’une «
idéologie réticulaire » ? Et d’ailleurs, s’accordent-ils seulement sur la manière d’envisager le phénomène des réseaux ? Confronté à ces interrogations, Simon Borel s’efforce de décrypter en
détail les discours véhiculés sur les réseaux par les intellectuels de tous bords et en souligne les contradictions, les approximations et les impensés. Le premier registre de discours
identifié par Simon Borel est porté par les grands penseurs de la « postmodernité réticulaire », qui utilisent le concept de réseau afin d’appréhender les mutations sociales à l’œuvre
aujourd’hui. Parmi ceux-là figure le sociologue Manuel Castells, dont les travaux s’attachent à montrer que le réseau constitue « la forme et l’orientation dominante des sociétés
contemporaines ». Ulbrich Beck, Saskia Sassen et Arjun Appadurai, quant à eux, se réfèrent aux réseaux pour comprendre l’articulation entre les échelles locale et globale dans le cadre de la
mondialisation. Chez Bruno Latour et Mark Granoveter, l’analyse du réseau s’inscrit davantage dans une démarche méthodologique destinée à saisir les relations entre individus. Au bout du
compte, il s’agit d’arriver à penser le monde et les transformations qui l’affectent dans la période récente en convoquant de nouvelles figures et de nouveaux outils d’analyse en sciences
sociales. En second lieu, un certain nombre de discours sont formulés par des acteurs qualifiés d’ « évangélistes », de « thuriféraires » ou de « prophètes », dont les analyses très
optimistes tendent à considérer les réseaux comme la solution possible à beaucoup de problèmes. Simon Borel désigne ici « tous ceux qui pensent l’émancipation sociale, politique et/ou
individuelle par les réseaux, voire qui croient et prêchent le salut – immanent et imminent – du monde par les réseaux ». Bien entendu, ces intellectuels ne forment pas un bloc homogène et,
là aussi, il est possible de distinguer au moins trois tendances. Il y a ceux qui, comme Pierre Lévy ou Joël de Rosnay, envisagent les réseaux virtuels sous l’angle d’une sorte de démocratie
pure et transparente, où une émancipation individuelle et collective serait possible. Ceux qui, comme Bernard Stiegler, Jacques Robin ou Jérémy Rifkin, ainsi que des acteurs qui
s’inscrivent dans le sillage de mouvements altermondialistes, y voient la possibilité d’une « démocratie technique », c’est-à-dire l’utilisation et l’appropriation des réseaux par le plus
grand nombre, en dehors de l’ordre politique et économique traditionnel (wiki, logiciels libres, peer-to-peer, blogs, hacking, etc.). Et enfin ceux qui, comme Toni Negri, Michael Hardt,
Miguel Benasayag ou Yann Moulier-Boutang, mettent en avant un « néomarxisme libertaire », qui renouvelle la pensée communiste « à la lumière des multitudes connectées » et considère les
réseaux numériques comme les supports d’un idéal de collaboration, d’échange, de liberté et de gratuité allant à l’encontre des logiques du marché et des institutions. On le voit, ce qui
réunit l’ensemble de ces penseurs dont les analyses diffèrent sur de nombreux points, c’est bien le fait de privilégier une vision enthousiaste et utopique des réseaux. À l’opposé des «
discours militants apologétiques », des intellectuels posent sur les réseaux un regard très critique. Comme l’explique Simon Borel, il n’existe pas pour eux « de renouvellement du lien
social par les réseaux mais une déliaison numérique généralisée dans laquelle la société se dissout ». Nombre d’entre eux insistent sur la destruction du lien social et des institutions en
place (Zygmunt Bauman, Dominique Wolton), ainsi que sur la montée en puissance de nouvelles formes d’exploitation et d’inégalité (Luc Boltanski, Eve Chiapello). D’autres critiques vont dans
le sens d’une atteinte portée à « la figure du sujet et du symbolique », qui marque la fin des hiérarchies et s’accompagne notamment d’une poussée de l’individualisme connecté et de
l’instantanéité dans le rapport au monde (Phillippe Breton, Marcel Gauchet, Dany-Robert Dufour, Serge Tisseron, Paul Virilio, Michel Freitag, etc.). Enfin, l’une des conséquences néfastes
des réseaux tiendrait dans l’affaiblissement de la démocratie sous l’effet de multiples travers, tels que le « court-circuitage des institutions », l’« indistinction des sphères publiques et
privées », la « parcellisation du débat », le développement d’une « citoyenneté de défiance » ou encore la « tendance à la surveillance panoptique » (Pierre Rosanvallon, Jean-Pierre Le
Goff, Alain Caillé, Jürgen Habermas, Pascal Michon). Quel que soit le domaine où porte la critique, tous ces auteurs se signalent donc par une représentation pessimiste des réseaux, le plus
souvent liée aux développements technologiques contemporains, dont ils perçoivent essentiellement les dimensions négatives. À propos des réseaux, une multitude de discours et de
positionnements existent. Dans ce contexte, Simon Borel rappelle qu’il est infructueux de porter « un jugement de valeur _a priori _» sur la nouvelle société en voie d’émergence, qui n’est
ni bonne ni mauvaise en soi, mais toujours susceptible de s’insérer dans « des formes socio-économiques et politico-symboliques » particulières. D’autre part, le sociologue relève qu’au-delà
des divergences évidentes entre toutes les approches évoquées, celles-ci s’accordent sur l’émergence d’une « très grande société », qualifiée de « société-monde », « dont la base
technologique spécifique est fournie par le numérique et par Internet et qui instaure une socialité virtuelle », c’est-à-dire un rapport social fondé sur la distance, l’immédiateté et
l’interactivité. Dans le cadre de cette société, il semble que la « socialité virtuelle » ait tendance à prendre le pas sur les relations en face en face avec les amis, la famille ou encore
le voisinage, ainsi que sur les rapports fonctionnels et impersonnels entretenus avec des entités comme l’État et le marché. Pour Simon Borel, les causes principales de l’émergence de cette
socialité virtuelle sont à trouver dans l’intensification des échanges à l’échelle de la planète, dans les logiques de contestation que les réseaux numériques autorisent (le Printemps arabe,
le mouvement des Indignés en Europe du Sud), dans l’affaiblissement des anciens cadres institutionnels et symboliques, mais aussi et surtout dans la dynamique actuelle de démocratisation de
la reconnaissance des individus. C’est ainsi que chacun peut désormais s’inscrire dans des réseaux virtuels, gérer la « promotion de son identité via le marketing de soi » et « aspirer à
être, dire, écrire, créer, déclarer, approuver, critiquer, insulter en toute légitimité », avec pour conséquence la fragilisation des hiérarchies, des grands récits[+] et de « l’ensemble des
statuts et des professions qui tiennent trop à leurs privilèges et distinctions : hommes politiques, intellectuels…». Dans quelle direction la « socialité virtuelle » est-elle amenée à se
déployer ? D’un côté, Simon Borel accorde du crédit à l’idée selon laquelle la montée en puissance des réseaux s’accompagnerait d’un renouvellement et d’un enrichissement du lien social,
tout en apportant « une réponse positive aux nouvelles exigences démocratiques et à l’injonction d’être soi ». D’un autre côté, il n’écarte pas non plus les perspectives néfastes qui
pointent à l’horizon, car les réseaux peuvent également contribuer à affaiblir le lien social, à fragiliser les institutions et la démocratie, à installer une « tyrannie de la visibilité »
et une surveillance généralisée. En réponse à ces inquiétudes, l’auteur livre quelques recommandations, comme le fait de « veiller à établir de nouvelles institutions intermédiaires » et de
placer l’école républicaine française au cœur du processus d’apprentissage de l’usage d’Internet et des outils numériques. Au terme de cet essai, dont l’apport essentiel réside dans la
typologie des discours réticulaires et dans leur étude minutieuse et pertinente, Simon Borel ne tranche pas vraiment entre les différentes directions invoquées. Selon lui, il paraît
désormais inenvisageable de séparer les logiques positives et les logiques négatives à l’œuvre dans les réseaux. Autrement dit, « il n’est plus possible de distinguer, dans la dynamique
démocratique elle-même, ce qui relève de l’idéal démocratique ou de son retournement contre lui-même ». Si bien qu’en refermant cet ouvrage, les réseaux continuent de nous apparaître comme
la langue d’Ésope : la pire et la meilleure des choses.
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