Facebook, instagram : le revirement sur la modération est « d’abord stratégique et économique plutôt qu'idéologique »
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Le patron de Meta, Mark Zuckerberg, a annoncé le 7 janvier dans une vidéo une série de modifications sur la politique de gestion des contenus jugés problématiques sur Facebook et Instagram,
aux États-Unis. © Crédits photo : capture d'écran Facebook / montage La Revue des médias ENTRETIEN AVEC ROMAIN BADOUARD Le 7 janvier, Mark Zuckerberg, PDG de Meta, publie sur Facebook
une vidéo aux allures de mise au point. En cinq minutes, le patron du plus grand réseau social au monde opère un revirement de la politique du groupe. Et en profite pour s’aligner sur Elon
Musk et Donald Trump. Analyse par le chercheur Romain Badouard. propos recueillis par Xavier Eutrope Publié le 10 janvier 2025 Exit les fact-checkers et finie la modération des contenus par
des professionnels aux États-Unis. Haro sur l’Europe et ses régulations. Ce sont là quelques-unes des annonces faites par Mark Zuckerberg le 7 janvier. En quelques minutes, le patron de Meta
indique que les choses vont changer sur Facebook, Instagram et Threads. Une volte-face inattendue ? Pas exactement, et encore moins un événement isolé. Romain Badouard, maître de
conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Panthéon-Assas et auteur du _Désenchantement de l’Internet__ (FYP, 2017)_, analyse les causes (et conséquences)
de ces révolutions, politiques pour la plupart. _QUELLE A ÉTÉ VOTRE PREMIÈRE RÉACTION APRÈS AVOIR VISIONNÉ LA VIDÉO DE MARK ZUCKERBERG ?_ ROMAIN BADOUARD : Dans un premier temps, j’ai été
surpris que ça vienne de Facebook/Meta. Depuis cinq ans, c’est le bon élève en matière de régulation, surtout si on les compare à X et à Google. Mark Zuckerberg avait lui-même reconnu que
Facebook avait trop de pouvoir et que l’entreprise devait être régulée. En Europe, la firme avait cherché à collaborer avec les États, avec la Commission européenne, pour respecter les
nouvelles règles, etc. Puis, en y réfléchissant, j’ai trouvé tout ça assez logique. Ces géants de la tech s’intéressent surtout aujourd’hui à leurs intérêts financiers plutôt qu’à leur
mission sociale. Entre l’entrée en vigueur du Digital Services Act1 et les débats autour de l’IA Act2 en Europe, on comprend bien que Zuckerberg cherche à se placer dans les petits papiers
de Trump pour bénéficier de son pouvoir d’influence, peut-être aussi échapper ou contourner les législations européennes. Le revirement est d’abord stratégique et économique plutôt
qu’idéologique. _DANS CETTE DÉCLARATION, MARK ZUCKERBERG REMET EN CAUSE LE FACT-CHECKING TEL QU’IL EST PRATIQUÉ SUR FACEBOOK. À QUOI FAIT-IL RÉFÉRENCE ?_ Après l’élection de Donald Trump en
2016 et toutes les controverses de la campagne à propos de Facebook (Meta n’existait pas à l’époque), un partenariat a été mis en place avec l’International Fact Checking Network [voir notre
interview de Laurent Bigot en 2017, NDLR]. Dans différents pays, dont la France, des médias étaient financés pour vérifier les informations qui circulaient sur les réseaux. Lorsque des
informations sont signalées comme peu fiables par les utilisateurs, elles sont envoyées à un binôme de journalistes qui les vérifie et leur attribue une note de fiabilité. En fonction de
celle-ci, le contenu aura plus ou moins de visibilité. Ce qui cassait efficacement la viralité des fausses informations. Le dispositif a été loué à l’époque, des études ont montré qu’il
avait été efficace. Le problème, c’est qu’il a été très critiqué par les mouvements conservateurs américains et aussi français, car il était vu comme un dispositif de « censure woke », car
tous les journalistes auraient été de gauche et progressistes, amoindrissant la portée de tout ce qui aurait été de droite, conservateur. Ce que dit aussi Mark Zuckerberg, c’est qu’il a subi
des pressions pour faire retirer des contenus qui n’arrangeaient pas Joe Biden. Le camp démocrate n’est pas totalement blanc non plus dans cette histoire. _CETTE COLLABORATION ENTRE
FACEBOOK/META ET LES MÉDIAS N’A PAS TOUJOURS ÉTÉ FACILE._ Le fact-checking n’a jamais été un sujet très simple pour Facebook. Cela a représenté une bonne porte de sortie après la première
élection de Donald Trump. Il faut se souvenir des auditions au Congrès des patrons de la tech, dont Mark Zuckerberg. Ils ont été accusés de détruire la société et ont passé un très mauvais
moment. Mais ce dispositif de vérification n’était pas trop dans l’esprit des communautés web. Devoir faire appel à des journalistes pour vérifier l’information, travailler avec les
gouvernements, tout ça donnait un aspect très formel à ce que devenait Facebook. Ils y allaient parce que c’était dans leur intérêt de le faire, pour continuer à accéder au marché européen
et conserver une bonne image face à la défiance du public à leur encontre. C’était la bonne stratégie à adopter à ce moment-là. Ce que ne voulait surtout pas Zuckerberg, c’était que Facebook
arbitre ce qui pouvait être considéré comme une information fiable ou pas. Cela aurait tué la crédibilité de la plateforme auprès des communautés web. Faire appel à des journalistes était
aussi un moyen de déléguer ce pouvoir de décision. > « Revenir en arrière, c’est accepter une brutalisation du > débat » _CELA VEUT-IL DIRE QUE TOUTES LES ACTIONS MENÉES PAR LE PASSÉ
PAR FACEBOOK, AUTOUR DU FACT-CHECKING PAR EXEMPLE, TENAIENT UNIQUEMENT DE LA COMMUNICATION ?_ Il y avait une forme de communication évidente. Pour autant, les partenariats de Facebook sur le
fact-checking, mais aussi l’augmentation des effectifs de modération, ont eu des effets bénéfiques, en réduisant la circulation des fausses informations. Retirer tout cela, revenir en
arrière, c’est accepter une brutalisation du débat, une plus grande circulation de la désinformation, davantage de cyberharcèlement et de haine. Le choix est clair, et il suit une évolution
du public. Les sociétés se droitisent, la sensibilité et la demande des utilisateurs changent. L’alt-right et l’extrême droite aux États-Unis et en Europe ont choisi de faire de la liberté
d’expression leur cheval de bataille, estimant qu’elles seraient lésées par des grandes plateformes progressistes. L’intérêt des grandes entreprises des technologies est donc de moins
modérer pour laisser plus de place à une certaine vision de la liberté d’expression, sans contrainte, sans limite. _PENDANT UN CERTAIN TEMPS, FACEBOOK ASSURAIT AVOIR BESOIN DES MÉDIAS POUR
ALIMENTER EN CONTENUS « DE QUALITÉ » SES UTILISATRICES ET UTILISATEURS. CETTE ÉPOQUE SEMBLE TOTALEMENT RÉVOLUE._ Déjà à la fin des années 2010, à l’occasion des controverses sur les fake
news, Facebook avait décidé de réduire la visibilité des pages médias sur sa plateforme. Mais le discours devient aujourd’hui très agressif. Musk estime que les journaux, les radios, les
sites ne sont plus les vrais médias, que les plateformes comme X ont pris leur place. Le combat se fait très ouvertement. Il y avait jusqu’ici l’idée que les réseaux sociaux permettraient
aux médias d’avoir accès à un public en les faisant venir sur leur site. Cela risque d’être bien moins le cas dans les années à venir, avec de vrais problèmes économiques à la clé. _LORSQUE
MARK ZUCKERBERG ÉVOQUE UN CHANGEMENT DES ATTENTES DES UTILISATEURS DANS SA VIDÉO, À QUOI FAIT-IL RÉFÉRENCE ?_ De toute évidence, il évoque là le résultat des élections américaines. Dans le
monde des médias, de la politique, ou de la recherche, quand on évolue dans un microcosme progressiste et intellectuel, on a l’impression que la lutte contre les discriminations, pour le
respect des droits des personnes et l’égalité des droits sont le cheval de bataille de toute la population, de toute une génération. À l’échelle d’une société entière, ce n’est pas le cas,
en tout cas pour la plupart des gens, cela ne semble pas être une priorité. C’est un enseignement de la deuxième victoire de Trump. Zuckerberg constate ce développement. Il prend en compte
ses tentatives pour plaire aux milieux progressistes alors qu’ils souhaitent le réguler. En toute logique, il se dit qu’il a tout intérêt aujourd’hui à retourner sa veste, renier un peu les
valeurs mises en avant jusque-là. La victoire de Donald Trump représente un intérêt pour sa plateforme (moins de régulation). Et pour pouvoir en profiter, il doit accepter un tournant
conservateur. _POUR PLAIRE À DONALD TRUMP, MARK ZUCKERBERG ALIGNE SON DISCOURS SUR CELUI D’ELON MUSK._ Complètement, c’est une victoire éclatante pour Elon Musk. Mark Zuckerberg fait
référence aux _community notes_ et à X, il revendique de copier ce modèle. Et c’est vraiment inquiétant lorsque l’on voit ce qu’est devenue la plateforme depuis la prise de contrôle par Musk
en octobre 2022, avec une montée de la désinformation et de la violence des débats. _VOUS VENEZ D’ÉVOQUER LES _COMMUNITY NOTES_, LES NOTES COMMUNAUTAIRES, CES PETITS TEXTES DE MISE EN
CONTEXTE PROPOSÉS PAR LES UTILISATRICES ET UTILISATEURS ET QUI APPARAISSENT SOUS CERTAINS POSTS JUGÉS PEU CLAIRS, FAUX OU TROMPEURS. SONT-ILS VRAIMENT EFFICACES ?_ Le fact-checking
collaboratif, car c’est de ça dont il s’agit, marche plutôt bien. Dans toutes les mesures prises par Elon Musk, assez négatives, l’introduction des _community notes_ était probablement la
plus positive. Problème, ces notes peuvent être détournées pour des usages politiques, à des fins de censure ou de trolling. Mais pour les usagers des réseaux sociaux, il est plus acceptable
d’avoir un détournement de ce genre de dispositifs que d’avoir des journalistes fact-checkers qui décident de diminuer la visibilité d’un poste jugé peu fiable. _DE NOMBREUX PATRONS DE LA
SILICON VALLEY ONT MANIFESTÉ UN RAPPROCHEMENT À LA LIGNE DE DONALD TRUMP ET D’ELON MUSK CES DERNIERS TEMPS._ Toutes les compagnies de la Silicon Valley ont toujours été très libérales au
niveau économique et ont porté des discours libertaires sur le plan social. Mais à partir du moment où elles sont devenues parmi les compagnies les plus riches du monde, les enjeux
financiers ont très vite pris le pas sur les questions éthiques, politiques et sociales. Ce n’est pas le premier revirement auquel nous assistons, mais il est spectaculaire. C’est une
question d’image et d’intérêt. À l’époque d’Obama, c’était « cool » de rouler pour le Parti démocrate. On mettait en avant le projet social de ces grandes firmes, leur désir de porter la
connectivité, la liberté d’expression, l’inclusion de tous dans le débat. Cela se vendait bien dans l’espace public. Depuis, le Parti démocrate a tenté de porter des projets de régulation et
de démantèlement des plateformes. Les entreprises se rendent compte que si elles roulent pour le Parti républicain, elles obtiendront ce qui leur est promis : une dérégulation totale. Moins
d’ennuis, plus de bénéfices. La seule chose à faire : « renier » leurs valeurs originelles. Toutes n’iront peut-être pas à fond dans cette direction, mais en tout cas Meta l’a fait. C’est
cynique sur le plan des valeurs, mais la stratégie est claire et forte. EDIT LE 13/01/2025 À 10H50 : AJOUT DE LA MENTION DE THREADS COMME SERVICE TOUCHÉ PAR LES DÉCISIONS DE MARK ZUCKERBERG.
EDIT LE 20/01/2025 À 16H23 : MODIFICATION, À LA DEMANDE DE ROMAIN BADOUARD, DU PASSAGE DE L'ENTRETIEN SUR L'EFFET DES POLITIQUES DE FACEBOOK POUR LE FACT-CHECKING ET LA
MODÉRATION. * 1La législation sur les services numériques « fixe un ensemble de règles pour responsabiliser les plateformes numériques et lutter contre la diffusion de contenus illicites ou
préjudiciables ou de produits illégaux ». * 2Ce règlement « vise à encadrer le développement, la mise sur le marché et l’utilisation de systèmes d'intelligence artificielle (IA), qui
peuvent poser des risques pour la santé, la sécurité ou les droits fondamentaux » (Cnil).
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