« on ne donne pas la parole à l'extrême droite » : petite histoire du cordon sanitaire belge
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Les rédactions belges francophones ne donnent pas d’accès direct à l’expression des candidats, partis ou mouvements ne respectant pas les lois réprimant le racisme, le sexisme, la
discrimination ou le négationnisme. © Illustration : Anne Derenne En Belgique, les médias audiovisuels francophones n'accordent pas de temps d'antenne en direct aux partis
porteurs de propositions discriminatoires ou antidémocratiques. Voici comment cette pratique s'est imposée. Mathieu Deslandes Publié le 17 janvier 2025 Chez Cyril Hanouna,
l’ex-mannequin Géraldine Maillet cumule deux emplois, comme on dit au théâtre :_ « macroniste »_ de service et _« intello de la bande »_. Intello, parce qu’elle écrit des livres. Le dernier
en date_ _est consacré à la fin de vie de sa grand-mère, victime d’un accident vasculaire cérébral et de la maladie d’Alzheimer. Le 14 octobre 2024, la chaîne d'information belge LN24
l’a invitée pour évoquer cette expérience. Une fois la promo expédiée, la discussion roule sur « Touche pas à mon poste », que la chroniqueuse compare à_ « une agora où tous les avis
s’expriment »_, à un _« dîner de famille »_ joyeusement animé. Jim Nejman, le rédacteur en chef de la chaîne, l’interroge alors sur l’espace considérable accordé aux idées d’extrême droite
dans « TPMP ». « _Je trouve que c’est débile [de répéter]_ “L’extrême droite ! L’extrême droite ! L’extrême droite !”, répond Géraldine Maillet. _Est-ce qu’il y a “Touche pas à mon poste” en
Belgique ? Est-ce qu’il y a “Touche pas à mon poste” dans tous les pays européens ? L’extrême droite monte partout, donc arrêtons de croire que c’est “Touche pas à mon poste” [qui la fait
monter]…_ _— C’est pas pour autant qu’il faut lui donner la parole aussi souvent_, rétorque le journaliste. _— Mais il faut donner la parole à tout le monde !_ _— [Pas chez nous]. On a ce
qu’on appelle un cordon sanitaire : on ne donne pas la parole à l’extrême droite en Belgique francophone. »_ Stupéfaction dans le regard de Géraldine Maillet : l’évidence hexagonale n’est
pas universelle. La chroniqueuse n’est pas la seule à être désarçonnée par la découverte de cette exception belge. Jean-Pierre Jacqmin, le directeur de l’information de la RTBF (le service
public de l’audiovisuel francophone), peut en témoigner :_ «_ _J’en ai parlé avec tous les directeurs de l’information de France Télévisions que j’ai rencontrés depuis quinze ans. C’est
quelque chose qui leur semble absolument incongru — une histoire belge de plus. »_ Chez ses interlocuteurs français, il n’a jamais ressenti de mépris, précise-t-il. _« Mais ils partagent la
conviction que nous pratiquons quelque chose d’inenvisageable, voire, pour certains, d’insupportable. »_ Jean-Pierre Jacqmin dit qu’il est « _né dans le journalisme avec le cordon »_. Il se
rappelle parfaitement l’électrochoc. Le 24 novembre 1991, les Belges étaient appelés à élire leurs députés. Jeune journaliste à la radio, Jean-Pierre Jacqmin est alors envoyé à Borgerhout,
un district d’Anvers, pour couvrir la soirée électorale du Vlaams Blok, un petit parti d’extrême droite flamande. Le reporter francophone est en terrain hostile. Des slogans fusent contre
les « _rats français »_. Bientôt, ils sont concurrencés par des exclamations victorieuses : le Vlaams Blok obtient douze sièges. De son côté, l’extrême droite francophone représentée par le
Front national belge obtient un député en Wallonie. _« On était sidérés, _raconte Jean-Pierre Jacqmin_. Le Vlaams Blok, ce sont des gens qui trouvent normal de défiler avec d’anciens SS !
Moi, je suis né en 1961, ma génération a grandi dans une ambiance où la guerre était encore très proche… Le danger de tout ce qui peut avoir un lien avec le nazisme ou la collaboration, nous
l’avons toujours ressenti viscéralement. »_ RÉSISTANCE Les Belges se souviennent de ce jour comme du _« Dimanche noir »._ L’idée d’un _«_ _cordon sanitaire politique »_, exprimée trois ans
plus tôt après une première poussée du Vlaams Blok aux élections communales de 1988, est relancée au sein du monde politique. Les représentants des partis traditionnels vont progressivement
s’engager à ne pas gouverner avec l’extrême droite. Au siège de la RTBF, boulevard Reyers, à Bruxelles, la menace que représente le Vlaams Blok apparaît très concrète : à l’autre extrémité
du bâtiment, le conseil d’administration de l’audiovisuel public flamand est contraint par la loi d’accueillir un représentant du parti d’extrême droite, comme toutes les formations qui
disposent d’un groupe parlementaire. _«_ _Le ver est dans le fruit »_, maugrée-t-on alors dans les couloirs. Sans plus tarder, deux hommes décident d’entrer en résistance. Le premier
s’appelle Robert Stéphane. Présentateur du tout premier journal télévisé spécifiquement belge en 1956 — jusque-là, le public devait se contenter d’une reprise du journal français — il a
longtemps piloté la puissante télévision liégeoise avant d’être nommé administrateur général — c’est-à-dire dirigeant — de la RTBF. C’est un homme qui ne tient pas en place, et personne ne
l’a jamais vu assis à son bureau. Tour à tour vautré dans un canapé futuriste ou sautillant d’un pied sur l’autre, il a une idée à la minute. Il a mis à l’antenne des programmes aussi
novateurs que « Strip-tease » ou « Vidéographie » (une émission consacrée à l’art vidéo) et, faute de pub, imposé le parrainage pour diversifier les ressources du service public. Un matin,
il a aussi décidé que le JT serait désormais présenté en alternance par _«_ _papa, maman et un gamin »_ — en tout cas des journalistes qui seraient perçus comme tels par le public. Il est
charismatique, drôle et audacieux. BOULEDOGUE Pierre Delrock, lui, est un petit homme_ « assez vieille France »_ aux yeux de ses collègues. Très sérieux, un peu pète-sec, intraitable sur le
respect de la grammaire française. Mais immensément respecté : ses collaborateurs le perçoivent comme un intellectuel. De 1964 à 1976, il a été le présentateur vedette du JT, et ses
interviews rigoureuses lui ont valu d’être caricaturé en bouledogue. En 1991, à la RTBF, il est directeur de l’information. Difficile d’imaginer plus dissemblables que ces deux individus.
Pourtant, ils s’accordent sur l’essentiel et, lorsqu’ils sortent déjeuner dans le quartier, ils apparaissent pour ce qu’ils sont : deux hommes qui ont grandi pendant la guerre, et qui savent
que la démocratie est un combat chaque jour recommencé. Ils décident d’ériger un _« cordon sanitaire médiatique »_, qui consiste à ne plus accorder de temps d’antenne en direct à des
représentants de l’extrême droite. La rédaction continuera à parler d’eux. Mais tous leurs propos seront_ «_ _contextualisés »_, et _« recadrés »_ si nécessaire. > « Le cordon sanitaire
n’a suscité aucun débat » Au conseil d’administration de la RTBF, _« cette décision est passée comme une lettre à la poste »_, atteste Michel Henrion, qui en était alors l’un des
vice-présidents. Les journalistes, eux, ont été avisés un mercredi matin. Le directeur de l’information avait l’habitude de les réunir pendant deux heures. _«_ _Les discussions étaient
souvent très vives »_, se souvient Yves Thiran, le journaliste qui incarnait le _«_ _gamin » _dans le JT voulu par Robert Stéphane. _«_ _Mais le cordon sanitaire n’a suscité aucun débat._
_»_ À l’époque, les chaînes françaises sont très regardées dans le sud du pays et la rédaction est marquée par la légitimité conférée à Jean-Marie Le Pen par chacune de ses apparitions. _«_
_Nous avons eu la modestie de penser que nous ne parviendrions pas à contrecarrer des personnalités d’extrême droite en les interviewant, _dit Jean-Pierre Jacqmin._ Certains journalistes
français ont voulu le croire, mais c’est impossible : à la télévision, le registre de la raison perd toujours contre le registre de l’émotion._ _»_ JUSTICE Le dispositif tangue trois ans
plus tard, en 1994. Alors que se profilent trois échéances électorales, plusieurs journalistes défendent la voie française. C’est notamment le cas d’Hugues Le Paige, dont la réputation
d’intransigeance a redoublé depuis qu’une question sur les écoutes téléphoniques de l’Élysée lui a valu d’être congédié en pleine interview par François Mitterrand. Au conseil
d’administration de la RTBF, largement renouvelé, de nouveaux membres s’inquiètent du risque de transformer les représentants d’extrême droite en martyrs de la liberté d’expression. Le
directeur de l’information parvient à les convaincre de maintenir le cordon sanitaire mais le président du Front national, Daniel Féret, intente une action en justice contre la RTBF pour
contester son exclusion des débats électoraux. Le tribunal de première instance de Bruxelles lui donne raison : le service public est condamné à le recevoir. Mortifiés par cette déconvenue,
les dirigeants de la RTBF se jurent de ne plus jamais se retrouver dans une telle situation. Au neuvième étage, le conseiller juridique de l’administrateur général, Simon-Pierre De Coster,
est chargé de solidifier le dispositif. Installé face à un immense tableau abstrait, ce jeune et fervent juriste doit traduire un choix éthique en arguments juridiques. Il prend appui sur la
loi contre le racisme et la xénophobie, puis sur le Pacte culturel, l’un des grands textes qui régissent la vie publique belge, qui garantit le respect du pluralisme tout en excluant les
mouvances liberticides. _« Il n'est pas normal que des gens qui ne respectent pas les valeurs de la démocratie puissent s'exprimer sur un média de service public »_, résume
Simon-Pierre De Coster. Il cite aussi l’article 17 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui précise qu’on ne peut pas utiliser les libertés qu’elle garantit pour saper des
droits ou des libertés. En conséquence, insiste-t-il, _« si on accepte que la liberté d’expression soit pour tous sur le service public, alors on accepte de tirer une balle dans le pied de
la liberté d’expression »._ VIGILANCE Trente années durant, à l’approche de chaque scrutin, il épluche les programmes, les tracts, les déclarations. Repère les entorses au principe d’égalité
entre les citoyens, les projets discriminatoires. Il soumet les discours ambigus à des avocats spécialisés dans la défense des droits de l’homme et s’appuie sur les archives des
observatoires antifascistes pour_ « repérer les formations noyautées par des héritiers de militants nazis ou __rexistes_ _»_. Il indique ensuite au directeur de l’information quels partis
doivent ou non être exclus des émissions en direct à la lumière de son examen — les rédactions restent souveraines dans l’appréciation finale. Maintes fois attaqué, le cordon sanitaire ne
sera plus jamais condamné en justice. Au contraire : chaque décision tend à la raffermir, jusqu’à un arrêt du Conseil d'État qui en valide définitivement le principe en 1999. Le Conseil
supérieur de l’audiovisuel recommande alors aux radios et télés privées de s’aligner sur la pratique du service public (certaines, comme RTL-TV, avaient pris les devants). En 2012, le
gouvernement de la Communauté française de Belgique transforme même cette recommandation en obligation pour les médias audiovisuels. De son côté, la presse écrite a elle aussi adopté le_ «
cordon »_, évitant d’offrir des tribunes à des personnalités hostiles à certaines libertés, redoublant de vigilance pour recadrer d’éventuels propos fallacieux dans un entretien, renonçant
aux interviews _live_ sur les réseaux sociaux, expliquant inlassablement que le fait d’être candidat à une élection ne procure pas un accès automatique aux médias. Le Conseil de déontologie
journalistique belge le rappelle : _« La liberté d’expression ne doit pas être confondue avec l’obligation, pour les médias, de diffuser toutes les opinions. »_ « RESPONSABILITÉ » Conçu à
l’origine contre l’extrême droite, le cordon sanitaire a ensuite été appliqué au parti fondamentaliste Islam, dont le programme contrevenait au principe d’égalité entre les femmes et les
hommes. Des élus de droite réclament régulièrement qu’il concerne aussi le Parti du travail de Belgique. Sans succès._ « Le programme de l’extrême gauche ne contient pas de propositions
contraires aux droits de l’homme et n’est pas antidémocratique »,_ argumente Simon-Pierre De Coster. Aujourd’hui, les étagères du juriste sont presque vides. Dans quelques semaines, il sera
à la retraite. En vidant son bureau, il a réalisé que le cordon sanitaire était _«_ _le seul héritage » _qu’il était_ « fier de transmettre à la postérité »_. Même si la conversation
politique s’est en partie déplacée sur les réseaux sociaux, il considère que les médias traditionnels doivent _« tenir bon »_. _« J’ose croire que le cordon sanitaire médiatique est un des
éléments à la base de la non-percée de l’extrême droite en Communauté française de Belgique », _déclare-t-il._ _Il réfléchit à ce qu’il vient de dire ; il craint de paraître_ «_ _prétentieux
»,_ alors il ajoute : _«_ _Précisons qu’on a quand même été fort aidés par le fait que tous les leaders d’extrême droite qui se sont succédé n’étaient guère à la hauteur. »_ Officiellement,
à la RTBF, on ne parle plus de_ « cordon sanitaire médiatique »_._ « Je trouvais cette expression vulgaire »,_ confie Jean-Pierre Jacqmin, le directeur de l’information. Il est désormais
question de _« responsabilité sociale et démocratique »_, parce que _« c’est vraiment ça qui se joue : nous sommes conscients de notre responsabilité dans la construction du débat public »._
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