De l'importance des médias en temps de guerre

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Pourquoi et comment les administrations américaine et britannique ont-elles perdu « les cœurs et les esprits » du monde arabe ? Steve Tatham, commander à la Royal Navy avance des éléments de


réponses. Théo Corbucci Publié le 04 mars 2019 Chaque intervention armée, chaque conflit militaire entraîne dans son sillage une multitude de journalistes venus des quatre coins du globe


pour analyser le rapport des forces en présence et rendre compte, au jour le jour, de la situation sur le terrain. Journalistes et militaires sont ainsi régulièrement emmenés à se côtoyer,


ce qui modifie le travail de chacun en imposant de nouvelles normes et de nouveaux codes. Coutumiers, ceux-ci n'en sont pas moins évolutifs : l'histoire contemporaine des médias


met en lumière certains évènements marquants qui ont véritablement révolutionné l'interaction entre médias et militaires. Plus important encore, cela a également modifié, dans des


mesures diverses, la relation existante entre médias et publics et entre militaires et publics. On peut par exemple citer la guerre du Vietnam (1), l'épisode du charnier de Timisoara


(1989) (2), la guerre du Golfe (1990 - 1991) (3), ou l'opération israélienne Plomb Durci (2008) (4). Les récentes interventions en Afghanistan (2001) et en Irak (2003) ne dérogent pas à


cette règle. Et comme pour chaque conflit marquant, c'est l'arrivée d'un facteur inattendu qui bouleverse la donne. Dans ce cas, c'est sur l'essor des chaînes


satellitaires régionales qu'il faut se pencher, et plus précisément sur leurs impacts dans la transmission d'une information de plus en plus mondialisée. BATAILLE MILITAIRE,


BATAILLE DES IDÉES L'information à destination du grand public est considérée comme une variable importante voire vitale par les armées et les administrations dans le déroulement


d'une opération. De l'avis même de Donald Rumsfeld, la « lutte n'est pas seulement le champ de bataille », et celle-ci ne pourra être que « remportée ou perdue au tribunal de


l'opinion publique » (5). L'utilisation massive d'unités spécialisées en PSYOPS (_Psychological operations_), la mise en place de services de presse et de communication comme


le _Coalition Press Information Center_ (Qatar), le _Maritime Press Information Center_ (Bahrain) ou encore le _Press Information Center_ (Koweït) lors des opérations en Irak en sont des


exemples éloquents. « Ce qui compte, ce n’est pas ce qui s’est passé. Ce qui compte, c’est comment ça passe sur CNN » (6). Et comme souvent, la « bataille des idées » commence par le choix


des mots à utiliser : pour paraphraser Terry Jones, « la première victime de la guerre, c'est la grammaire » (7). Ainsi, on remarquera l'utilisation langagière de nombreux termes


tantôt neutres (« dommages collatéraux »), tantôt connotés positivement (« libération de l'Irak ») par l'administration et l'armée. Si la presse américaine et, dans une


moindre mesure, la presse britannique ont suivi cet usage, il n'en a pas été de même pour les chaînes régionales. Comme le note Olfa Lamloum, Al Jazeera « a également été partie


prenante de la bataille des mots en choisissant de caractériser la guerre comme une "guerre contre l’Irak'' menée par ''les forces d’invasion'' ». De fait,


 « la chaîne a exclu de son récit tous les termes guerriers empruntés au discours militaire qui ont contaminé, parfois inconsciemment, les médias occidentaux » (8). En se différenciant des


médias occidentaux, Al Jazeera a entrainé à sa suite de nombreuses autres chaînes télévisuelles régionales et a ainsi défait le monopole langagier occidental : désormais tandis que l'on


parle de « forces de libération » aux États-Unis, on parle « d'occupants » sur LBC (9). « AVEC NOUS OU CONTRE NOUS » Outre cette guerre des mots, les interventions en Afghanistan et en


Irak font apparaître un nouveau phénomène de confrontation, qui découle directement de l'arrivée des chaînes arabes transfrontières dans le paysage audiovisuel global : l'idée


qu'il existe, journalistiquement, un _nous_ et un _eux_. Plus développé aux États-Unis qu'en Grande-Bretagne, car en phase avec une communication néo-conservatrice souvent


manichéenne, ce concept va peu à peu s'imposer dans les déclarations et communiqués de l'administration, affectant une partie des organes de presse occidentaux ainsi que les


troupes militaires (10). Pour Sultan Sleiman, rédacteur en chef du bureau de LBC à Bagdad, « les forces de la Coalition considéraient que tous les médias arabes étaient des ennemis » (11).


James Wilkinson, qui a orchestré la campagne média de l'armée américaine, abonde dans ce sens : « [Les médias arabes] sont totalement subjectifs » (12). De son côté, le responsable


britannique des relations média du _Doha_ _Press Information Center_, Ian Tolfts, ne se souvient « absolument pas avoir vu les Américains faire des efforts particuliers pour essayer de


s'engager avec les médias arabes » (13). En se focalisant de telle manière sur les médias nationaux comme FoxNews, CNN ou les journaux les plus influents, les Américains (14) tentent


donc prioritairement d'éviter une critique interne qui mettrait en cause leur présence sur ces deux lieux de conflits, comme cela a pu être le cas durant la guerre du Vietnam. MÉDIAUX


GLOCAUX : UNE INFLUENCE MULTIPLIÉE ? Mais en évitant de collaborer avec les chaînes régionales, voire en les accusant de subjectivité, l'administration s'est annihilée _de facto_


un levier prépondérant de construction de l'opinion publique dans le monde arabe qui, _via_ une mondialisation des contenus, influence également les médias occidentaux et donc, dans une


mesure bien évidemment amoindrie, les opinions publiques occidentales. Et c'est en cela que la bataille des _Hearts and Minds_ du monde arabe a été perdue par les forces américaines et


britanniques : par ce manque de discernement ou de clairvoyance, qui n'a pu prévoir l'éclosion de tels vecteurs d'influences. Persuadés d'être dans la même situation


monopolistique que durant la guerre du Golfe, où CNN abreuvait les chaînes du monde entier de ces images, les États-Unis se sont confortés dans leur habitude. En délaissant des médias


considérés comme locaux, donc de peu d'importance à leurs yeux, les gouvernements ont, en réalité, fait face à des réponses globales, qui se sont propagées jusque dans les foyers


européens et nord-américains. Ainsi, on notera qu'Al Jazeera a été la première à diffuser les images de soldats morts ou capturés au combat (15), rapidement reprises par Skynews. De


même, elle n'a pas hésité à humaniser le conflit en se penchant sur l'impact des opérations sur les populations civiles, sortant du cadre « militairo-opérationnel » que les


communicants auraient préféré garder clos. En somme, tout ce que l'administration américaine voulait éviter de la part de « ses » médias nationaux. GÉOPOLITIQUE DE L’INFORMATION


François-Bernard Huyghe résume assez bien la situation : « La vraie bataille est celle de la géopolitique de l’information. Elle se traduit par deux grandes nouveautés : l’Amérique a perdu


le monopole des images et il existe désormais un regard arabe sur le monde » (16). Regard arabe sur le conflit, perte du monopole de transmissions des images et de l'information qui en


découle, fin du monopole langagier : additionnés, ces trois facteurs ont scellé la défaite des opérations sur le terrain médiatique. Ce à quoi nous pouvons ajouter la « distinction _nous_ et


_eux_ », journalistiquement parlant, mais qui peut être également appréhendée de façon quasi civilisationnelle. Comme le déclare Jihad Ali-Ballout, alors porte parole de la chaîne qatarie


Al Jazeera, le monde occidental « doit désormais traiter avec les chaînes arabes de la même manière qu'il traite avec CNN et la BBC » (17). Qui plus est au vu de la perte


d'influence de ces mêmes chaînes dans l'opinion publique régionale (18). Dans _Losing Arab Hearts and Minds_, Steve Tatham conforte l'extrême importance des médias en temps de


guerre, mais laisse libre court à la réflexion personnelle et à la pensée critique, préférant de loin récolter et proposer des faits plutôt que d'imposer son propre raisonnement. Au vu


de la complexité du sujet, l'auteur fait également le choix de l'approche pédagogique plutôt que celle de l'abstraction théorique ou scientifique. L’ouvrage paraîtra assez


redondant et peu conceptuel pour le lecteur averti, mais peut constituer une bonne approche initiale sur le sujet. De plus, Steve Tatham évite les écueils dans lesquels nous aurions pu nous


attendre à ce qu'il échoue : militaire dans la _Royal Navy_, il ne disculpe pas pour autant l'armée de ses échecs et ne propose pas non plus une justification de leur stratégie.


Bien au contraire, il en fait une critique cinglante, sans se parer de l'habit immaculé de conseiller du Prince. Reste aux administrations et services de presse d'en tirer les


conclusions nécessaires, si ce n'est déjà fait. RÉFÉRENCES Ouvrages : _- _Hugh MILES, _Al-Jazira, la chaîne qui défie l'Occident_, Buchet / Chastel, 2005 - Josh RUSHING_, Mission


Al Jazeera_, Palgrave Macmillan, 2007 Articles : - "A lack of cover", _The Guardian_, 15/06/09 Illustrations : - matsimpsk/flickr.com et slipsthelead/flickr.com


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