Radiothérapie ciblée : orano investit dans la lutte contre le cancer

Avec ce complexe, Orano veut donner un coup de booster à la médecine nucléaire, qui en est encore à ses balbutiements. Aujourd’hui, les traitements qui frappent les cellules cancéreuses ont

souvent des effets indirects sur les cellules saines environnantes. Demain, ils devraient gagner en précision. _« La radiothérapie ciblée au plomb-212 annihilera les lésions tumorales et

aura une toxicité minimale sur les cellules proches,_ assure Julien Dodet, président d’Orano Med. _Elle fera du cancer non plus une maladie mortelle, mais chronique. »_ USINE STRATÉGIQUE

Changer le cancer et l’idée que l’on s’en fait, l’objectif est ambitieux. Chaque année en France, quelque 160 000 personnes décèdent de cette maladie (1,3 million en Europe). Orano Med, qui

a investi près de 450 millions d’euros en vingt ans, ne part pas d’une feuille blanche. Son histoire commence au début des années 2000, quand Patrick Bourdet, technicien pour Areva (l’ancien

nom d’Orano) à La Hague (Manche), émet le vœu de devenir cadre. Il concentre son mémoire de fin d’étude sur les potentielles nouvelles activités du combustible usé et constate qu’au cours

des années 1950, les ingénieurs du CEA avaient extrait des gisements de Madagascar un minerai composé à la fois d’uranium et de thorium-232. Alors que l’uranium est utilisé pour la réaction

nucléaire, le thorium est stocké pendant des décennies dans des fûts à Cadarache (Bouches-du-Rhône). Un beau gâchis, car cet isotope dispose de propriétés thérapeutiques intéressantes : par

décroissance radioactive, il se transforme en plomb-212, un métal rare prisé par la médecine nucléaire. Patrick Bourdet convainc sa hiérarchie d’extraire la matière et de la purifier via une

technologie complexe. En 2009, Orano Med voit le jour et obtient un premier budget de 10 millions d’euros. La filiale, qui emploie aujourd’hui 150 personnes, travaille avec l’Inserm puis se

développe rapidement aux Etats-Unis, où la recherche sur le cancer est le plus avancée. Elle signe des accords avec des centres de R&D et des universités, s’associe avec la société

RadioMedix à Houston et rachète Macrocyclics, à Dallas spécialisée dans la production de ligands, un composé du médicament injecté aux patients. AUTORISATIONS DE MISE SUR LE MARCHÉ En 2013,

Orano Med crée à Bessines un projet pilote, le Laboratoire Maurice Tubiana. L’Atef va lui permettre de passer la vitesse supérieure. _« Ce projet contribue à réduire notre dépendance en

matière de médicaments radiopharmaceutiques »,_ déclarait lors de la cérémonie le ministre de l’Industrie, Marc Ferracci. Un des principaux défis du groupe nucléaire sera d’approvisionner

les patients en temps et en heure, sachant que la durée de vie du plomb-212 n’excède pas 10,6 heures. Pour répondre à cet enjeu logistique, Orano Med procède en deux temps. D’abord, l’Atef

extrait, à partir du thorium-232, du thorium-228, élément précurseur du plomb-212. Les médicaments – 100 000 doses par an prévues d’ici à 2035 – sont ensuite envoyés aux laboratoires Orano

spécialisés dans ces thérapies à base de plomb-212 : l’un à Valenciennes (Nord) et l’autre à Indianapolis (Etats-Unis), deux villes proches d’importants bassins de population. Une fois le

médicament produit, une course contre la montre s’engage. Les labos se doivent d’expédier les doses aux centres hospitaliers dans les meilleurs délais, par voie terrestre ou aérienne. Orano

Med a maintenant trois à quatre ans pour assembler les pièces du puzzle et obtenir les autorisations de mise sur le marché des médicaments des deux côtés de l’Atlantique. La filiale de

l’ex-Areva a fait du chemin. En septembre dernier, elle s’est associée à Sanofi, qui a acquis pour 100 millions d’euros les droits mondiaux de commercialisation d’AlphaMedix, son médicament

le plus avancé. Le mois suivant, Sanofi prenait 16 % d’Orano Med, en investissant 300 millions d’euros_. _Une opération qui valorise l’entité à hauteur d’1,9 milliard._ « C’est une vraie

success story, _se félicite Nicolas Maes, directeur général d’Orano._ Demain, d’autres partenaires pourraient rentrer au capital d’Orano Med. »_ UN PARI TECHNOLOGIQUE La filiale qui dispose

dans son pipeline de près d’une douzaine de médicaments (cancers du sein, de la prostate, du poumon, tumeurs solides…) vise d’ici à la fin de la décennie un chiffre d’affaires d’1 milliard

d’euros, soit près d’un cinquième de l’activité de la maison mère. La diversification vers les biotechnologies pourrait lui permettre de toucher le jackpot. D’autant que, comme le note

Frédéric Girard, président du think tank France Biotech,_ « Orano Med est à ce jour le seul à utiliser la technologie du plomb-212 »._ Reste que la plupart des entreprises du _Big Pharma_

travaillent aussi sur la radiothérapie interne vectorisée. Lire aussi Des solutions concurrentes au plomb-212 existent, comme celle du pionnier Novartis, avec du lutécium. _« Le plomb-212

permet de mieux détruire les cellules cancéreuses que le lutécium,_ assure Anthime Flaus, professeur aux Hospices civils de Lyon. _Toutefois, les effets secondaires de ces traitements

doivent être évalués et leur utilisation nécessitera des mesures de radioprotection renforcées, notamment pour le personnel. » _Il n’y a pas de chemin tout tracé dans la lutte contre le

cancer. La nouvelle voie d’Orano Med ne s’imposera qu’avec le temps et les essais cliniques.