Tics de langage : ce qu’ils disent de nous

Qu’il est agaçant ce vendeur : "Avec la petite chemise, vous devriez prendre le petit pantalon, il vous va trop bien. Et du coup, vous voudrez des petites chaussures avec ?" En

deux phrases, ce garçon vient de vous mettre les nerfs en pelote avec sa rafale de "petit", "du coup" "trop". Mais avant de le juger, arrêtons-nous un moment

pour réfléchir à nos propres usages. Ne sommes-nous pas tous affectés par des tics de langage ? Et d’abord, qu’est-ce que c’est exactement un TIC DE LANGAGE ? Est-ce les expressions de cet

ado qui commence toutes ses phrases par "de base", celles de ce collègue qui ne peut pas s’empêcher de saupoudrer ses présentations de "en fait", ou les "belle

journée" de cette secrétaire médicale ? Est-ce un adjectif que vous employez à tort et à travers pour manifester votre enthousiasme ("c’est dément") ou ces "ben",

"bon", "OK", "tu vois", "tu sais" ou "je dis ça, je dis rien" qui ponctuent notre EXPRESSION ORALE à tous ? Un peu de tout cela, sans doute.

C’est en tout cas une part de notre discours que nous ne contrôlons pas. COMMENT DÉFINIR LES TICS DE LANGAGE ? En linguistique, la notion n’existe pas réellement. Pour Mathilde Dargnat,

docteure en sciences du langage (université de Provence), le tic, c’est les autres : "C’est un jugement porté sur l’emploi spécifique de certains éléments extrêmement courants dans la

langue." La linguiste travaille sur ce que l’on appelle les "MARQUEURS DISCURSIFS", ces PETITS MOTS DONT NOUS PARSEMONS NOS PROPOS, "parfois employés de façon tellement

fréquente qu’ils deviennent des ponctuants". La France semble en ce moment victime d’une épidémie de "du coup". À tel point que la locution a perdu tout son sens ? "Oui

et non. Dans "du coup", il est possible qu’il reste une valeur de conséquence, mais à un autre niveau : celui de l’organisation du discours lui-même", observe-t-elle. À QUOI

SERVENT LES TICS DE LANGAGE ? S’ils n’ont pas de sens particulier, nos TICS ne sont pas forcément inutiles. Ils participent de la fonction phatique du langage. Un terme savant pour désigner

ces instants où les mots que l’on emploie n’ont pas d’autre but que de GARDER LE CONTACT AVEC SON INTERLOCUTEUR. "Tu vois ?", disent souvent certaines personnes… Ils peuvent servir

à conclure ("bon"), à insister ("grave"), à approuver ("c’est clair"), à encourager ("vas-y"), à analyser ("en mode"), ou à convaincre

("on va pas se mentir"). Il nous arrive aussi d’user (et d’abuser) de "donc" ou "effectivement" pour jouer la montre. L’oral est plus fragmenté que l’écrit

parce que notre cerveau a besoin de pauses pour se relancer : "Ces expressions sont utiles pour le locuteur qui cherche ses mots. Cela permet de GAGNER DU TEMPS. On peut être un peu

gêné de s’exprimer, on emploie alors des "termes béquille". Quand on ne sait pas comment conclure un propos, on termine par "et voilà !" ou, plus familier, "voili

voilou". Ce n’est pas toujours heureux, cela peut dévaloriser ce qu’on vient de dire", note Sandrine Campese, experte pour le projet Voltaire, un organisme qui propose des

formations pour améliorer son expression. "La présence récurrente de "donc" peut être une marque de justification permanente, de manque de confiance en soi… C’est une manière

plus ou moins consciente d’affirmer une position par rapport à ce que l’on dit : une certitude ou incertitude", observe Mathilde Dargnat. COMMENT LES TICS DE LANGAGE APPARAISSENT-ILS ?

Difficile à dire de façon précise. Au niveau individuel, "cela peut être dû au type de discours ou à l’état de fatigue, estime Mathilde Dargnat. Je me suis rendu compte après coup qu’en

fin de journée je finissais toutes mes phrases par "voilà"." Au niveau collectif, il y a dans l’apparition de certaines locutions quelque chose qui relève du MIMÉTISME.

Sinon, comment expliquer ce qui prend feu comme une traînée de poudre ? Pour Sandrine Campese, la piste des réseaux sociaux n’est pas à négliger : "Est-ce qu’il y a plus de tics ou

est-ce qu’on les voit plus avec ces vidéos apparues il y a quelques années que nous regardons ? Tout le monde se filme en train de parler aujourd’hui. Cela peut jouer dans la PROPAGATION DE

CERTAINS TERMES." Quant aux effets de mode, ils ont évidemment leur rôle. Tout part souvent du langage des jeunes qui utilisent leurs propres expressions pour "faire groupe",

comme dit Mathilde Dargnat. Jusqu’au trop-plein : "genre" employé huit fois par phrase par votre ado, c’est sept de trop. Une fois reprises par les adultes qui veulent "faire

djeun", elles peuvent devenir totalement virales. Le monde du travail n’échappe pas à cette règle. JARGON ET AFFECTATIONS SÉMANTIQUES peuvent tourner au tic chez certains – comme le

fameux "je reviens vers  vous" introductif d’appels téléphoniques. "On part sur" beaucoup de choses, également, depuis quelque temps. FAUT-IL SE DÉBARRASSER DE NOS TICS

DE LANGAGE ? Avouons que nous sommes tous agacés quand nous repérons un TIC chez notre interlocuteur : "Mais est-ce que c’est "du coup" qui vous énerve, ou la personne qui le

dit ?" note malicieusement Mathilde Dargnat. Pour Sandrine Campese, "c’est le CÔTÉ RÉPÉTITIF qui peut nous irriter". Faut-il pour autant éradiquer des mots qui sont aussi une

signature ? Tout est question de mesure et de circonstances : "Bien sûr qu’il faut essayer de parler le plus clairement possible, mais certains tics caractérisent une personne. J’avais

un ami au boulot qui disait tout le temps "excellent !". Quand il est parti, on lui a offert un mug avec son adjectif favori inscrit dessus." Entre amis ou en famille,

l’expression orale est moins corsetée. On peut se relâcher. En revanche, lorsque l’on doit prendre la parole en public ou que l’on se présente à un entretien d’embauche, mieux vaut éviter

tout ce qui peut nous décrédibiliser. Pour autant, gare aux jugements hâtifs. Alors que des millions d’Américains mettent "like" et "amazing" à toutes les sauces, LE TIC

DE LANGAGE n’est pas pris de haut outre-Atlantique. En France, pays des belles lettres, on a parfois une idée exagérée de la façon dont nous devons manier notre langue : "On rêve d’un

discours parfait, sans faute. Mais ce serait froid. Attention à ne pas tomber dans l’excès inverse, tempère Sandrine Campese. Il faut garder un peu d’humour, tout ça n’est pas

dramatique." 5 CONSEILS POUR GÉRER SES TICS DE LANGAGE * IDENTIFIEZ-LES. Demandez à votre entourage de vous aider. Enregistrez-vous si nécessaire et repérez-les. Voyez s’ils vous

dérangent. À vous de juger. * REMPLACEZ-LES (SI VOUS VOULEZ). Vous pouvez les coucher sur le papier et imaginer des expressions de substitution. Notre langue est riche ! N’en faites pas non

plus une obsession : le parler parfait n’existe pas. * RALENTISSEZ. Parler trop vite peut entraîner une certaine confusion dans le discours. Prenez votre temps, diminuez le débit. Les mots

justes viendront plus facilement et les scories s’estomperont. * ACCEPTEZ LE SILENCE. Les tics viennent aussi du fait que le silence effraie. On comble. Faites des pauses. * INSPIREZ-VOUS

DES PROFESSIONNELS. Étudiez les techniques des comédiens de théâtre. Voyez comment ils articulent et respirent. ÇA PEUT AUSSI VOUS INTÉRESSER : ⋙ Quelle est la langue la plus difficile au

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